L’être humain a envie de penser qu’il a un pouvoir illimité et qu’il peut tout faire avec la volonté. Nous avons d’ailleurs tous été éduqués à coups de : « SI ON VEUT, ON PEUT ». Ainsi, ceux qui ne réussissent pas à se construire une vie paisible passent-ils pour des « loosers », des personnes faibles, sans consistance, tandis que ceux qui obtiennent ce qu’ils veulent, pour des gens forts et méritants.
C’est sur la base de cette croyance que, pendant très longtemps, on regardait les toxicomanes, les alcooliques et autres addicts. Leurs proches leur en voulaient, convaincus qu’ils n’essayaient pas vraiment s’en sortir, leur tenant en permanence des discours du style : « Tu as tellement de ressources en toi. Fais un effort, prends toi en main. Bats-toi ».
Mais notre part de liberté est-elle aussi grande que l’on se l’imagine ? Les cartes sont-elles toutes distribuées de la même façon à la naissance ? Et lorsque l’on n’a pas une construction neuro physiologique de base ou une histoire infantile permettant d’atteindre un épanouissement psychologique et relationnel, quelle est notre chance d’accéder un jour au bonheur ? Y a-t-il un parcours de rattrapage ?
En ce qui concerne le traitement de l’addiction, les médecins spécialistes font le constat aujourd’hui que la volonté ne marche pas longtemps et que le résultat des sevrages et des médicaments, d’abord encourageant, ne dure généralement pas. Pourtant, les gens qui en souffrent peuvent être par ailleurs pourvus d’une très grande volonté et d’une énorme force concernant certains domaines de leur vie. Quand ils se lancent dans quelque chose, on leur reconnaît un côté jusqu’au-boutiste qui leur permet d’atteindre des sommets. Pourquoi alors font-ils faillite dans la gestion d’eux-mêmes au point d’abîmer leur santé physique et mentale ainsi que leur vie relationnelle ?
Toutes les recherches sur l’addiction en viennent actuellement au même constat. La médecine à elle seule peut éventuellement intervenir sur les maladies créées par l’addiction mais pas, sauf cas particuliers, sur l’addiction elle-même. En ce qui concerne la boulimie par exemple, l’extrême maigreur provoquée par les vomissements qui eux-mêmes causent des problèmes de santé peut être soignée.Mais si on peut ponctuellement faire prendre du poids à une personne dénutrie, ou faire perdre du poids à une personne obèse, si on peut soigner la dépression, on ne peut pas faire que la personne qui a besoin de manger trop pour s’apaiser apprenne à se contrôler. Quant aux psychothérapies traditionnelles pratiquées en accompagnement du traitement médical, elles aussi, dans ce domaine-là, ont montré leur limite.
Trois questions se posent alors : si la médecine et les psychothérapies sont impuissantes, l’addiction, et pour ce qui nous concerne, l’addiction à la nourriture, est-elle une maladie insoignable ? Ou bien ne serait-elle pas maladie, ce qui expliquerait que ni la médecine, ni les psychothérapies traditionnelles ne réussissent à la soigner ? Et si elle n’est pas une maladie, qu’est-ce qu’elle est ? Comment s’en débarrasser ?
En ce qui concerne l’addiction alimentaire, Janet Treasure1 qui fait des recherches sur l’anorexie et la boulimie depuis trente ans, met l’accent sur la personnalité des personnes qui ont une addiction, notamment une addiction alimentaire puisque c’est son sujet d’étude. Ce sont des personnes dont le QI est souvent plus grand que la moyenne mais dont le regard sur la vie est à la fois rigide et déformé par une hyperémotivité en montagnes russes.
Les recherches de Janet Treasure sont intéressantes à plus d’un titre. Elles indiquent notamment:
- Que les personnes bouimiques ont une émotivité plus grande que la moyenne et que cette émotivité est à l’origine d’un repliement sur soi et d’une rupture avec la réalité environnante.
- Que le remède à l’addiction alimentaire pourrait se trouver dans une approche plus philosophique que médicale. En réalité, il faudrait prendre le problème à l’envers : plutôt que de lutter contre la boulimie il serait plus approprié de se méfier de son regard sur la vie, de ses certitudes et de se contraindre à chercher une autre réalité que celle que l’on perçoit.
En d’autres termes, si la médecine et les psychothérapies traditionnelles restent indispensables pour soigner les conséquences de l’addiction, une approche humaniste consistant à développer un sentiment d’identité, des compétences à gérer ses émotions, apprendre à communiquer avec authenticité, sans violence et sans s’esquiver, serait plus appropriée.
Un petit exemple : lors d’un travail en groupe Madame X prend la parole pendant dix minutes pour dire en substance qu’elle a honte d’elle-même, qu’elle se trouve moche, qu’elle est très reconnaissante à l’égard de son compagnon qui a la gentillesse de la prendre telle qu’elle est. La psychologue, tout en étant à l’écoute des processus de communication de Madame X, perçoit aussi ses propres sensations et trouve Madame X « craquante ». Elle décide de demander à ceux qui participent au groupe quelles sont les personnes qui sont charmées par Madame X. Les vingt personnes présentes lèvent la main. Madame X reste silencieuse un moment et finit par dire : « Vous savez quoi ? D’habitude quand on me dit que je suis charmante, je ne le crois pas. Mais vous, étonamment je vous crois. »
Madame X, avec le temps va ainsi apprendre à douter de ses certitudes. Petit à petit elle va, grâce au groupe, explorer ses difficultés émotionnelles et relationnelles, apprendre à les traverser, les gérer : c’est-à-dire les contourner parfois sans pour autant les nier. Elle va petit à petit aussi s’entraîner à être en même temps vraiment à l’écoute des autres, non pas tels qu’elle les imaginait, mais au plus près de ce qu’ils expriment verbalement et non verbalement, découvrant ainsi leurs vrais besoins.
D’une certaine façon on peut dire que la volonté est plus forte que la boulimie quand elle ne lutte plus contre l’addiction elle-même mais quand elle s’attache à refuser les pensées négatives auto-centrées pour partir à la découverte de son plaisir tout en respectant celui des autres. Cela peut paraître un peu obscur, sur le papier, mais en réalité c’est très simple quand on s’entraine pendant un an et demi ou deux ans dans un travail de groupe. Quand vous ne vous jugerez plus quoi que vous fassiez, quand vous ne jugerez plus les autres, quand vous vous accepterez tel que vous êtes, sans honte, quand vous accepterez les autres tels qu’ils sont, sans leur faire de reproches, même si vous pensez qu’ils ont tort, quand vous cesserez d’avoir des opinions sur tout, tout le temps, vous verrez l’angoisse responsable de votre boulimie petit à petit diminuer.
Ainsi, aussi minime que soit le pouvoir de la volonté et notre part de liberté, nous avons celle de nous prendre tels que nous sommes, de prendre également les autres tels qu’ils sont et d’apprendre à nous laisser guider par ce que nous ressentons plus que par ce que nous pensons. Il n’en faut pas davantage pour voir votre boulimie s’envoler. Il n’en faut certes pas d’avantage… néanmoins c’est un énorme travail.
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