Quand on a un problème d’addiction, on ne se sent pas exister pleinement et on a besoin d’un produit pour avancer. Même si l’on sait que l’addiction est toxique, on ne lui résiste pas parce qu’on en a littéralement besoin pour… survivre.
Pour s’en débarrasser, il ne suffit pas de s’en sevrer (sinon elle revient au galop tôt ou tard). Il faut apprendre à vivre, se remettre en question, cesser de tricher (par exemple cesser de faire comme si telle chose n’était pas grave alors qu’elle nous affecte profondément ou cesser de feindre de se sentir très bien dans sa peau alors qu’au fond, on est totalement indisponible).
Les jeux de rôle
Les jeux de rôles sont des exercices incontournables pour se remettre en question.{xtypo_quote_right}Boris Cyrulnik dit qu’on devient souvent et vraiment adulte vers cinquante ans, quand on n’en veut plus à ses parents et qu’on a compris que ce sont des gens comme tout le monde. Avec une thérapie ça peut venir plus vite … {/xtypo_quote_right}Inventés par les créateurs des nouvelles thérapies (Moreno pour le psychodrame, Berne pour l’analyse transactionnelle, Perls pour la gestalt), ils se pratiquent généralement en groupe ou peuvent aussi se faire en séance individuelle (le patient et le thérapeute se donnent alors la réplique ou bien le patient joue les deux rôles d’une situation conflictuelle de sa vie relationnelle).
Ressentir l’émotion et la mettre en scène
Ces exercices sont d’une grande efficacité parce que l’inconscient ne fait pas de différence entre la « vraie vie » et les jeux de rôle lorsque ceux-ci mettent en scène les émotions authentiques. Avec les jeux de rôle on se rend mieux compte de ce que l’on fait et de ce que l’on ne fait pas (quelque fois le thérapeute filme pour que la personne se voit sur un écran), ce qui permet de découvrir en somme qui on est et qui on et qui on n’est pas.
Enfin – avantage que les jeux de rôles ont sur la psychothérapie analytique classique : ils permettent aussi d’expérimenter et de s’entraîner à faire ce que l’on ne sait pas encore faire.
En donnant aux gens la possibilité de sortir très rapidement de leurs « disques rayés » et aussi de leur nombrilisme (un nombrilisme de souffrance, mais un nombrilisme tout de même), les jeux de rôle font entrer de plain pied dans la réalité et sont plus que précieux pour les personnalités addictives qui n’ont pas de temps à perdre.
Julie jouait à la fille pas timide
Dans l’édito de décembre, je vous parlais de la violence refoulée d’une jeune femme, Clotilde, qui avait réussi à s’affirmer grâce à un jeu de rôle.
Pour commencer la nouvelle année, je vais vous parler d’une jeune femme, Julie, qui, au contraire de Clotilde, ne laisse jamais rien voir de sa timidité. Elle se donne des airs très assurés et est persuadée d’être très douée dans le contact.
« Moi je m’affirme très bien, je suis très sûre de moi, je n’ai aucun problème de contact », dit-elle un jour dans un groupe, « et pourtant c’est le vide dans ma vie affective! ».
Pour voir comment elle se comporte dans le contact avec l’autre, le thérapeute l’invite à choisir dans le groupe quelqu’un qui lui donnera la réplique et pose le cadre : » vous ne vous connaissez pas, vous êtes seules toutes les deux dans un wagon pour un très long voyage, le temps se fait long et vous entrez en contact ».
» Bonjour « , dit Julie d’une voix ferme et avenante, l’œil lumineux, un sourire à la Jean-Pierre Foucault. « C’est un peu long l’attente ! »..
» Oui » dit la fille d’en face, » c’est un peu long « .
» Oh ! ponctue Julie, j’espère que ça passera vite ! Sans laisser de pose elle enchaîne, avec des yeux écarquillés : « vous allez où après ? »
« Je retourne sur Sens après « .
Julie poursuit aussitôt : « Ah oui ? J’aime bien Sens. Je connais, j’y ai habité ! »
Le thérapeute coupe le dialogue et dit à Julie : « Ce que tu appelles toi un contact correct n’est pas un contact correct: tu la fixes des yeux, tu bois ses paroles, tu la bombardes de questions. En quoi tu considères ce contact correct?
Elle répond: » Il fut un temps où j’avais peur du silence. Là, quand je lui posais des questions, c’était par intérêt plus que par peur du silence »..
D’accord, dit le thérapeute, « sous prétexte que tu n’as plus peur, que tu t’intéresses à ton interlocutrice, tu crois bien faire. Mais la manière dont tu t’intéresses est beaucoup trop avide ! « .
La fille d’en face confirme ce que dit le thérapeute: elle ne s’est pas sentie à l’aise.
« En fait », poursuit le thérapeute, « ce que tu appelles un contact normal n’est pas un contact normal mais une recherche de plein contact, alors qu’il n’y a pas lieu, dans ce contexte, de chercher le plein contact. A la limite, un contact correct, authentique, avec quelqu’un que tu ne connais pas, ce serait un contact où transparaîtrait un peu de timidité, où tu n’aurais pas l’air trop à l’aise. Reprends la scène en mettant un frein à ton avidité et en étant beaucoup plus réservée ».
Julie recommence avec un peu plus de réserve, mais dit « Bonjour » la première et enchaîne tout de suite sur « Vous descendez à Sens? ».
Le thérapeute : « Pourquoi lui demander tout de suite où elle descend ? Tu cherches un truc à dire? ».
» Oui « , admet Julie ..
Le thérapeute : « C’est donc de la séduction ? » (au sens large bien sûr). S’adressant au groupe : « Etre dans la séduction, c’est le meilleur moyen de ne pas être séduisant ». A Julie : « Reprends la scène encore une fois. »
» Bonjour » dit Julie.
Le thérapeute : « Et d’abord pourquoi dis-tu Bonjour la première ? Tu es chargée d’une mission ? « . Julie sourit. Le thérapeute l’invite à recommencer. Cette fois Julie se détend, ne regarde pas tout de suite la personne en face d’elle et attend un long moment l’opportunité d’un contact. On sent bien que son visage est « ouvert » et non enfermé dans toutes sortes de pensées statégiques
C’est finalement la fille d’en face qui dit le « Bonjour » la première. Julie fait un sourire charmant et contenu à la fois et c’est encore la fille d’en face qui poursuit:
» C’est long «
Julie dit simplement » oui » avec un visage avenant et réservé à la fois et ajoute sans se presser pour répondre: « Avec un peu de chance le temps passera vite ». La personne d’en face, visiblement à l’aise, reprend la conversation et dit : « Vous faites souvent ce trajet ? « …
Julie s’aperçoit qu’elle est totalement elle-même à n’être pas leader dans une conversation. Elle se sent beaucoup plus détendue et décontractée. Et le dialogue peut continuer agréablement :
Julie : » … Non pas souvent «
La fille d’en face: Moi je vais jusqu’à Sens… »
Julie se rend compte, en jouant ce jeu de rôle, que ce ne sont pas les informations qui sont importantes dans une conversation, mais le non- verbal, la détente, la décontraction, le laisser-faire. En voulant mener le jeu, elle ne regardait pas vraiment l’autre, elle ne s’écoutait pas vraiment non plus. En laissant émerger sa timidité, en ne cherchant pas tout de suite une question ou une réponse pour rendre le moment intéressant, elle s’aperçoit qu’elle est plus à l’écoute d’elle-même et de l’autre.
L’exercice laisse de la place aux silences, mais Julie ne se sent pas vide. À la fin du jeu de rôle, son visage s’illumine. Elle sent qu’elle a compris quelque chose de très important pour sa vie relationnelle future et elle l’exprimera un ou deux mois plus tard à son thérapeute, dans une carte de vœux qu’elle lui adressera:
» Cher X…, je vous envoie une petite carte pour vous dire que mes résolutions pour 2005 sont de laisser paraître ma timidité. Je vous souhaite une bonne année et une bonne santé. A bientôt. »
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