Travail sur la peur du contact
Dans un groupe de thérapie, Jeanne. prend la parole.« Ce mois-ci j’ai plongé plein de fois très bas.
Dans un groupe de thérapie, Jeanne. prend la parole.
« Ce mois-ci j’ai plongé plein de fois très bas. Je me suis sentie au fond du gouffre » dit-elle avec un accent de rage et des sanglots étouffés dans la voix. « …j’ai plus envie d’être douce, j’ai plus envie d’être gentille, j’ai plus envie d’être polie, j’ai plus envie de ne plus mentir.
J’ai envie d’être tout le contraire. Et par dessus ça, en plus, j’ai honte, j’ai honte, j’ai honte tout le temps. J’ai honte de dire que je vais pas bien alors que je fais tout pour aller bien, j’ai honte de faire des crises, j’ai honte de ne pas aimer ma fille correctement, j’ai honte de ma mère alcoolique, j’ai honte d’être fatiguée. Quand j’ai envie de glander chez moi, j’ai honte d’avoir envie de glander… et j’ai même honte de dire tout ça ! »
{xtypo_quote_right}Derrière une addiction se cache la peur, de multiples peurs{/xtypo_quote_right}Pour Jean-Jacques Rousseau la honte est un effet de la culpabilité. Selon lui : « qui rougit est déjà coupable. La vraie innocence n’a honte de rien ».
Mais de quoi C. serait-elle donc coupable ? De quoi était-elle déjà fautive quand, toute petite, elle rougissait lorsque sa maman la suspectait de mentir alors même qu’elle n’avait pas fait ce dont elle était soupçonnée ? Aussi loin qu’elle s’en souvienne, elle se sentait déjà coupable de ne pas être conforme à ce que sa mère attendait d’elle.
La psychiatrie voit la honte comme l’une des deux émotions principales (avec la peur) de la phobie sociale et la définit comme « …la conviction de ne pas avoir pu se conformer aux règles du groupe avec la certitude de s’en trouver dévalorisé et diminué. » On ne supporte pas des actes aussi simples qu’ « …être regardé (ou se croire regardé) pendant que l’on accomplit quelque chose, ou même sans rien faire de précis : marcher, manger, boire, écrire, conduire, se garer, etc. »
La boulimie, une phobie sociale ?
La boulimie serait-elle aussi le symptôme d’une phobie sociale? A priori, les personnes qui en souffrent semblent, pour nombre d’entre elles, plutôt très affirmées. Elles peuvent même briller par leur réussite sociale. Reste que l’hypothèse mérite tout de même d’être soulevée parce qu’à y regarder de très près, ceux qui les connaissent très intimement savent bien à quel point elles ont peur du regard de l’autre et aussi combien elles ont honte de ce qu’elles sont..
Comment se désengluer d’un sentiment qui remonte à si loin, que l’on a connu toute sa vie et qui ressurgit constamment dans le présent ?.
Les psychiatres cognitivo-comportementalistes, outre le traitement médicamenteux qui semble parfois justifié, associent une psychothérapie rationnelle avec des mises en situation (expositions in vivo graduées selon des règles précises de durée, de progressivité et de régularité.) Il s’agit, pour simplifier, de s’approcher de plus en plus près de ce que l’on redoute jusqu’à ce que l’on finisse par surmonter sa peur.
Les psychanalystes sont plus partagés dans la mesure où la honte, selon eux, peut avoir deux explications et nécessiter deux approches différentes. Selon qu’elle est une émotion névrotique venant d’un « refoulement sexuel », ou bien selon qu’elle fait partie d’un syndrome plus archaïque, « pré œdipien » et renvoie à la question de l’impossible séparation (d’avec la mère), on ne traite pas la personne de la même façon. Dans la première éventualité, l’approche analytique classique peut être très efficace, mais dans la seconde, lorsque la honte vient d’un problème narcissique (la personne se regarde tout le temps même si c’est pour se trouver « moins que rien ») la psychanalyse reconnaît ne pas être l’approche la mieux adaptée..
Que faire alors ? Comment soigner une personne qui se déteste à ce point ? Comment l’aider à sortir de son processus destructeur. Peut-elle améliorer l’image qu’elle a d’elle-même ? Peut-elle cesser de se regarder en permanence et se juger?
La honte, une forme de narcissisme ?
En fait, l’expérience montre que lorsque la honte est une émotion plus archaïque avec une forte dimension narcissique, liée à un problème basique d’identité, la psychothérapie humaniste de groupe (on traite la personne pas ses symptômes) peut donner d’excellents résultats.
Revenons à C. qui vient d’exprimer sa honte dans le groupe. Le thérapeute lui propose une mise en situation qui va consister non pas à raisonner sur les aspects dysfonctionnels de sa honte mais à s’accepter avec sa honte. Il lui demande de se placer tour à tour devant chaque personne du groupe, de la regarder dans les yeux, de dire : « j’ai honte de moi devant toi » et de vérifier du regard que la personne l’a réellement entendue.Elle se lance.Rapidement, au bout de quelques personnes, l’émotion émerge et la submerge. Elle reste un instant à pleurer sans pouvoir continuer. Le thérapeute la laisse vivre cette émotion et au bout d’un instant lorsque C. commence à s’apaiser, il lui demande ce qui se passe. Elle répond que c’est très dur..
Le thérapeute lui propose néanmoins de continuer le tour : en exprimant cette phrase elle s’approprie son émotion, elle s’assume dans sa réalité du moment, elle se « prend » telle qu’elle est et en même temps elle s’affirme telle qu’elle est. Mine de rien elle se retrouve en train de faire un travail d’affirmation de soi qui ne peut qu’amplifier son estime d’elle-même.
Son visage se détend, sa voix s’affermit
En effet, contre toute attente, après s’être exprimée ainsi devant une quinzaine de personnes, le visage de C. se détend et sa voix s’affermit. Le thérapeute lui demande à nouveau ce qu’elle ressent. Elle répond qu’elle a moins honte, que le fait de regarder chaque personne dans les yeux lui permet de se positionner dans une authenticité et une affirmation de soi dont elle s’étonne elle-même. Le thérapeute lui propose alors de continuer l’exercice avec une phrase qui renforce encore ce travail d’affirmation de soi : « honte ou pas, je suis comme toi, j’ai le droit de vivre ».
Toujours en regardant chaque personne dans les yeux, à tour de rôle, C. dit cette nouvelle phrase, avec une voie de plus en plus tonique.
C. finit son tour avec une expression de joie sur le visage. Oui, honte ou pas, elle a le droit de vivre !
Ce n’était qu’un exercice, mais comme l’inconscient ne fait pas la différence entre le réel et l’imaginaire, l’expérience que C. a vécu dans le groupe « à chaud » va marquer profondément son esprit, sa vie émotionnelle future, ses vécus relationnels et transformer l’image qu’elle a d’elle-même.
L’expérience montre en effet que dans ces problèmes de honte identitaire, comprendre ne permet pas de guérir. Bien au contraire, à l’approche plus traditionnelle psychanalytique, qui consiste usuellement à faire renaître le passé afin de l’élucider, a tendance à légitimer la présence du symptôme et à le verrouiller (même le champs de l’analyse ne s’attache pas au travail du symptôme). En revanche un tel travail d’exposition, qui incorpore les éléments du changement (expérimentation, répétition, émotion) permet de dépasser le problème, en l’occurrence s’approprier durablement l’estime de soi.
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