Boulimie et dépendance affective

Boulimie et dépendance affective

Entre l’homme et la femme existe une profonde et sombre rivière » dit un poème japonais.

Entre l’homme et la femme existe une profonde et sombre rivière » dit un poème japonais.

Mais aujourd’hui, nous pouvons apprendre à construire des ponts sur les rivières grâce aux chercheurs en Sciences Humaines américains qui se sont penchés sur les recettes qui mènent infalliblement à l’échec.

L’un deux, Paul Watslawick, a d’ailleurs titré l’un de ses ouvrages avec humour : « Comment faire vous-mêmes votre malheur ».{xtypo_quote_right}D’après les travaux des chercheurs en Sciences Humaines américains, la logique conduit souvent à l’échec, il est parfois raisonnable d’être fou et on n’a pas besoin de se comprendre pour s’aimer{/xtypo_quote_right}Mais ils n’ont pas seulement tenté de repérer ce qui ne marche pas. Ils ont également analysé le travail de grands thérapeutes connus pour leurs résultats, principalement Fritz Perls, Virginia Satir et Milton Erickson. S’appuyant sur les pratiques des fondateurs des nouvelles thérapies, ils ont élaboré des règles simples qui permettent de se frayer un chemin dans la jungle des paradoxes humains.

L’homme vient de Mars et la femme de Vénus

Il ressort de leurs travaux que la logique conduit souvent à l’échec, que c’est parfois raisonnable d’être fou et qu’on n’a pas besoin de se comprendre pour s’aimer.

Donc, même si l’homme vient de Mars et la femme de Vénus, rien ne les empêche d’inventer une manière d’être ensemble où chacun reste libre de penser ce qu’il veut, de dire ce qu’il veut et même de se taire quand il veut. Dans le même registre, Ronald Laing, l’un des deux fondateurs de l’anti-psychiatrie, disait à la fin de sa vie dans un reportage à la télévision que, selon lui, un véritable sentiment de paix pouvait être atteint en vivant auprès de quelqu’un que l’on aime, à condition que tous les deux aient appris à s’accepter comme ils sont.

Encore faut-il, ne pas traîner au fond de soi un profond sentiment d’insécurité qui pousse à fuir l’autre ou au contraire à s’accrocher à l’autre, à tout faire pour qu’il vous aime, à essayer de penser comme lui, de faire comme lui, pour, au final, se fâcher avec lui dès qu’il a un comportement qui ne correspond pas à ce que l’on souhaite. Les personnes qui n’osent pas (ou ne peuvent pas) s’affirmer n’existent que sur le mode de la fuite ou de l’agressivité (qui sont les deux instances opposées d’un même processus: la dépendance affective).

Les boulimiques cherche un partenaire qui les sécurise

J’ai souvent remarqué, par exemple, que les jeunes femmes boulimiques ont tendance à se trouver un partenaire qui les sécurise. Elles l’idéalisent (il est si fort, il va si bien, alors que moi, je vais si mal), elles lui donnent tous les pouvoirs dans l’espoir qu’il saura les aider (à manger mieux, à penser mieux, à être mieux) pour, au final, s’apercevoir qu’elles s’en lassent très vite parce qu’elles en ont fait un « papa » avec lequel finalement elles s’ennuient.

Comment combattre les aspects dépendants de sa personnalité, le besoin de voir en l’autre une personne avec qui l’on ne fait plus qu’un? Comment lutter contre une croyance, profondément ancrée selon laquelle il faudrait penser pareil, vivre les mêmes choses au même moment, être toujours là pour l’autre quand il a un problème?

Elle attendait d’un homme qu’il lui donne confiance en elle.

Peut-être avez-vous regardé récemment sur la 6 une émission sur la boulimie et l’obésité où l’on y voyait une jeune femme boulimique se plaindre de son mari qui, disait-elle, ne savait pas lui donner confiance en elle. Doit-on compter sur l’autre pour alléger notre vie?Et si la légèreté d’être ensemble ne pouvait justement exister que lorsque l’on n’attend rien de l’autre?Dans un groupe de thérapie, Laurence demande la parole. Elle a un petit souci: elle se déplace en vélo en ville et aimerait bien récupérer sa mobylette qui est restée chez ses parents. Son copain est contre. Il ne veut pas. Laurence a vingt-huit ans, elle est cadre dans une entreprise, mais, dans son couple, elle se sent comme une petite fille rebelle lorsque son copain émet un avis contraire au sien.

« Je suis embêtée » dit-elle, « j’ai besoin de ma mobylette, j’en ai envie et lui il ne veut pas. Il me dit que si je la prends, je ne vais plus faire de sport et je vais grossir. J’ai envie de la récupérer et en même temps, lui s’y oppose. Alors je ne sais pas comment faire, comment lui dire, comment lui demander pour qu’il accepte, comment négocier cela avec lui « .

Contrairement à la thérapie traditionnelle où le thérapeute se tairait, ou, au mieux, renverrait la question avec un « …Et vous, vous en pensez quoi ? », avec des personnalités borderline, les thérapeutes sont parfois amenés à proposer des options pour que celles-ci ne se réfugient pas dans les seules deux attitudes relationnelles qu’elles connaissent: la violence ou la fuite.

On peut refuser la négociation sans agresser pour autant

– Il n’y a pas à négocier, dit le thérapeute.- Je prends la mobylette, un point c’est tout ? s’étonne Laurence.- Oui, mais en douceur. Vous pouvez par exemple lui dire que vous l’avez entendu, que vous êtes désolée de ne pas faire ce qu’il souhaite… Par exemple, mettez vous devant Annabel et imaginez qu’elle est Bob, regardez-là dans les yeux, elle est Bob, et dites une phrase du genre :  » j’ai bien entendu que tu ne veux pas que je prenne la mobylette, je suis désolée de te contrarier, mais moi je veux ! ».

Les personnalités dépendantes ou borderline n’imaginent pas que l’on puisse dire les choses gentiment quand on a une position différente. Soit elles fuient, soit elles agressent. Elles sont dans un tel désir de fondre dans l’autre qu’elles ne conçoivent pas que l’on puisse avoir deux opinions différentes dans un couple sans se déchirer, ou, au minimum, se « faire la gueule ». Les jeux de rôle en thérapies de groupe, permettent d’expérimenter ce que l’on fait dans sa vie de tous les jours mais aussi ce que l’on ne sait pas faire. Laurence s’entraîne à dire la phrase proposée par le thérapeute, mais elle ne réussit à s’affirmer qu’en prenant le ton d’une petite fille butée.

Ne parlez pas contre lui mais pour vous.

– Essayez de le redire sur un ton moins braqué, plus léger, gentiment en somme : vous êtes désolée de le contrarier, mais, néanmoins, vous voulez suivre vos envies, Ce n’est pas contre lui, c’est pour vous, reprend le thérapeute.

Les récentes recherches sur la neurophysiologie du cerveau montrent que, lorsque l’on s’imagine une scène, le cerveau fait le même travail que lorsque l’on vit vraiment la scène. C’est exactement la même chose dans un jeu de rôle. L’inconscient de Laurence ne fait pas la différence entre le réel et l’imaginaire: elle a Annabel devant elle, mais elle tremble et ses joues rosissent comme si elle était effectivement devant Bob. Ce jeu de rôle, associé à tout ce qu’il implique émotionnellement pour Laurence, lui fait vivre des sensations qui ont un effet immédiat sur ses circuits neuronaux, lesquels agissent immédiatement sur ses fonctionnements physiologiques (la couleur de ses joues, le changement de sa voix).

Dans l’émotion, elle explore un nouveau comportement

Concrètement, elle explore un modèle comportemental et affectif tout à fait nouveau pour elle: l’affirmation de soi, dans la légèreté et sans violence c’est à dire, en d’autres termes, la véritable autonomie affective. Elle recommence la scène plusieurs fois jusqu’à ce que son regard soit à la fois direct et doux en même temps, tandis que son visage devient détendu et souriant.

Elle finira par lancer fermement et gentiment, non plus comme une petite fille butée mais comme une petite fille joueuse:

– Bob, je suis désolée de te contrarier, j’ai bien entendu que tu ne voulais pas, mais moi je veux ! « 

Cette fois, le ton était juste. Laurence était douce, ferme, ludique. C’était léger et pourtant sans appel.

Elle se tourne vers le thérapeute, amusée, satisfaite et étonnée: « C’est aussi simple que ça? ».

Catherine Hervais

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