Est-ce qu’il faut se comprendre pour s’aimer ?

J’ai un besoin viscéral de me sentir comprise

Nous sommes dans un groupe de thérapie. On n’y parle pas boulimies (la boulimie n’est que le symptôme de quelque chose de plus profond), on n’y parle pas du passé (parce que de toutes façons, quand on est mal dans sa peau on est en prise directe avec lui), on parle de soi. Lili se lance:

« Moi je ne sais pas du tout ce que je ressens. Je suis avec mon copain depuis un an et demi. Je l’ai rencontré quand j’ai débarqué à Aix. A cette époque je n’avais que lui, pas de famille, j’étais en fin d’études et je n’ai vécu que pour lui. Il passait son temps avec ses copains, je le suivais partout. Mon but c’était d’être aimée de tous, même de sa famille — je faisais tout pour me faire adopter par sa grand-mère ! Dès que je ne m’entendais pas avec quelqu’un c’était la fin du monde. Je voulais passer pour la fille idéale. J’étais très enflammée, avec des grandes idées pour deux. Lui, au contraire de moi était hyper terre à terre et un peu trop passif à mon goût »..

Il faut que ça cogne pour qu’elle se sente vivante
« Après, pour le boulot je suis allée travailler à Lyon qui est à une demi-heure en train. Donc je faisais des aller-retour.

Je passais d’un monde en vase clos où tout était centré sur lui à un monde où j’étais obligée de m’ouvrir un peu aux autres. Je me rends compte que j’étais pas si mal que ça avec d’autres personnes et qu’il me manque quelque chose avec mon copain. Parce que si tout est bien sur le papier avec lui, je ne me sens pas aimée comme une femme… – Vous ne le désirez plus ? demande la psy. Si, je le désire, mais je pense qu’il ne m’aime pas assez. Il n’est pas passionné. Il me dit qu’il est content et répète souvent « on s’entend bien c’est chouette ». Mais je ne ressens pas qu’il m’aime : c’est pas le genre de mec qui va m’emmener sur un coup de tête à Venise. »

Comme toute les personnalités « borderline », comme Marilyn Monroe (sur laquelle nous avons fait un édito Lili a une personnalité tout ou rien, blanc ou noir. Tout est fabuleux ou minable. En amour, elle ne peut aimer que dans la passion, sinon elle s’ennuie. Il faut que ça cogne pour qu’elle se sente vivante, il faut qu’on la devine même quand elle ne sait pas elle-même ce qu’elle veut..

Le besoin viscéral d’être compris, une dépendance affective ?
Lili s’exclame avec aplomb sur le ton d’une victime rebelle : « Tout est centré autour de lui. Tout tourne autour de son plaisir. Il ne prend jamais en compte mes désirs à moi. Il n’admet pas qu’une fois de temps en temps j’ai envie de rester sur Lyon avec mes nouveaux copains, que j’ai envie de faire des choses qui ne le concernent pas. Bref, il ne me comprend pas ». Tandis qu’un psy classique laisserait peut-être Lili tourner en rond dans la plainte ou bien ponctuerait : « vous avez besoin d’être comprise ? », le psy de ce groupe choisit de prendre position avec une intervention chaleureuse mais percutante.
– Vous vous mettez à sa disposition pendant quelques mois et après vous lui reprochez les bonnes habitudes que vous lui avez données.
– Oui, c’est vrai, reconnaît-elle.

En général les psys ne prennent pas position, mais avec la plupart des patientes boulimiques anorexiques qui sont très souvent prisonnières de leurs croyances, il est parfois nécessaire de les amener à stopper net certains de leurs « disques rayés » avec une intervention parfois brutale, pour qu’elles ouvrent les yeux sur ce qu’elles font.
Le psy enfonce encore le clou :
– Et qu’est-ce qui vous fait penser qu’il est nécessaire de se comprendre pour s’aimer? Les personnes bien dans leur peau vivent leur vie sans chercher absolument l’absolution de celle ou de celui qui partagent leur vie.

Lili ouvre de grands yeux interloqués. Elle se redresse et esquisse un sourire vaguement ironique comme si la question lui paraissait déplacée. Puis son visage change progressivement d’expression comme si elle voulait bien considérer la question du psy. Et si elle était effectivement dans un « délire » dépendant, si elle en demandait trop ? Et si, comme l’écrit John Gray, les hommes venaient effectivement de Mars et les femmes de Vénus et n’étaient pas à même de pouvoir se comprendre ? Elle repense tout à coup à son amie Myriam qui lui conseillait y a quelques jours les livres de cet auteur selon lequel l’homme et la femme appartiendraient à deux planètes différentes et ne parleraient pas le même langage. Il aurait donc le droit de ne penser qu’à lui sans chercher à la comprendre ? Elle aurait le droit de l’aimer et néanmoins de n’écouter que ses propres envies ? Lili baisse la tête. La psy lui demande à quoi elle pense.

« A John Gray… Et aussi à mes parents. Je les aime énormément. Eux aussi m’aiment plus que tout et pourtant nous ne nous comprenons pas, dit-elle avec un sourire qui semble cette fois résignée à envisager que l’amour ne se conjugue peut-être pas avec le besoin de fusion..

La séance de Lili nous amène à réfléchir sur la psychothérapie et sur les processus qui sont parfois nécessaires pour avancer. Il n’est parfois pas suffisant de s’exprimer avec authenticité sur ce qu’on ressent de sa relation ses proches. Il faut parfois aussi se remettre en question avec une grande humilité quand le psy met les points sur les « i». Bien sûr ce dernier le fait très prudemment en s’appuyant sur sa solide formation de psychothérapeute dans le but de ne pas laisser son patient patauger pendant plusieurs années dans ses fausses croyances, pour gagner du temps. Après tout, ce sont nos croyances qui déterminent nos émotions et nos comportements de la vie de tous les jours. Bien sûr, elles nous viennent de nos émotions d’enfant. Mais elles ont souvent besoin d’être ré questionnées à l’âge adulte afin que le patient réussisse à s’ajuster à son présent.

Les personnes dépendantes ou « borderline » n’ont donc pas seulement à s’exprimer authentiquement et librement : il leur faut aussi accepter de remettre en question leurs croyances les plus anciennes, notamment, dans le cas de Lili, celle qui consiste à penser, comme l’écrivait Saint Exupéry, que s’aimer c’est toujours « regarder ensemble dans la même direction »..

La quête de Lili pour l’amour et la compréhension dans ses relations révèle une profonde introspection sur la nature de l’amour et de la dépendance affective. La thérapie de groupe lui offre un espace pour explorer ses sentiments et ses croyances, tout en étant confrontée à des perspectives qui remettent en question ses hypothèses fondamentales sur l’amour et la compréhension mutuelle. Lili, comme beaucoup, associe l’amour à la passion et à une connexion intense, mais la sagesse partagée dans le groupe suggère que l’amour peut aussi exister dans l’acceptation et l’autonomie. L’amour ne nécessite pas toujours une fusion ou une compréhension totale de l’autre, mais plutôt un respect mutuel et une appréciation des différences de chacun. Lili est amenée à réfléchir sur la possibilité que l’amour puisse être exprimé et ressenti de diverses manières, et que la compréhension de soi et l’indépendance émotionnelle peuvent être des clés pour naviguer dans les complexités des relations interpersonnelles. La remise en question de ses croyances et l’exploration de nouvelles perspectives sur l’amour et les relations pourraient être le premier pas vers une guérison et une croissance personnelles pour Lili.

 

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