La boulimie est toujours vécue comme un « tsunami » intérieur contre lequel on ne peut pas lutter. Elle peut durer des années comme n’apparaître que dans les moments de la vie où l’on se sent plus vulnérable. Dans un cas comme dans l’autre elle est envahissante et inquiétante.
Que l’on fasse beaucoup de crises ou pas, que l’on se fasse vomir ou pas, on est prisonnier d’une idée fixe et, en dehors des heures de travail où l’on se sent à peu près à sa place (ce n’est pas le cas pour tout le monde) on regarde défiler sa vie sans se sentir concerné. Tout demande une énergie folle : se contrôler pour ne pas craquer, trouver des prétextes pour aller manger, attendre la nuit pour faire des crises dans la clandestinité mais aussi écouter les autres, répondre ou non à leur demande, essayer de vivre à peu près normalement.
Lorsque la boulimie dure des dizaines d’années, le corps souffre de différentes façons. Les régimes « yoyo », les variations importantes et rapides du poids, sont épuisants.Pour les personnes qui se font vomir très souvent, le corps peut être carencé au point de mettre en danger les processus vitaux, comme dans les cas les plus sérieux de l’anorexie1.
Les psy entendent souvent « je ne pense pas être boulimique parce que je ne me fais pas vomir ». Ces personnes pensent que, de ce fait, leur cas est moins sérieux. En réalité elles souffrent parfois davantage que les autres parce que les kilos peuvent s’amasser d’une manière impressionnante. Elles peuvent passer en quelques semaines d’une taille 40 à une taille 50…. A côté de la douleur mentale de voir son image se déformer considérablement et la honte de n’avoir pas réussi à se contrôler, il y a aussi les douleurs physiques du corps qui enfle rapidement. Une jeune femme se plaignait que ses cuisses grossissaient de jour en jour au point de lui faire mal quand elle les touchait. Après chaque boulimie son ventre la faisait extrêmement souffrir. Elle se mettait parfois à genoux devant le lit, l’appuyant contre le matelas pour tenter de combattre la douleur. Certains ont mal dans la poitrine, dans le cou. Certains encore, ne réussissant pas à vomir, sollicitent parfois l’hôpital pour un lavage d’estomac. Je me souviens d’une très jeune femme qui désespérée s’était jetée par la fenêtre après une très grosse crise de boulimie. Ayant entendu du bruit ses parents sont sortis pour voir ce qui se passait, et la trouvant par terre ils ont crié « elle va mourir ! Elle va mourir ! ».
Mais beaucoup plus tard, quand elle me raconta cette histoire, elle me dit qu’après sa chute, allongée sur le sol, elle s’en fichait de savoir si elle allait mourir ou pas. Elle voulait juste qu’on la fasse vomir.
Je garde aussi en mémoire le récit d’une jeune femme, enseignante, gravement blessée après un accident de moto. La perte d’un œil, de nombreuses fractures, l’ont immobilisée à l’hôpital pendant plusieurs mois. Tandis qu’elle me faisait le récit de cette histoire elle ne semblait pas très affectée par la perte de son œil. À ma grande surprise elle se réjouissait de son immobilisation forcée. Un tuyau dans la gorge la mettait dans l’impossibilité de faire des boulimies. Elle se réjouissait d’avoir perdu ainsi beaucoup de poids. Avant son accident elle n’était pas grosse mais après son hospitalisation, bien qu’ayant perdu un œil, elle me dit que jamais elle ne s’était sentie aussi belle et aussi heureuse qu’à cette période-là.
Il est fréquent de voir en consultation aussi des personnes qui reconnaissent avoir une belle vie, un travail intéressant, un ou une partenaire formidable et qu’elles ne souffrent pas tant que ça. Elles se demandent même si une thérapie est nécessaire quand elles comparent leur problème aux histoires dramatiques présentées à la télévision ou dans les magazines. Elles ne sont pas tellement dérangées par la boulimie et la garderaient bien si elles ne craignaient pas pour leur poids ou pour leur santé. Elles sont contrariées par le temps et l’énergie qu’elles lui consacrent mais ce n’est pas de la boulimie dont elles se plaignent, c’est de ses conséquences. Elles consultent pour leur difficulté à gérer leur poids et ne voient pas que cette difficulté est sous-tendue par un enfermement mental complexe dont elles ne souffrent pas dans la mesure où finalement la boulimie est un pansement anesthésiant.
La manière dont chacun vit la boulimie peut être très différente selon les personnes. Certaines souffrent plus que d’autres. Certaines n’en sont victimes que pendant quelques mois seulement. Mais que l’on souffre beaucoup où que l’on ne souffre pas tellement, que la boulimie dure des mois ou des années, au moment où elle est là on se sent dépassé par un problème qu’on ne maîtrise pas, dont on a absolument besoin de se débarrasser très vite pour lequel on aimerait bien être aidé.
Toute l’équipe de boulimie.fr espère que vous trouverez dans les nombreux articles de ce site des réponses qui vous permettront de mieux trouver votre direction.
1 Les personnes boulimiques en sous-poids qui se présentent à l’hôpital pour demander de l’aide ont souvent, dans un premier temps, besoin d’être réalimentées comme si elles étaient anorexiques.
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