Je suis malade de la relation

A l’encontre du protocole thérapeutique habituel de la boulimie qui s’appuie sur l’idée qu’on peut soigner les troubles de l’alimentation en apprenant à les gérer, boulimie.fr défend l’idée qu’il faut soigner les troubles de l’identité qui sont à l’origine des problèmes avec la nourriture. Les personnes boulimiques-anorexiques réussissent souvent très bien à donner le change avec leurs amis, leurs collègues de travail parce qu’elles savent être souriantes, drôles, serviables, intelligentes et créatives.

Mais la famille, les très-proches sont souvent « frappés » par des réactions grinçantes, violentes, ou fuyantes dans des circonstances où la plupart des gens laisseraient tranquillement «couler».

Nous avons déjà évoqué dans d’autres articles la tendance des personnes boulimiques-anorexiques à «fusionner» mentalement : il faut qu’on pense comme elles, qu’on aime ce qu’elles aiment, qu’on n’aime pas ce qu’elles n’aiment pas… (article juillet 2008). nous avons également mis l’accent sur leur rapport quasi constant à la peur (juin 2008 ),leur tendance à se réfugier dans des pensées ruminatoires ou intellectuelles quand elles se sentent angoissées (juillet 2007).

Le repli sur soi

Cette fois, nous allons mettre l’accent sur leur besoin de se replier sur elles-mêmes, non seulement pour «criser» mais aussi pour être seule : la relation à l’autre est trop difficile à gérer en émotions et leur demande trop d’énergie.On ne peut pas ne pas penser à certains aspects de l’autisme face au comportement de certaines boulimiques-anorexiques qui ont peur du regard de l’autre (au point de ne pas pouvoir traverser une pièce pleine de monde, ou même de passer devant une terrasse de café, ou ne pas pouvoir regarder les gens dans les yeux en parlant, ou de les fixer avec un prétendu intérêt sans les regarder vraiment. Un « autisme » qui peut ne pas se remarquer dans la vie sociale mais qui se manifeste quand l’affectif est en jeu, à la moindre émotion, à la moindre contrariété.Ceux qui ont vu Rain Man se souviennent certainement de sa grande agitation au restaurant face à ses quatre tranches de poisson pané parce que sa portion habituelle était de huit tranches. Agaçé par un problème aussi léger, son frère lui coupe chaque tranche en deux et lui dit : «bon, voilà, maintenant tu as tes huit tranches» et Rain Man se calme instantanément. Huit tranches, ça va, quatre, c’est insoutenable.Un jour, dans un groupe de thérapie, Renée, une femme d’environ cinquante ans prend la parole. pour parler de son lundi matin précédent. Elle avait besoin de ne voir personne pour se reposer, respirer. Elle était toute contente d’avoir la journée à elle.Elle a l’air très gênée. « C’était la semaine dernière, lundi matin juste après un week-end où j’avais pas mal été envahie chez moi. J’étais contente que le dimanche s’achève pour être tranquille, pour être seule (j’avais pas mal de choses à faire dans la semaine). Et puis là dessus, ma fille m’a demandé si elle pouvait rester un peu plus, elle était en train de préparer un concours et préférait rester chez moi. J’ai accepté, mais je n’ai pu m’empêcher de ressentir un sentiment d’invasion. Là dessus est arrivée une amie qui avait besoin que je fasse une recherche sur ordinateur, ce que j’ai fait bien volontiers.

Je ne supporte pas qu’on me touche

Cette amie est de tempérament méridional, très dans le toucher, très affective, débordante de manifestations d’amour. C’est une très bonne amie à moi et je lui ai souvent dit, « vous savez, Carine, je n’aime pas être touchée physiquement», ce qu’elle comprend et ne fait généralement pas. Mais ce matin là, elle aussi n’était pas très bien, et pendant que j’étais en train de faire la recherche sur ordinateur (j’avais la main sur la souris) elle me caressait la main en me racontant son week-end et ses problèmes avec ses enfants. Je ne disais rien, je sais très bien que c’était une manifestation purement amicale. Elle l’a fait deux fois, trois fois… Déjà je n’étais pas très bien. Tout d’un coup, elle me caresse l’avant bras. Et là, c’était un réflexe, j’ai sauté en l’air. Je lui ai dit sur un ton surement très brutal : « Ecoutez Carine, vous savez bien que j’ai horreur de ça, vous ne pouvez pas me toucher, je vous défends de me toucher !». J’étais un peu dans une crise de panique, comme une crise de claustrophobie, sous le choc. Plus tard on s’est expliquées « on ne peut pas me toucher, vous le savez, j’étais particulièrement tendue ce soir là, je ne voulais pas vous vexer…». On s’est réexpliquées encore quand on s’est revues. L’affaire n’a pas tourné en drame. Il n’empêche que j’étais bouleversée par la violence de ce que j’ai ressenti face à un simple geste amical.

Ma relation à l’autre est malade

Je me rends compte que ma relation à l’autre est vraiment très malade : quand quelqu’un rentre dans ce que je considère comme étant mon espace privé, là ou la plupart des gens réagissent calmement, moi je « pète les plombs » ! Une simple petite caresse sur le bras fait que pendant deux jours j’ai le cœur qui bat et que je ressens une violence incroyable. J’ai réfléchi après que n’est pas avec tout le monde. Avec elle c’est peut-être pour son côté maternant et caressant, très enveloppant, comme si elle me mettait à la place d’une de ses filles.

Pendant qu’elle s’exprime ainsi dans le groupe, tous les participants l’écoutent avec attention. Sa petite voisine de seize ans, boulimique elle aussi, se reconnaît totalement dans ce qu’elle dit.

Combien de personnes boulimiques-anorexiques pourraient se reconnaître dans l’histoire de Renée ! On se lève le matin avec l’idée qu’on a sa journée pour soi, on a besoin de sa « bulle » pour décompresser et, « patatras ! », toute une foule de petits riens viennent faire obstacle à ce projet qui était finalement si vital. Pour Renée, sa fille qui voulait rester au delà du week-end, puis l’arrivée de son amie, c’était suffisant pour que sa limite soit franchie. Là ou des personnes « normales » n’auraient pas trouvé à redire, Renée, elle a explosé. « Je n’en pouvais plus. C’est vraiment la crise de folie ! Tout ça pour une petit geste ! Je comprends à présent les gens qui prennent un couteau et qui tuent pour un rien. ».

Cet aspect des personnes boulimiques-anorexiques fait penser un peu aux autistes qui se désorganisent totalement lorsqu’on les touche ou qu’on les approche de trop près.

Peut-être cela renvoie-t-il à un processus biologique : il arrive un moment où l’on a dépensé trop d’énergie. Les neuromédiateurs sont épuisés et c’est l’effondrement, à l’image du bébé qui a une crise de larmes hystérique quand il est fatigué.

Reste que si ça arrive souvent chez le bébé, cela disparaît en général en grandissant, sauf chez une certaines catégorie de personnes parmi lesquelles les boulimiques-anorexiques qui gardent le schéma émotionnel des bébés !

Oser opposer un refus sans violence

Heureusement, avec une thérapie, cela peut changer : on peut prendre conscience de ses limites sans se juger, apprendre à s’économiser, à s’affirmer face à soi-même et aussi face à l’autre.

Dans le cas de Renée, elle va pouvoir s’exercer dans des jeux de rôle à s’affirmer sans culpabilité : par exemple oser demander à ses amis de toujours appeler avant de passer ; oser opposer sans violence un refus à sa fille, ou accepter sa demande en posant des conditions claires qui les préservent toutes les deux (par exemple : « tu restes, mais je ne m’occupe pas du tout de toi et tu fais comme si je n’étais pas là »). Elle pourra aussi s’exercer à dire tout de suite, sans culpabiliser, avec douceur et fermeté, au moment où son amie lui caresse la main : « touche pas ma main s’il te plait Carine ».

Devenant capable de s’affirmer, Renée verra s’estomper sa gêne dans la relation à l’autre car elle se sentira de plus en plus capable de maîtriser ce qu’elle redoute. Cette évolution lui permettra de cesser d’être malade de la relation et viendra s’ajouter aux autres gains de la thérapie. Au final cela contribuera à la disparition totale des crises de boulimie.

Catherine Hervais

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