Une jeune femme téléphone ce matin. Elle a 28 ans et elle est juriste. Elle travaillait dans un cabinet d’avocats jusqu’au jour où, à cause de son addiction alimentaire, ne pouvant s’empêcher de faire des boulimies au travail, la direction lui a demandé de prendre un congé pour se faire soigner.
S’est posé alors pour elle la question : comment et par qui se faire soigner ? Elle a déjà tenté sans succès beaucoup de choses, consulté plusieurs médecins nutritionnistes, un psychiatre, un psychothérapeute. Elle s’est même faite hospitaliser dans un service spécialisé dans les troubles alimentaires. Mais rien de tout cela n’a été concluant, elle fait toujours autant de boulimies. Sous la pression de ses parents et sur le conseil du psychiatre responsable du service dans lequel elle a été hospitalisée (il la suit toujours en ambulatoire), elle s’apprête à faire un nouveau séjour à l’hôpital.
Je lui demande ce qu’elle espère d’une seconde hospitalisation. Pas grand-chose reconnaît-elle. Elle sait, pour l’avoir vécu, qu’une prise en charge thérapeutique s’appuyant principalement sur le contrôle alimentaire ne lui sera pas utile. Mais ses parents ne lui laissent pas le choix : ou bien elle y retourne, ou bien ils ne la soutiennent plus.
En cherchant sur Internet, elle a découvert le site boulimie.fr. Elle me dit que le langage qu’elle y a trouvé lui a parlé immédiatement. Elle me demande si je connais des psychothérapeutes ou des psychiatres dans sa région qui aborderont son problème avant tout comme un problème d’identité, sans s’occuper de sa conduite alimentaire. Elle a tout à fait compris et même elle sent intuitivement que ses boulimies ont à voir avec un sentiment d’insécurité intérieure.Je lui explique l’intérêt pour elle de commencer par chercher un psychologue ou un psychiatre qui soit également psychanalyste ou psychothérapeute. La plupart des gens ne le savent pas, mais, même si leur diplôme leur permet d’utiliser le titre de psychothérapeute, il ne suffit pas d’être psychologue ou psychiatre pour avoir une compétence de psychothérapeute. Par expérience je sais qu’il existe des professionnels qui adoptent spontanément et intuitivement une posture thérapeutique. Mais cela reste tout à fait exceptionnel. Pour acquérir cette compétence il faut avoir fait une formation extrêmement pointue sur l’écoute1. Cette formation à l’écoute est indispensable car chez tout être humain, il y a ce qu’on dit consciemment, de bonne foi, mais il y a aussi ce que dit l’inconscient, sous la forme symbolique de symptômes corporels ou de troubles du comportement. Et l’écoute de ce qu’exprime l’inconscient nécessite cette formation tout à fait spécifique. De plus, s’il y a tout un tas de symptômes que l’on peut et même que l’on doit attaquer de front avec une approche médicale pour les faire disparaître, il y en a d’autres que l’on ne peut pas soigner directement parce qu’ils ont une fonction trop importante pour l’inconscient. Seuls des psys réellement formés à l’écoute de l’inconscient peuvent accompagner une personne dans ce type de travail.
J’ajouterai que même un psy confirmé peut se sentir en difficulté face à une personne boulimique s’il n’a pas dans sa formation étudié l’évolution affective qui s’élabore pendant la période de la toute petite enfance. Si la plupart des gens sont plus ou moins « névrosés » selon le concept de Freud, les personnes qui ont une addiction alimentaire, quand à elles, ont un fonctionnement psychique différent, lié à une problématique dite de l’« attachement », qui se met en place au tout début de la vie (même si les dysfonctionnements peuvent apparaître seulement à l’adolescence ou à l’âge adulte). Elles sont souvent très intelligentes, avec une vie sociale et professionnelle souvent réussies, paraissant avoir, de l’extérieur, une excellente communication avec pratiquement tout le monde. Mais sur le plan de la communication intime elles sont comme des nourrissons perdus dans un monde d’adultes. Des frustrations surdimensionnées, parfois incompréhensibles par leurs proches, les exposent à des difficultés de contact lorsque l’affectif est en jeu. Ces personnes devront être abordées différemment des autres en thérapie et on ne fera pas la même psychanalyse ou la même psychothérapie avec quelqu’un qui a des conflits de type « névrotique » qu’avec quelqu’un qui a un « manque à être » tel qu’il ne peut vivre qu’en se « cramponnant » à quelqu’un et/ou à une substance pour ne pas perdre l’équilibre.
Pour ne plus avoir autant besoin de l’autre (ou d’un produit substitutif qui permet d’éviter le contact) ces personnes ont à apprendre à s’écouter, à s’affirmer sans être bousculantes ou intrusives et à se faire confiance sans systématiquement dépendre de ce que pensent les autres. Pour ce faire, l’espace de la psychothérapie est un terrain d’expérimentation très formateur à condition donc que le psy ne soit pas simplement un miroir, mais aussi quelqu’un avec qui on expérimente une relation totalement authentique de part et d’autre. Comme me l’a dit un jour une personne à la recherche d’une psychothérapie : « Ce que j’attends d’un psy c’est de l’honnêteté, de la transparence et du franc parler ».
A la fin de notre échange, il m’a semblé que la jeune femme avait, intuitivement en tout cas, bien compris le sens de mes propos. Elle me dit qu’elle mesurait plus précisément le parcours psychologique qu’elle avait à faire pour aller mieux, mais aussi pour chercher par elle même le psy avec qui elle choisira d’entreprendre sa prochaine psychothérapie.
1 Pour le psychanalyste la formation comporte une psychanalyste personnelle suivie d’une psychanalyse didactique, accompagné d’une formation théorique et d’une supervision. Tout cela prend autour de dix ans. Pour un psychothérapeute, la formation comporte une psychothérapie personnelle d’une an et demi à trois ans puis une formation théorique auprès d’une organisme reconnu de formation à la psychothérapie, dont 250 heures d’enseignement de la psychopathologie et enfin un temps de supervision de la pratique.
Sur le même sujet voir également les articles : La psychanalyse, oui mais.., Boulimie et hypersensibilité et Suis-je borderline?
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