Le mécanisme psychologique de l’addiction

Le mécanisme psychologique de l’addiction

L’addiction à une substance est-elle une manière éperdue d’essayer de déplacer la dépendance affective sur un objet non humain, afin d’éviter le chaos ?

L‘addiction à une substance est-elle une manière éperdue d’essayer de déplacer la dépendance affective sur un objet non humain, afin d’éviter le chaos ?

Jeanne BOYAVAL, (Gestalt-thérapeute diplômée par l’E.P.G. Diplôme universitaire en alcoologie Paris VI, superviseur Didacticien diplômée par le Centre d’Intervention Gestaltiste de Montréal) a écrit un article que nous trouvons passionnant et que avons décidé de vous transcrire en langage non psy pour que vous puissiez vous aussi réfléchir sur le sujet de l’addiction. Merci à Isabelle Thomas pour avoir si bien « traduit » l’article de Jeanne avec des mots qui peuvent être compris par la majorité d’entre nous. Cet article est important parce qu’il explique comment et pourquoi la Gestalt paraît spécifiquement adaptée pour résoudre la problématique des personnes addictives.

Comment naît le mécanisme de dépendance ?
Tout commence bien sûr par la dépendance du nourrisson à sa mère, puisque le nourrisson dépend totalement de la capacité de la mère de répondre ou non à la satisfaction de ses besoins élémentaires.

Peu à peu, la mère va s’absenter par périodes plus ou moins longues, et c’est dans ces premiers moments de « solitude », ce laps de temps, que le bébé va désirer sa présence, intérioriser l’absence, commencer à créer des images mentales , construire une représentation interne de sa mère, et donc, passer du besoin au désir (fantasme, symbolisation).

Dans certains cas, le lien n’a pas pu être intériorisé par le bébé pour différentes raisons (mère trop présente physiquement ou psychiquement intrusive, ne laissant ainsi pas le laps de temps nécessaire à la construction interne de l’imaginaire, ou mère trop brutalement ou précocement absente) ; sa représentation interne ne tient pas , il n’a donc pas de sentiment de sécurité et de confiance a priori ; toute absence de sa mère , et plus tard, de l’autre, est vécue comme une perte, voire un abandon. Le futur addictif, voulant se défendre de cette dépendance, ne pas en souffrir, s’interdira ainsi d’arrimer son propre désir au désir de l’Autre et tentera de se rendre tout à fait indépendant.

Or nous sommes tous dépendants de notre environnement, et c’est en l’acceptant que nous devenons des individus autonomes . Mais chez l’enfant futur addictif, toute absence étant vécue comme une perte, dépendre est trop douloureux. Bergeret dans « Toxicomanie et personnalité » écrit : « Le toxicomane privé de son objet rassurant se comporte comme un enfant qui aurait vu partir sa mère avant d’avoir pu acquérir la notion du temps, donc celle du retour. La mère a beau assurer à l’enfant qu’elle reviendra dans une heure ou dans un jour, le départ seul compte et il est perçu comme définitif en soi, sur la minute. C’est tout de suite que la mère doit revenir (elle ne peut donc pas s’absenter du tout) sinon prend aussitôt naissance une impression de perte définitive, faute de pouvoir intérioriser une image maternelle de façon satisfaisante, de pouvoir conserver en soi cette image sous une forme mentalisée de présence.»

L’adulte toxicomane : une tentative de déplacer la dépendance sur un objet contrôlable, qui vire à l’échec.

Par quel cheminement la personne addictive rejoue-t-elle avec sa drogue la situation inachevée de l’enfance?

Pour l’enfant puis l’adolescent qu’elle devient, le désir de l’Autre devient intolérable, car faute d’intériorisation du lien, c’est non pas un désir mais un besoin fusionnel, total, et puisque les êtres humains ne peuvent pas être en permanence « à son chevet », c’est l’expérience du manque et la souffrance d’abandon. Cependant l’être humain qu’il est ne peut vivre qu’en interaction avec son environnement et assujetti aux besoins élémentaires de reconnaissance, d’appartenance, et d’estime. Il est donc forcément dépendant de l’Autre ( lui-même désirant). Dilemme, donc…

Pour résoudre cette équation, le toxicomane va se débrouiller pour trouver le désir et le plaisir dans un objet qui reste totalement contrôlable et à sa merci : ainsi croit-il qu’il n’en dépendra pas puisqu’il le contrôle : l’objet inerte sera la drogue . Contrairement à un être humain, qui pourrait refuser de le voir, lui « échapper », la drogue est toujours « consentante » et à son bon vouloir. Le toxicomane se pense donc auto-suffisant avec son produit. Il tente d échapper à la souffrance de la dépendance affective ; mais rapidement, cette tentative se transforme en reproduction du problème initial: la personne est en manque et se retrouve à dépendre comme elle dépendait de sa mère et souffrir comme quand elle partait….retour au point de départ. Rapidement son produit va devenir un besoin vital au même titre que manger, boire, ou dormir. La dimension du plaisir n’existe plus à ce stade. Seuls persistent le manque et le besoin.

En voulant à tout prix devenir autonome on voit donc que le toxicomane se piège, confondant autonomie et autosuffisance. Mais l’autonomie tient compte et compose avec la réalité de l’environnement : on n’est autonome que par rapport à l’environnement. L’auto-suffisance, elle, est la tentative de composer sans l’environnement. La personne addictive devra donc faire le deuil de l’auto-suffisance pour apprendre à dépendre de son environnement et faire ce chemin de la dépendance à l’autonomie.

Réparer la situation inachevée du premier âge

Pour passer de l’auto-suffisance à l’autonomie via la dépendance, le plus opérationnel sera sans doute une psychothérapie relationnelle avec implication du thérapeute. Ce qui est en jeu étant le lien primaire à la figure maternelle il faudra laisser se déployer le « transfert » thérapeute/patient. Celui-ci permettra en effet de rejouer toutes les émotions et affects, car le patient sera « dedans » , émotionnellement pris, et permettra de réparer le lien , grâce à l’implication du thérapeute dans la relation réelle. On rejouera ainsi ce qui aurait dû se passer au premier âge, à savoir l’intériorisation progressive du lien, ce qui libèrera le patient de sa pathologie de l’attachement.

Le traitement passera donc bien par l’acceptation de l’attachement au thérapeute mais après avoir reconnu que le thérapeute fait se déclencher des affects et des réactions qui « miment » la problématique du patient. La situation inachevée sera complétée lorsque le client réussira à admettre être en lien avec un autre désirant, différent et différencié sans craindre la perte, l’abandon ou l’engloutissement. L’enjeu d’attachement est d’autant plus présent dans le traitement des toxicomanes qu’avec les opiacés le toxicomane a tenté de reproduire spécifiquement les sensations primitives du nourrisson. En effet ces drogues agissent sur les sensations tactiles de froid et de chaud, du plaisir et de la douleur qui sont les qualités sensibles primordiales et présentes dés le début de la vie psychique.

D’ailleurs, le corps est pour la personne addictive sa façon d’être-au-monde : il a remplacé les émotions et affects difficiles à gérer par les sensations qui lui permettent de se sentir exister. Lorsqu’il devient abstinent les sensations sont donc pour lui difficiles à identifier, jusque là il ne les percevait que parce que justement elles étaient conduites à leur paroxysme par le produit ou le manque de produit. Le travail sur l’ awareness corporelle (à savoir la prise de conscience, l’appréhension de son propre corps) et la question du toucher sont incontournables. Le travail en régression sera également important à un moment de la thérapie.

Jeanne Boyaval poursuit en soulignant l’importance du cadre de la thérapie (horaires, conditions…) manifestant le fait que l’environnement n’est pas à la disposition ou au « caprice » du patient, ce qui est important dans l’apprentissage par la personne addictive, du sevrage de son mode de fonctionnement fusionnel habituel. Elle note également l’importance du groupe , en tant que microcosme d’apprentissage du « vivre ensemble » qui fait défaut à la personne addictive.

Jeanne Boyaval conclut en répétant que les personnes addictives ont besoin de la présence patiente et indéfectible d’un thérapeute qui s’implique dans la relation pour travailler l’accordage affectif qui a manqué, et ainsi pallier leur incapacité au fantasme et à l’élaboration mentale. La prise en charge ne s’arrête d’ailleurs pas au sevrage d’avec le produit , car il est quasi systématique qu’ayant enfin pu réaliser le deuil de sa relation au produite, et donc fait l’expériece de la vraie séparation, le patient se retrouve dans un état dépressif avec la sensation de vide existentiel et identitaire.

Un long travail de sensibilisation à l’awareness corporelle permettra, lui, de renouer avec les émotions qui ne seront plus masquées par des sensations physiques extrèmes et provoquées. Enfin lorsque le lien avec le thérapeute sera suffisamment solide il sera temps d’accompagner ce client vers les autres et là aussi la Gestalt offre un outil incontournable de cette prise en charge : celui du groupe de thérapie .

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