Je ne sais pas qui je suis

« Ça veut dire quoi être soi quand on ne sait pas communiquer, quand on a un cœur comme de la guimauve, quand on a envie de partage et qu’on n’y arrive pas, quand on ne fait que des faux pas avec les gens qu’on aime le plus, quand on les agresse parce qu’on ne peut pas donner ou recevoir ? Je sais pas qui je suis. » dit une jeune femme dans un groupe de thérapie.

Lorsqu’on ne se sent pas vraiment soi, lorsqu’on se sent souvent «étranger » parmi les autres, lorsqu’on met une barrière pour ne pas être atteint, ou au contraire lorsqu’on en fait « des tonnes » pour plaire, lorsqu’une addiction anesthésie toutes vos émotions, comment réussir à se sentir soi?

Selon les bouddhistes, le soi n’existe pas en tant qu’entité séparée de l’univers, caractérisé par l’impermanence et le changement. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas du tout. Un tourbillon se distingue de l’océan : il est visible, tangible, mesurable, réel. Il existe.

Bien que le tourbillon soit phénomène qui a une identité perceptible au moment où il se produit, on ne peut pas dire qu’il y a une séparation entre le tourbillon et l’océan. Il n’y a pas, d’un côté le tourbillon, et d’un autre côté l’océan. Le tourbillon est un phénomène produit par l’océan.

De tous temps, les philosophes se sont inscrits dans cette même optique : c’est quand on croit savoir qui est soi que l’on est le plus sûr de passer à côté de soi. « Qui souvent s’examine n’avance guère » dit Raphaël Enthoven1 en citant Clément Rosset. Et il ajoute pour illustrer ce propos : «…le moment ou un pianiste a conscience de lui-même c’est le moment où il fait une fausse note. Le moment ou un funambule a conscience de lui-même c’est le moment où il se casse la gueule (…). La conscience de soi est un embarras, un encombrement, une entreprise vaine. ».

Pourtant sans un minimum de conscience de soi on se noie dans l’obscurité et la solitude comme la jeune femme que nous avons citée plus haut. Il s’agit d’un minimum de conscience de soi, très basique, proche du sentiment de sécurité que l’on est sensé acquérir lorsque l’on est bébé et qui facilite la relation de soi à soi et de soi à l’autre. Si le bébé a intériorisé ce sentiment de sécurité, il aura confiance dans le présent et dans l’avenir sans avoir besoin d’être stimulé par un objet extérieur pour se sentir vivant.

La question essentielle pour la jeune femme qui s’exprime au début de ce texte est-elle de savoir qui elle est, ou bien de parvenir à se sentir exister sans avoir besoin de quelque chose qui l’ « accroche », que ce soit une addiction, des sensations fortes ou une relation « fusionnelle ». C’est cela qu’elle peut découvrir et expérimenter dans une psychothérapie, en groupe plutôt qu’en individuel: une certaine flexibilité, un non—savoir de soi permettant d’accueillir l’autre tel qu’il est, sans lui « rogner les ailes » ou sans se contraindre soi.

Catherine Hervais

1 Je vous invite à écouter , si vous ne l’avez déjà fait, le podcast du 2 mars 2014 de l’émission de Raphaël Enthoven « Le Gai Savoir » sur France Culture intitulée « Moins on se connaît, mieux on se porte ».

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