Devenir adulte
Le vide est une sensation plus ou moins angoissante selon les gens. Pour les bouddhistes, elle est source d’appaisement.
L e vide est une sensation plus ou moins angoissante selon les gens. Pour les bouddhistes, elle est source d’appaisement. Pour certains, elle est totalement insupportable au point qu’ils ont besoin d’une addiction (alcool, drogue, boulimie…) pour essayer de lui échapper. Heureusement, elle n’est qu’un symptôme duquel une thérapie bien ciblée permet se distancier…
Etre adulte ou être libre ?
Martine, l’une des jeunes femmes à qui nous avons donné la parole ci-dessous — à l’encontre de Brel et de ceux qui veulent rester scotchés à l’enfance pour préserver leur liberté — nous dit s’être sentie vraiment libre lorsqu’elle a commencé à devenir plus adulte, à avoir dans la vie une attitude moins attentiste. L’enfant ne peut échapper à la dépendance parce qu’il est obligé de compter sur l’autre. Pour se sentir libre, il ne faut plus se sentir dépendant de l’autre nous dit-elle : « (Maintenant….) je peux attendre des choses de moi. Ce que je veux faire ne restera pas forcément dans le domaine de l’abstrait, de l’irréel, du « j’aimerais bien mais… » ou du « ça serait bien si… ». Je suis passée de la rêverie à l’action concrète et je préfère cette dernière; elle me fait moins souffrir, elle est moins décevante, plus sûre. »
Etre adulte pour être libre.
Mais ce n’est pas facile de s’autonomiser, ce n’est pas simple d’échapper aux conditionnements de l’enfance. Pour de ne pas fuir dans le silence ou dans la violence il faut du courage, une éducation, un auto-entraînement car nous sommes perpétuellement sollicité par notre passé selon la psychanalyse pour qui l’âge adulte est illusoire. Même lorsque nous croyons penser par nous-mêmes, nous obéissons à nos pulsions qui ont intérêt à nous faire prendre telle ou telle position intellectuelle. Toute pensée originale serait, en fouillant bien, en relation avec des shémas parentaux (ou contre-parentaux). Nos supposées pensées d’adulte sont conditionnées par nos désirs et nos souffrances d’enfant. L’âge adulte serait donc illusoire ?
Nous sommes dans un groupe de thérapie. La seconde journée du week-end se termine. Séverine, vingt-cinq ans demande la parole.
Souvent devant mes élèves j’ai peur de rougir…
« J’ai peur de parler depuis hier, dit-elle d’une voix apeurée et enfantine. J’ai honte de dire mon problème. Depuis le début de la thérapie, dans ma vie privée, je m’améliore, mais dans mon travail ça va de moins en moins bien. Je me rends compte que je suis soumise et que je n’ai pas grandi dans ma tête. J’ai vingt-cinq ans — je suis professeur de biologie dans un collège — et quand je me retrouve dans ma classe j’ai encore l’impression d’être une adolescente. De la sixième à la quatrième, j’arrive à peu près à prendre ma place, mais en troisième, c’est de plus en plus dur. Tout ce que j’entends de la part de mes élèves, je le prends comme si j’étais au même niveau qu’eux. L’autre jour une élève de sixième disait à sa voisine : « t’as vu la sale tête de la prof ?». Ça m’a blessée pour la journée. Quand ma Principale s’adresse à moi ou face à des collègues plus vieux, je m’écrase, je me sens toute petite… Souvent, devant mes élèves je sens que je vais rougir parce que l’un d’eux a dit quelque chose qui m’a touchée. Alors je cherche dans mon sac, je vais dans le fond de la salle…».
Martine intervient. : « Moi aussi je suis prof et ça m’arrivait souvent. Mais ça a bougé. Dans ces moments-là, pour m’apaiser, je me disais : tant pis, je rougis mais je suis moi et j’en ai le droit. Ça m’apaisait d’un coup et je repartais. »
Moi je n’ai plus peur de mes élèves, dit Martine.
Jeune professeur de philosophie, Martine non plus, en début de thérapie ne réussissait pas à s’affirmer face à ses grands élèves. Maintenant c’est différent. Elle explique:
« L’année dernière, avant de commencer la thérapie, j’avais l’âge de mes élèves avec, en plus une immaturité totale. J’étais complètement dépendante d’eux, obsédée par ce qu’ils pouvaient penser de moi. Je me demandais tout le temps si j’étais une bonne prof. Mais j’ai changé. Depuis cette année j’ai pris du recul. Je ressens qu’on n’a pas le même âge, qu’il y a un décalage entre eux et moi. Et d’ailleurs quand un élève m’a invitée à sortir récemment, ça m’a fait tout bizarre, alors qu’avant ça ne m’aurait pas paru absurde… Je vois très bien que j’ai grandi : j’ai une attitude plus bienveillante avec eux, presque maternelle maintenant. Je me sens être là pour leur apprendre quelque chose, alors qu’avant je ne pensais qu’à la manière dont ils allaient me juger . Aujourd’hui je me sens dans mon rôle et pourtant je ne joue pas. Tout me paraît plus normal. ».
Je détestais avant l’idée de devenir adulte
Martine marque une pause et reprend : « Je me sens adulte parce que je me sens enfin raisonnable », « normale », « modérée ». Et j’emploie particulièrement ces trois mots parce que c’était peut-être ceux que je détestais le plus avant. Ça ne m’attirait pas du tout, mais alors pas du tout, d’être « raisonnable », « modérée » ou « normale » et je n’étais d’ailleurs rien de tout cela ! Alors qu’aujourd’hui, ce sont ces nouveaux aspects de ma personnalité qui me procurent le plus de joie, de paix, de douceur.»
Etre adulte, pour Martine, n’implique pas l’ennui ou l’austérité mais au contraire une ouverture et un bien-être.
« Je me sens adulte aussi en ce que je me sens dans la réalité, dans la réalité active. Je me rends compte de plein de choses, d’évidences qui, avant, m’échappaient : je ne suis pas la seule à avoir des problèmes, chacun a à faire face avec sa vie et fait ce qu’il peut . Cette prise de conscience me relie aux autres. Avant, il n’y avait que moi qui existais, que moi qui étais malheureuse, coupable ou frustrée, les autres n’étant là que pour me regarder, me juger, me distribuer éloges ou blâmes, punitions ou récompenses. J’ai réalisé que je ne suis pas le centre du monde, que les autres s’occupent peu de moi sauf quand ils se sentent eux-mêmes concernés par quelque chose que je dis ou que je fais.
C’est agréable de se sentir « modérée », « normale »
Quelle liberté, quelle paix, d’un coup ! Lorsque quelqu’un ne m’appelle pas pendant une longue période, ça ne veut plus forcément dire qu’il m’en veut à mort, que j’ai fait quelque chose de mal. Lorsque mon copain se fâche contre moi je me dis qu’en fait ce n’est pas vraiement contre moi. Un conflit entre les autres et moi ne me paraît plus si terrible — alors qu’avant c’était la catastrophe, à laquelle il me semblait que je ne survivrais pas. Maintenant au contraire je vois les conflits comme normaux, une nouvelle preuve que je suis dans la vie. Cela ne veut pas forcément dire que j’ai commis une irrémédiable faute, que je vais être démasquée et qu’on va m’exclure de l’humanité Non, un conflit entre deux personnes, ayant des opinions et valeurs différentes, si elles sont raisonnables et responsables, c’est quelque chose qui peut être réglé.
Quelle liberté, quelle paix d’un coup !
Car de tout ça découle effectivement un sentiment de responsabilité et une certaine solidité : la sensation de pouvoir m’appuyer sur moi et d’être assez forte pour que d’autres – quelques autres, s’appuient aussi sur moi. J’ai la sensation que je peux attendre des choses de moi. Ce que je veux faire ne restera pas forcément dans le domaine de l’abstrait, de l’irréel, du «j’aimerais bien mais… » ou du « ça serait bien si… ». Je suis passée de la rêverie à l’action concrète et je préfère cette dernière ; elle me fait moins souffrir, elle est moins décevante, plus sûre. » .
C’est ça, en fait, qui est très nouveau pour moi et que je n’aurais pas pu prévoir : cette révélation qu’il peut y avoir un vrai bonheur dans la réalité la plus banale, qu’être simplement soi-même c’est merveilleux, que renoncer à ses rêves d’absolu, c’est plus un gain qu’une perte.
Accepter de ne pas tout contrôler
Être adulte, pour finir, c’est donc voir et accepter les choses telles qu’elles sont, et soi-même tel que l’on est, renoncer à ses idéaux illusoires, accepter de voir enfin qu’ « une pomme est une pomme est une pomme… », qu’il pleut quand il pleut et que l’homme est (d’abord, ou aussi, je ne sais pas comment dire) un animal. (Je dis ça parce que plus je regarde les gens, plus je me dis que nous sommes vraiment des animaux – ceci sans aucune connotation péjorative).
Tout ce changement en moi, c’est grâce à la vie active, à mon métier de prof, mais surtout grâce à la thérapie. La confrontation avec 30 élèves, ça aide à se remettre en cause, mais ça n’aurait pas suffi. Ç’aurait même sans doute été une catastrophe sans certains moments forts qui m’ont aidé, dans les groupes, à ouvrir les yeux. Notamment Annick, très forte pour échapper à ses émotions avec ses raisonnements. Elle s’était entendu dire par les autres du groupe qu’elle n’était pas un être humain mais un robot, qu’elle ne regardait que son trou du c., qu’elle ne parlait pas avec les gens mais échangeait des informations. Ça m’a bien secouée et j’ai réalisé que j’étais comme elle ! Et puis Véronique qui demandait sur un ton geignard à son mari qu’il veuille bien enlever son peignoir du lit. Elle a finalement appris, dans un jeu de rôle, à le dire fermement et doucement, de manière à être entendue et sans geindre (édito nov 05 ). Je me souviens du jeu de rôle de Sylvie et de sa femme de ménage à qui elle n’osait pas dire ce qui n’allait pas et qui, dans un jeu de rôle s’ est exercée à prendre un ton gentil, non blessant. Je me souviens d’une autre qui s’est entendue dire par le thérapeute : « si tu manques d’assurance face aux élèves c’est peut-être que tu fais des choses dont tu n’es pas fière dans ta vie personnelle : fuir, mentir… ». Effectivement c’est l’enfant qui fuit ou qui ment, en principe, pas l’adulte.
Etre adulte pour se sentir réellement exister
Quand j’étais petite, avec mes camarades de jeu, je mimais les adultes avec mes poupées : vêtements chics, chéquiers, clefs de maison, enfants, et toute la panoplie. Mais être adulte, ce n’est pas seulement une attitude, c’est aussi une sensation. En tant qu’adulte, finalement, je me sens plus indépendante qu’avant, plus responsable, dans la vie, dans la réalité. Je dois me forcer, souvent, pour accepter cette réalité, pour résister au réflexe de la fuite, du rejet. Kant disait qu’il faut du courage pour être adulte. Il faut le courage de prendre la décision de la liberté de pensée. Et en même temps, quand on a goûté aux fruits de ce courage-là (autonomie, liberté, une impression très agréable de normalité) on n’a plus envie de revenir en arrière. Tout à coup je pense à celui qui a écrit le livre sur la psychanalyse de Marilyn Monroe (Dernières séances) et qui disait, citant quelqu’un je crois, que le bonheur consistait à se sentir réellement exister (ce qui n’était pas le cas de Marilyn selon lui)..
Au final maintenant, j’ai une attitude moins attentiste qui me permet de lâcher plein de choses, de prendre du recul. Je me sens plus d’assise et plus de poids, et en même temps, merveilleux paradoxe, bien plus légère ! Une chose est sûre en tout cas : je m’amuse et ris beaucoup plus depuis que je suis (plus) adulte! » .
Martine marque une pause et dit à mon attention :
« Puisque tu veux faire un édito sur être adulte, peut-être pourrais-tu souligner cette idée : que ce n’est pas triste d’être adulte, c’est beaucoup plus reposant, sympa et motivant que d’être un enfant rebelle ou un enfant modèle… »
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