Pourquoi le sevrage et la TCC ne suffisent pas toujours et comment bâtir une véritable sécurité intérieure
Le rôle décisif de la famille et du groupe dans l’estime de soi Comprendre le besoin de béquille
Sans cause organique, l’addiction aux substances se guérit par sevrage et par l’acquisition d’une sécurité intérieure et d’un sentiment de soi, grâce à la thérapie familiale ou de groupe. Le groupe non pas pour soutenir mais pour s’exercer à devenir soi face aux autres.
Écrire sur l’addiction sans substance, c’est décrire un silence intérieur plus assourdissant que n’importe quel vacarme de fête. Ces patients sont souvent brillants, cultivés, parfois adulés.
Quand leur biochimie va bien ; leur vide existentiel, lui, hurle intérieurement en silence. Tant que ce gouffre demeure, le compulseur fait office de plancher. Le premier mouvement thérapeutique reste le sevrage accompagné d’une TCC : repérer les déclencheurs, différer l’acte, respirer plutôt que céder. On coupe le réflexe, on sécurise le corps. Pourtant, je l’ai vu cent fois : si l’on s’arrête là, la pulsion change seulement de travesti. Une compulsion pour une autre, et le patient revient épuisé, honteux, persuadé d’être un cas désespéré. Bâtir la sécurité intérieure La bascule survient lorsque la personne commence à sentir son propre poids sans paniquer : entendre son cœur battre, tolérer le silence, accueillir l’émotion qui monte sans courir vers le frigo ni vers le bar. J’appelle cela la sécurité intérieure ; c’est une conquête presque cellulaire. En séance individuelle, nous déterrons les affects bruts : la frayeur archaïque, la tristesse sans nom, l’élan de joie aussitôt censuré. Chaque émotion nommée rend l’air respirable. Petit à petit, le patient découvre qu’une angoisse peut traverser son thorax sans le faire exploser. Alors l’urgence addictive recule : on ne mange plus pour se remplir, on ne boit plus pour s’anesthésier, on vit le moment – brutal parfois, mais vivable. Ces instants de présence ne sont pas spectaculaires ; ils valent de l’or, car ils prouvent que l’on peut demeurer chez soi, même quand la maison intérieure grince. Cultiver l’estime de soi en relation Sentir le sol ne suffit pas ; il faut encore apprendre à marcher parmi les autres. C’est là que la psychothérapie systémique ou le groupe deviennent irremplaçables. Dans la constellation familiale, chacun décèle les loyautés invisibles qui le maintenaient dans la dépendance : l’enfant chargé de panser la mélancolie maternelle, l’aîné sacré gardien de la paix conjugale. En replaçant la responsabilité à son endroit, l’énergie de survie se libère. Le groupe, lui, sert de laboratoire vivant : on risque une parole authentique, on reçoit un écho sans effondrement, on mesure que la relation peut tenir bon malgré le désaccord. À force d’échanges, la voix se pose, le regard s’affermit, la posture se redresse. L’estime de soi cesse d’être un concept pour devenir un ressenti corporel : « Je vaux quelque chose, même imparfait. » Dès lors, l’addiction perd son dernier alibi ; elle n’est plus indispensable pour combler le vide ou pour tenir la façade. Le chemin n’est jamais linéaire. On avance, on recule, on repart. Mais chaque mètre parcouru libère une parcelle d’énergie qu’on n’a plus besoin de dépenser en défenses. Oui, le vide reviendra ; il appartient à la condition humaine. La différence, c’est qu’il ne sera plus confondu avec la fin du monde : on pourra le regarder, demander du soutien, attendre qu’il passe. Et quand un dimanche pluvieux s’écoulera sans besoin de manger, ou en étant capable de rester plus facilement sans le besoin de se shooter » même si par moment on traverse des phases de régression, on saura que la victoire est là : vivre suffit, sans artifice et sans vertige.
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Cette compréhension de l’addiction est aujourd’hui partagée par plusieurs figures majeures de la psychanalyse et de la psychologie contemporaine. En France, le psychanalyste Gérard Pommier a longuement travaillé sur la question du vide existentiel comme moteur des conduites addictives, notamment dans son ouvrage « Naissance et renaissance de la clinique psychanalytique ». Aux États-Unis, Otto Kernberg a décrit les personnalités dites borderline, souvent sujettes aux addictions, comme des structures en manque d’un sentiment stable d’identité. Peter Fonagy, quant à lui, insiste sur l’importance de la mentalisation dans le traitement des troubles de la personnalité et des dépendances, soulignant que l’incapacité à identifier ses émotions mène fréquemment à des conduites de type addictif. Joyce McDougall, dans « Théâtres du Je », a aussi mis en lumière le rôle de l’angoisse archaïque et du corps dans les addictions sans substance. Leurs travaux, chacun à leur manière, rejoignent ce que nous observons dans les groupes thérapeutiques : l’addiction est moins une maladie qu’un mode de survie, un signal d’alarme face à une absence de sentiment de continuité du moi. Lorsqu’on restaure ce sentiment, l’addiction devient inutile.
[1] Estime de soi : patients avec troubles de conduites alimentaires et phobiques sociaux – 17/02/08 Doi : ENC-2-2003-29-1-0013-7006-101019-ART5 R. EIBER [1], L. VERA [1], C. MIRABEL-SARRON [1],
J.-D. GUELFI [1] Vol 29 – N° 1 P. 35-41 – février 2003
[2] L’économie psychique de l’addiction, Joyce McDougall Dans Revue française de psychanalyse 2004/2 (Vol. 68), pages 511 à 527
[3] Boris Cyrulnik est un neuropsychiatre français connu pour avoir fait redécouvrir la psychanalyse en France et pour avoir vulgarisé, dans ses livres notamment, le concept de résilience. Ces ouvrages sur la capacité de l’humain à se reconstruire après les malheurs de la vie l’on fait devenir le psy préféré des Français.