Lors d’une émission radio, sur Europe 1, le Professeur Philippe Jeammet, spécialiste de l’anorexie, répondait aux questions d’une journaliste pour commenter le témoignage en direct d’une femme de 48 ans qui avait souffert de boulimie et qui s’en était sortie.
{xtypo_quote_right}Le matin la journée me semblait invivable, insupportable, je ne savais pas si je pouvais la finir{/xtypo_quote_right} Après trente ans de silence, de peur, de honte et de boulimies, quand la journaliste lui demande si, depuis sa thérapie (terminée depuis deux ans), elle est plus heureuse qu’avant, elle répond: « JE SUIS HEUREUSE !. Je n’avais pas été heureuse avant. J’ai découvert une vie apaisée, avec la confiance; je sais ce que je vaux, je connais mes points faibles, mais je sais aussi quelles sont mes qualités, je n’ai plus peur de la vie, j’y ai ma place et je n’ai plus un gouffre sous mes pieds.
Avant, quand je me levais, il fallait que j’enjambe un gouffre qui se creusait au fur et à mesure de la journée. Le matin la journée me semblait invivable, insupportable, je ne savais pas si je pouvais la finir. Or maintenant je suis contente d’avoir une longue journée devant moi. J’y mets ce que moi je suis. Je n’ai plus d’angoisse. «
Un appétit d’autre chose
Selon Philippe Jeammet, la boulimie est un appétit d’autre chose que de la nourriture avec de grandes envies, de grandes attentes affectives et une mauvaise image de soi.Ce qu’attendent les personnes boulimiques, nous dit-il, c’est un plaisir fusionnel avec l’autre. Elles ne réussissent pas à trouver la bonne distance avec ceux dont elles ont tant besoin. Comment être proche et s’abandonner sans disparaître dans l’autre, sans tomber dans la dépendance ? Il y a la force des désirs, mais aussi celle de la frustration et plus on est frustré, plus le désir paraît immense et incontrôlable. Alors on mange avec avidité, comme pour trouver dans la nourriture ce besoin de fusion qu’on ne réussit pas à trouver dans la relation humaine.
« Ce n’est pas RIEN, la boulimie« , nous dit encore Philippe Jeammet, » ce n’est pas le VIDE c’est un TROP PLEIN », nous dit-il. C’est l’excès des attentes, la violence des envies, l’intensité des désirs, l’écart entre l’envie et une réalité qui déçoit. La déception qui crée ce sentiment de vide, avec une férocité de l’appétit, une rage, et l’enfermement, propres à la toxicomanie. On s’enferme dans le produit ou dans le comportement alors que la solution ne peut venir que du lien, de la rencontre avec l’autre ».
Trop plein d’envies…
« Il faudrait pouvoir déplacer ce que l’on vit avec la nourriture sur la relation amoureuses ou affective », dit-il encore, mais ce n’est pas possible parce que la rage empêche les boulimiques de vivre dans la relation. La rencontre les effraie en même temps qu’elle les tente, parce qu’elles ne se sentent pas à la hauteur, parce qu’elles ont peur d’être déçues, parce qu’elles ont peur du trop d’intensité de leur sentiments…
Plus on est frustré , plus le désir paraît immense et incontrôlable. Et c’est cet engrenage, ce cercle vicieux, qu’il faut rompre en recréant des liens tolérables avec les autres. Ceci suppose tout un travail sur les limites. Le Professeur Philippe Jeammet propose donc de faire un travail sur la rage et les limites pour aider les boulimiques-anorexiques à créer des liens tolérables avec les autres.
Il s’inscrit dans un schéma psychanalytique classique, la boulimie serait donc une conduite pathologique qui relève d’un « trop plein » d’envies.
… ou trop plein de vide ?
Mais ont-elle un « trop plein d’envies » comme il nous le suggère ou un « trop plein de vide » comme nous le laisserait plutôt entendre un autre psychanalyste dont nous vous avons souvent parlé dans boulimie.fr: Winnicott? En parlant d’envies, de désir, de plaisir, Philippe Jeammet s’inscrit dans une pensée psychanalytique classique : tout est lié au complexe d’oedipe, à la sexualité. Et si la boulimie était la manifestation d’une personnalité pré-oedipienne ? Et si Winnicott avait raison ?Si les personnes boulimique-anorexique n’en étaient pas encore à l’envie mais beaucoup plus basiquement au besoin. Si elles n’avaient simplement besoin que d’une chose : qu’on les prenne dans les bras comme un tout petit enfant pour les consoler de leur vie, pour les rassurer ?
A les écouter attentivement, elles semblent plutôt vides de leur identité qu’elles n’ont pas réussi à construire, elles ne se sentent pas exister, elles n’existent pas encore tout à fait. Elles semblent vides d’un univers personnel qui leur permettrait de troquer leurs besoins de bébé contre des envies d’adulte.
Partagez l’article sur: {module 131}