De l’anorexie à la boulimie

aout 2013

Dans cet article, Catherine Hervais, psychologue et auteur du livre Sortir de la boulimie : Guide complet pour vous et vos proches (Dunod, 2023) présente le témoignage d’une jeune patiente, qui, comme de nombreux de adolescents développent une anorexie qui se transformera plus tart en boulimie.

aout 2013Elle aura dix-huit ans dans trois mois et déjà un si long parcours thérapeutique commencé par une anorexie qui basculera plus tard sur de la boulimie. Elle raconte son histoire thérapeutique ci-dessous et ce qui est frappant c’est de voir combien ce témoignage est mature malgré l’âge de cette jeune fille qui ne se braque contre personne, mais qui cherche, au travers de ses divers parcours thérapeutique, pourquoi elle est atteinte d’un mal sur lequel elle n’a pas prise avec la volonté.

 

Témoignage de Claudia : son parcours de l’anorexie à la boulimie 

Je m’appelle Claudia, j’ai 17 ans. Les troubles du comportement alimentaire sont entrés dans ma vie quand j’avais 10 ans. Depuis plusieurs mois je suis sujette à de fréquentes crises de boulimie nocturnes, juxtaposées à des journées d’ascétisme. Les années précédentes, en revanche, furent invariablement à dominante restrictive, exemptes de vomissement ainsi que de véritables boulimies. A peine sortie de l’enfance, sous l’étiquette d’anorexique mentale, j’ai été successivement accueillie dans divers services hospitaliers de France. Ces séjours en milieux clos, d’une durée totale d’un an, ont marqué mon adolescence au fer rouge. J’aimerais, par ce témoignage, montrer comment j’ai vécu les procédures thérapeutiques utilisées avec moi pour le traitement de cette pathologie qu’est l’anorexie mentale.

Ma première hospitalisation a lieu en mars 2008, à 12 ans, après plus de deux ans de contrôle alimentaire. Mon poids n’était pas alarmant, mais la vie infernale que je faisais subir à ma famille a conduit à mon admission en clinique psychiatrique au CHU de Lille. Aucune consultation d’arrivée, juste quelques mots échangés avec un soignant, et je me retrouve seule, horrifiée. Le milieu me semble inhospitalier, et les soignants me laissent sans explication. Au bout de quelques heures, j’interpelle une infirmière, demandant de l’aide pour mon problème de nourriture. Elle me répond que je dois patienter pour voir le médecin. On ne vient me voir qu’à l’heure du dîner. Terrifiée à l’idée de manger, je tremble en face de l’intimation de manger. Les soignants se comportent comme si c’était naturel pour moi de prendre mon repas, mais je suis terrifiée à l’idée d’être punie. Après une tentative de prise de sang échouée, les infirmiers me menacent de me piquer avec une grosse aiguille si je ne mange pas. Le lendemain soir, je mange trois quarts de mon plateau sous l’œil satisfait de l’infirmier. Je choisis d’ignorer l’humiliation, la peur et la colère causées par leurs réactions lorsque je ne pouvais pas manger. Le reste de l’hospitalisation est marqué par l’abandon à la tentation de manger pour éviter les réprimandes. Je deviens la petite gourmande du service, finissant toujours mon plateau. Cependant, le problème persiste. Dès que je pense à ma famille, je suis irritée à l’idée qu’ils mangent moins que moi. Cette situation me prédispose à la boulimie, mais je préfère croire que c’est normal d’avoir envie de manger après s’être privée.

Pendant les quatre semaines d’hospitalisation, je n’ai pas de suivi individuel avec un médecin. Mon seul contact est avec les autres jeunes et les infirmiers, qui animent diverses activités. Les infirmiers sont bienveillants mais ne m’incitent pas à confier mes inquiétudes. La seule mesure psychothérapeutique consiste en une amorce de thérapie familiale, qui n’obtient pas l’aval de mes parents. Les quelques séances se déroulent dans une atmosphère tendue. Mes parents croient que le médecin les accuse de m’avoir rendue malade, et sont convaincus que je suis le problème. Le jour de ma sortie, après avoir pris quelques kilos, le médecin me dit que je ne mange pas assez le matin. Ma mère, en me ramenant, ne me touche ni ne me parle. Sa froideur augmente mon sentiment de honte. Je vais devoir me réfugier encore plus dans le contrôle alimentaire.

Quelques mois plus tard, en juin, j’ai perdu 8 kilos. Mon état de santé motive une deuxième hospitalisation. Avant notre déménagement à Paris, mon père m’emmène voir un généraliste qui prescrit une hospitalisation d’urgence. Je suis admise en pédiatrie à l’hôpital Saint-Vincent de Paul, où je passe mes journées dans ma chambre, sans activités ni contact avec d’autres jeunes. On m’apporte des plateaux-repas, et une soignante reste pour me regarder manger, ce qui est à la fois pénible et rassurant. Après une semaine, ayant pris seulement 200 grammes, le psychiatre décide de me poser une sonde. Je suis terrifiée par la perspective de cette sonde. Les infirmiers, voyant mon angoisse, me laissent choisir l’heure de la pose. La douleur est intolérable, et mes plaintes sont raillées. Heureusement, je suis transférée à la Maison de Solenn, où la sonde est remplacée par un tuyau plus fin. Je dois faire face à de nombreuses nouveautés dans ce nouveau service spécialisé dans les troubles du comportement alimentaire.
La vie à la Maison des adolescents tourne autour de l’alimentation. Les médecins, surtout des pédiatres, nous rendent visite sans tenir compte de nos souhaits. Les entretiens se limitent à des platitudes. Les psychiatres et psychologues ont un rôle accessoire, tandis que les diététiciennes animent des ateliers cuisine. Les autres ateliers et sorties sont nombreux et de bonne qualité, mais je ne trouve pas de sérénité. Les repas sont quatre fois par jour, avec des règles strictes pour les plus maigres. Je préfère les plateaux préparés à l’avance, mais les médecins m’imposent de me servir moi-même. Je suis suivie par un psychiatre et une interne. Le psychiatre se contente de m’écouter, ce qui me plonge dans une confusion stérile. Mon hospitalisation est une suite de confrontations et d’efforts pour trouver le chemin de la guérison.

Mes parents ne s’entendent pas avec les médecins et accusent ces derniers d’imposture. Au jour d’aujourd’hui, mes parents restent sceptiques quant à ma psychothérapie de groupe. Ils n’ont jamais été à l’aise avec la psychologie et ne croient pas en son efficacité pour moi. Malgré nos progrès, je tends sans cesse à vouloir une fusion totale avec ma mère, surtout concernant ma thérapie.b J’espère un jour accepter de ne pas être parfaitement comprise et de n’avoir plus besoin ni de l’anorexie ni de la boulimie.

Commentaire de la psychologue

Comment peut le constater le problème de Claudia semble être avant tout sa dépendance affective. Un trait commun à toutes les personnes boulimiques, même quand cela ne se voit pas, parce qu’elles ont choisi de vivre seules et réussissent sur le plan relationnel à s’imposer d’une façon souvent violente ou intrusive.

Il est probable que Claudia parviendra à « travailler » sur sa dépendance affective grâce aux exercices relationnels en groupe, renforçant ainsi sa confiance en elle-même, son estime d’elle-même, et, par voie de conséquence, se «  construisant  » ainsi, peut-être pour la première fois de son existence, un sentiment d’autonomie.

Il lui faudra beaucoup de patience et de courage pour se confronter aux autres et dépasser ses blessures «  narcissiques » qui ne manqueront pas de se manifester au fur et à mesure des interactions sa thérapie de groupe où elle ne peut plus s’accrocher ni à la nourriture ni aux autres. Aussi étrange que cela puisse paraître, l’expérience montre que l’addiction alimentaire s’atténue au fur et à mesure que l’on devient soi-même, dans une relation affective non conflictuelle avec les autres. Cela commence d’abord assez rapidement avec l’arrêt de l’obsession de la nourriture. Viennent ensuite, pendant quelques mois (parfois) quelques années des «  crises  de confort» qui ne sont plus vraiment des crises de boulimie (dans la mesure où il n’y a plus d’obsession, où la nourriture n’est plus le centre de la vie, où les quantités de nourriture ont beaucoup diminué, les fréquences aussi). Jusqu’au jour où le comportement alimentaire et le comportement relationnel ne posent plus de problème, tant sur le plan physique qu’existentiel dans la vie de la personne.

Catherine Hervais
Psychothérapeute clinicienne

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