Boulimie et obésité : Distinction psychologique et non psychiatrique

Dans cet article audio présenté par Catherine Hervais, nous allons tenter une distinction psychologique, non psychiatrique, de la boulimie et de l’obésité.

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D’un point de vue psychologique, la différence entre boulimie et obésité se situe principalement dans la dynamique psychique sous-jacente à chacun de ces deux troubles du comportement alimentaire (TCA). Ils se ressemblent, mais si la psychiatrie a tendance à les confondre, la psychanalyse permet de leur donner un sens différent, nécessitant en psychothérapie deux approches distinctes. Voici un éclairage sur la différence entre boulimie et obésité, du point de vue strictement psychologique.

Nous savons que la boulimie, comme l’hyperphagie boulimique, est, d’un point de vue psychanalytique, une lutte contre l’angoisse et un énorme vide intérieur. La boulimie est souvent associée à une personnalité affectivement immature. Même si la personne boulimique a extraordinairement bien réussi sur le plan social, et même si, de l’extérieur, elle semble avoir réussi à gérer une famille qui, grâce à elle, est très épanouie, au fond d’elle-même, elle perçoit un vide insupportable.

Elle ne se sent ni bien dans sa peau ni dans sa vie et comble ce vide intérieur en utilisant la nourriture, comme d’autres utilisent la drogue ou l’alcool pour le combler. Parfois, la nourriture ne lui suffit d’ailleurs pas, notamment lorsqu’elle traverse un moment de panique ou lorsqu’elle se trouve dans une réunion de travail, entre amis, ou à une fête. Dans ces cas, elle consomme de l’alcool en plus, auquel s’ajoute parfois, pour les plus jeunes, de la drogue pour canaliser une tension extrême.

Même entourée d’amour et d’attention, cela ne l’empêche pas de ressentir un manque affectif profond. La personne est toujours en quête de reconnaissance et de réconfort, ce qui, de toute façon, ne lui suffit jamais, car elle n’a pas d’estime de soi, elle se sent inutile, inintéressante, transparente. En réaction, au fil des années, elle s’est construit une identité d’emprunt, qui conjugue la perfection dans tous les domaines de la vie, au point de paraître très équilibrée et de faire l’admiration de tous.

Mais à y regarder de plus près, la boulimie peut être perçue comme une forme de régression à une phase orale, selon Freud et surtout le psychanalyste Ferenczi, où l’individu cherche à retrouver la sécurité primitive qui lui a manqué quand il était nourrisson.

La boulimie, qu’elle soit accompagnée de phases anorexiques ou de phases hyperphagiques, frôle par moments l’obésité, mais en général, les personnes qui en souffrent s’arrangent pour maigrir, tant elles sont sensibles au regard des autres. Quand une personne boulimique devient obèse, c’est qu’elle a renoncé à plaire, ce qui, pour elle, signifie qu’elle est en dépression.

Quant au concept d’obésité, il n’a qu’une définition descriptive, liée à un trop grand nombre de kilos. C’est la raison pour laquelle la psychanalyste Joyce McDougall a choisi d’emprunter aux Anglo-Saxons le mot « addiction » pour décrire ce comportement. L’addiction, du point de vue étymologique, signifie esclavage. Elle est le symptôme d’une angoisse profonde et surdimensionnée qu’on ne peut pas laisser remonter à la surface sans risquer un effondrement mental.

Il est à noter que l’obésité et la boulimie ne relèvent pas systématiquement du même TCA. Les obèses ne sont pas tous boulimiques et n’ont pas tous un manque d’estime de soi. Ils ne ressentent pas tous un vide intérieur insupportable. Ils ne se sentent pas obligés d’endosser l’apparence d’une personne hyper équilibrée et talentueuse pour cacher leur sentiment de honte et tenter d’être pris en compte par les autres.

Certains obèses ont aussi un comportement compulsif avec la nourriture, mais ce n’est pas toujours le cas, car certaines formes d’obésité ont des causes essentiellement organiques. L’obésité, du point de vue psychologique, peut également être vue comme un symptôme reflétant une défense contre une vulnérabilité psychique. Dans ce cas, le corps peut devenir une sorte de « carapace » ou de protection contre la sensualité, permettant au sujet le déni de ses émotions. Le surpoids, dans ce cadre, peut représenter une manière de rendre les émotions inconscientes « concrètes » et d’empêcher l’accès à des traumatismes enfouis.

L’obésité est souvent liée à des conflits autour de la dépendance et de l’autonomie. Contrairement aux personnes boulimiques, le sujet obèse pourrait, par exemple, se sentir submergé par des désirs ou des attentes non formulées, et le corps devient alors un lieu où ces tensions internes s’expriment, sans que le sujet ait une véritable prise de conscience de la source du conflit.

Différence fondamentale entre boulimie et obésité sur le plan du corps et des pulsions

Boulimie :

Le rapport au corps est souvent marqué par un excès suivi d’une tentative de maîtrise (comme les vomissements dans la boulimie vomitive ou les restrictions alimentaires après les crises dans d’autres formes de boulimie). Le sujet boulimique est en perpétuelle oscillation entre la recherche de satisfaction et la peur panique de déplaire, reflétant un grand malaise existentiel.

La personne vacille alternativement entre besoin, plaisir et dégoût. Mais elle n’éprouve pas de désir au sens où elle absorbe tout ce qui lui plaît, aussi bien sur le plan alimentaire que relationnel. Aussi intelligente et douée soit-elle, derrière son personnage d’emprunt, c’est un bébé dans un corps d’adulte, un bébé qui ne désire pas encore, mais qui s’accroche à tout ce qui peut lui procurer du bien.

Obésité non boulimique :

Dans l’obésité, quand il ne s’agit pas de boulimie, le corps grossit sans que le sujet ressente un besoin compulsif de maîtriser cet excès. Le corps devient une enveloppe gênante et protectrice, dit-on. Mais contrairement à la boulimie, l’obésité, quand elle n’est pas organique, ne relève pas d’une errance identitaire ni d’un sentiment de vide ou de peur. Dans l’obésité, la pulsion alimentaire, une fois l’apaisement passé, n’est pas suivie de sentiments intenses de culpabilité pathologique. La personne obèse se sent coupable, mais pas au point de se détester ou de gâcher sa journée.

Les psychanalystes, ainsi que certains spécialistes en neurosciences, diraient que la boulimie est liée à un manque de sécurité ressentie (mais pas nécessairement réel) dans la toute petite enfance. Tandis que l’obésité non boulimique, qui ne dépend pas d’un dysfonctionnement hormonal, est un symptôme de type plutôt névrotique.

Souvent, les personnes obèses qui ne sont pas boulimiques n’ont pas une personnalité marquée par des humeurs changeantes et extrêmes. Leur personnalité est relativement équilibrée, contrairement à celle des personnes boulimiques ou hyperphagiques-boulimiques, qui se sentent absentes à elles-mêmes et décalées par rapport aux autres. Bien que leur poids leur pose de nombreux problèmes pratiques, les obèses non boulimiques peuvent malgré tout avoir de l’estime de soi.

Obésité boulimique :

C’est très différent quand l’obésité est liée à la boulimie. Ces personnes obèses ne ressentent aucune estime de soi, ni même un véritable sentiment d’identité. Elles aussi peuvent réussir brillamment dans la vie sociale, être des hauts potentiels, et pourtant, comme les autres personnes boulimiques non obèses, elles alternent entre ennui et dépression, cachant leur honte derrière une bonne humeur apparente.

Le rôle de l’enfance dans l’obésité liée à la boulimie :

D’un point de vue psychologique, les obèses qui sont boulimiques ont ressenti, comme les autres personnes boulimiques non obèses, voire très minces ou maigres, un manque de sécurité dans la petite enfance.

Boris Cyrulnik, le célèbre neuropsychiatre qui a écrit de nombreux ouvrages, notamment sur la résilience, a beaucoup insisté sur l’importance d’un noyau sensoriel sécurisé dans les mille premiers jours de la vie. Il souligne que même si l’on a de bons parents, si ces derniers sont stressés par leur environnement, ils transmettent involontairement leur stress à leur bébé, qui ressent une insécurité sensorielle et de la peur. Cette insécurité sensorielle du bébé peut marquer la personne à l’âge adulte et se manifester par des troubles comme la boulimie et l’obésité.

Psychothérapie de l’obésité

Lorsqu’une personne obèse non boulimique veut maigrir, elle peut commencer une psychothérapie cognitive. La psychothérapie comportementale et cognitive (TCC) aide à modifier les pensées et les émotions qui empêchent de se prendre en main et de décider de perdre du poids pour rester en bonne santé.

En revanche, lorsqu’une personne est obèse et boulimique ou hyperphagique-boulimique, et qu’elle est trop déprimée pour avoir des comportements compensatoires (comme alterner crises de boulimie et phases de restriction drastique, ou qu’elle n’a pas l’énergie pour faire du sport intensif), la thérapie cognitive et comportementale, dans sa forme de consultations individuelles hebdomadaires de 45 minutes, ne suffira pas. Dans ce cas d’obésité liée à la boulimie, la personne obèse devra abandonner son personnage d’emprunt et partir à la recherche de son identité authentique.

Dans la pratique clinique, on voit bien que la différence entre boulimie et obésité est liée à la structure de personnalité sous-jacente à chacun de ces troubles. Quand boulimie et obésité sont associées, le travail en psychothérapie consiste à aider, en groupe, les personnes obèses à se sentir elles-mêmes, détendues face aux autres, sans honte.

Après une psychothérapie de groupe centrée sur la recherche de leur identité, on peut souvent observer qu’elles ne sont plus obsédées par la nourriture. Elles parviennent à perdre du poids sans trop de difficulté, car elles ont trouvé un équilibre identitaire. La nourriture n’est plus leur seul exutoire.

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