Joyce McDougall et addiction: la boulimie vue par une psychanalyste

Joyce Mc Dougall et addiction. Au début des années 90, j’ai fait la rencontre d’une femme boulimique, devenue ma compagne que j’ai voulu aider. Non parce qu’elle mangeait trop (cela m’était égal) mais surtout parce qu’elle était très souvent absente à tout ce qui se passait autour d’elle et parce qu’elle avait d’elle une image très dévalorisée, malgré sa créativité et ses multiples talents. Il se trouve — et je l’ai découvert un peu plus tard  — qu’elle avait de bonnes raisons pour ne pas se faire confiance parce qu’elle était très instable émotionnellement et avait une fragilité bien réelle, malgré la force qu’elle dégageait extérieurement aux yeux de tous. J’ai vite perçu que la nourriture était son moyen de s’échapper du réel, de sa vie, d’elle-même.

J’ai cherché un peu partout des livres en français sur cette pathologie. Je ne trouvais que des guides pour mieux maîtriser l’alimentation, le poids ou bien des ouvrages assez compliqués écrits par des Professeurs en nutrition ou en psychiatrie selon lesquels le problème était complexe, multi factoriel, mais dont le traitement, selon eux, devait s’appuyer principalement sur l’apprentissage et la maîtrise du comportement alimentaire.

Vivant entre Paris et San Francisco durant cette période, je me suis rendu compte que la littérature américaine sur ce sujet était pratiquement identique à ce que je pouvais lire en France. Je ne trouvais aucune piste de traitement autre que l’apprentissage et la gestion nutritionnelle, renforcés, en cas de difficulté à maintenir le contrôle, par une psychothérapie ou une psychanalyse.

La médecine et l’addiction…

Dévorant, à mes heures gagnées, philosophie et psychanalyse, je trouvais archaïque la vision déterministe de la médecine à l’égard de la boulimie. En revanche j’étais très intéressé par celle d’un médecin avant-gardiste, Claude Olievenstein, qui révolutionnait en France la thérapeutique des toxicomanes par une approche humaniste. Il essaya de comprendre ce qui peut pousser quelqu’un à prendre des substances toxiques et à se détruire lentement. Ma compagne me disait qu’elle aurait bien voulu, elle aussi, que les thérapeutes fassent cette démarche avec elle. Elle se demandait pourquoi on n’essayait pas d’avoir avec les boulimiques la même approche que celle de Olievenstein avec les toxicomanes.

Et puis je suis tombé sur un ouvrage d’une psychanalyste franco-néo-zélandaise, Joyce McDougall, qui elle aussi s’était lancée sur la piste de l’addiction. C’est d’ailleurs elle qui a ramené ce terme dans le vocabulaire français parce qu’elle trouvait que le mot  « toxicomanie » n’était pas approprié. Il ne rendait compte que du problème neurophysiologique des drogués tandis que le mot anglais  «addiction» permettait de donner du sens, ou en tout cas de nommer le processus psychologique de l’acte de se droguer. Dès lors, l’addiction pouvait aussi concerner d’autres domaines que les drogues dures, tels l’alcool, les médicaments, le sexe, l’état amoureux etc.

Voici ce qu’elle dit lors d’une entretien paru dans la revue « Carnet/Psy » (N°67 p. 20-21)¹: «J’ai introduit, en France, le terme d’addiction qui est venu préciser et pour étendre la notion de toxicomanie. Les personnes qui souffrent d’addiction n’ont pas le désir de s’empoisonner, mais celui de trouver quelque chose de bon, qui devient mauvais par la suite quelquefois, comme pour l’alcoolique. Mais c’est avant tout la recherche d’un état de calme que le sujet ne peut pas se donner à lui-même. Lacan avait compris que l’anorexie était une addiction : «une addiction à être vide, à avoir faim et à jouir de cet état.»

Suivant elle-même la piste d’un autre psychanalyste, Winnicott, l’addiction pour Joyce McDougall n’était généralement pas une affaire de jouissance mais un « substitut maternel ». «Les enfants possèdent souvent un objet transitionnel qui leur permet de supporter la séparation d’avec leur mère. Ceux qui ont échoué à trouver un objet transitionnel le trouvent plus tard dans l’addiction». Aussi, écrivait-elle, « l’objet d’addiction sert d’objet transitionnel, incarnant la présence maternante et maternelle (…). L’objet d’addiction a toujours la même fonction : réussir à calmer le corps et l’esprit que le sujet n’arrive pas à calmer en ayant recours à ses objets internes.» (qu’il s’agissse d’alcool, de drogue, de nourriture ou de ce qu’elle appela aussi « addiction à l’autre).

Une «toxicomanie» sans drogue, la boulimie

C’est à la lecture de « Les Toxicos de la Bouffe » de Catherine Hervais que j’ai enfin trouvé la boulimie associée elle aussi à l’addiction. Cet ouvrage n’était pas centré sur le symptôme, mais sur la personne qui avait besoin de ce symptôme pour s’apaiser. Je me suis enfin laissé totalement regarder les choses sous cet angle concernant ma compagne. D’autant que, cela me sautait maintenant aux yeux, ses troubles du comportement et ses rituels avec la nourriture étaient accompagnés d’autres troubles. Son humeur était comme assise sur un grand 8 de fête foraine. Elle avait des difficultés à oser dire des choses aussi simples que «non» ou «oui», par peur de déplaire, des façons fréquentes de prendre la fuite ou d’exploser à la moindre contrariété… D’évidence, cette somme de comportements inadaptés à la réalité et souvent douloureux pour moi étaient reliés à sa boulimie. Mais ils n’en étaient pas la conséquence, ils en étaient la source. Ils ne s’envoleraient pas avec un traitement s’appuyant sur la volonté, même accompagné par le plus éminent des nutritionnistes ou des médecins comportementalistes. Comme l’exprimait Joyce McDougall, et comme le disait également Catherine Hervais à Bernard Pivot (cf. la séquence vidéo ci-jointe), ma compagne était, sur un plan affectif, plus proche du bébé que de l’adulte, même si, socialement parlant, aux yeux des autres, elle fascinait pas son équilibre apparent et sa force..

J’ai senti qu’il fallait aller vers cet ailleurs pour entrevoir le sens de l’addiction alimentaire, suivre la piste tracée par Freud et élargie par ceux de ses successeurs qui se sont penchés sur les troubles affectifs de l’enfant en très bas âge (dont Boris Cyrulnik aujourd’hui). Et c’est donc de ma rencontre avec l’auteure de l’ouvrage « Les toxicos de la bouffe », une psychothérapeute, à la fois généreuse et iconoclaste, qu’est né boulimie.fr en novembre 2002. Se sont joints assez rapidement le Dr. Sydney Gourdet ainsi que les plumes d’autres psychothérapeutes et écrivains. Ainsi trouverez vous dans boulmie.fr de très nombreux articles, des témoignages vidéo, des clefs pour vous aider à prendre votre problème à la racine afin de réussir à vous débarrasser de votre obsession à la nourriture mais aussi et peut-être d’abord, d’apprendre à vivre en paix avec vous-même et parmi les autres.

Je profite de cette date anniversaire pour mettre en ligne un court extrait d’une émission de « Bouillon de Culture » de Bernard Pivot interviewant Catherine Hervais datant de ces années préhistoriques où l’on ne se doutait pas qu’il puisse y avoir d’autre addiction que l’ « appel » physiologique d’un produit dont on devenait l’esclave. En cette même période et pour la première fois en France, on découvrait une « toxicomanie » sans drogue, la boulimie, grâce au film « Eating ou le dernier secret des femmes » où l’on voit des femmes belles, minces et intelligentes exprimer clairement leur addiction à la nourriture.

¹ Carnet/Psy no 67 Page: 20-27 Entretien avec Joyce McDougall

 

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