Je pense donc je ne suis pas

Je pense donc je ne suis pas

Avez-vous remarqué combien, parfois, les personnes qui boivent, se droguent ou s’adonnent à une autre addiction ont souvent un regard négatif sur le monde ?

Avez-vous remarqué combien, parfois, les personnes qui boivent, se droguent ou s’adonnent à une autre addiction ont souvent un regard négatif sur le monde ? Rien ne va jamais, la vie est trop dure, les gens sont égoïstes… On a le sentiment qu’ils cherchent un état second pour fuir un stress, une angoisse de solitude, un sentiment d’abandon.

« Tu verras bien qu’un beau matin fatigué, j’irai m’asseoir sur le trottoir d’à côté… »dit Alain Souchon dans une chanson. Est-ce parce qu’on a »dans le cœur plus rien pour s’émouvoir »qu’on a besoin de s’échapper dans une addiction? Que cherche-t-on à fuir exactement ?

{xtypo_quote_right}Pourquoi certaines personnes passent-elles leur temps à se parler à elles-mêmes alors que d’autres, au contraire, se laissent vivre tranquillement sans se poser de questions.{/xtypo_quote_right}L’autre jour, une jeune femme ravissante consulte. Elle aurait pu être une héroïne hitchockienne : blonde, fine, droite, élégante, contenue, perdue. Elle m’explique, en me parlant presque à voix basse qu’elle a été tripotée par un homme quand elle avait huit ans. Son thérapeute précédent insinuait qu’elle avait peut-être été violée par son père. Elle poursuit en disant que cette idée la travaillait beaucoup, bien qu’elle refuse de l’envisager, et que tout cela, en tout cas, fait qu’aujourd’hui elle a peur des hommes, s’en méfie et se retrouve seule.

Les scénarios du présent font renaître le passé

Ne voulant pas la suivre sur son passé (ce n’est pas le passé qu’on guérit, c’est le regard que l’on porte aujourd’hui sur le présent en le décontaminant des scénarios du passé), je lui demande pourquoi elle se méfie des hommes aujourd’hui.

Elle me répond qu’elle n’aime pas voir du désir dans leurs yeux. Ne voyant pas comment un homme pouvait la regarder sans désir (elle est franchement lumineuse), je lui demande ce qu’elle attend d’un homme, dans une rencontre amoureuse : »qu’il ait d’abord simplement de la curiosité pour moi », me répond-t-ell.e

Ne voyant pas non plus comment un homme pourrait l’approcher avec curiosité sans manifester de désir envers elle et sans être, de ce fait, ou pervers ou homosexuel, je lui fais remarquer qu’elle se trompe de planète : ici, les hommes normalement constitués s’intéresseront  d’abord à son corps et ensuite à sa tête. Si elle refuse de regarder la réalité masculine en face, sans juger, juste telle qu’elle est, il est probable qu’elle restera seule encore longtemps.
Lorsqu’on est mal dans sa peau au point que l’on a besoin de s’arracher au quotidien par des »shoots »répétés, c’est souvent parce qu’on ne regarde pas la vie telle qu’elle est : on la voit au travers de tout un tas d’idées toutes faites qui tournent en boucle dans la tête et qu’on prend pour la vérité vraie.

« Moi j’étais hyper dans le jugement »raconte Anne Marie, notre témoignage vidéo de ce mois-ci (cf. notre rubrique des personnes qui s’en sont sorties). Anne-Marie ne voyait pas les gens tels qu’ils sont mais tels qu’elle croyait qu’ils étaient : »je voyais les gens comme des carapaces ». Par trouille, elle s’était pour elle-même construit un bouclier, et oscillait, dans le contact, entre agressivité et dissimulation (elle faisait le clown quand elle n’agressait pas).

Au fil de sa thérapie de groupe, son regard allait changer.

Au fil de sa thérapie (une thérapie de groupe) son regard sur les gens allait changer. Après avoir d’abord dit à certains qu’elle ne les supportait pas, elle allait découvrir qu’ils étaient très intéressants, en fait. : »ils étaient très sympas, ils souffraient autant que moi, ils avaient des autres autant que moi . Même dans la vie hors des groupe », nous dit-elle, « je ne juge plus les gens sur leur apparence, je n’ai plus d’a-priori ».

Des pensées toutes faites, récurrentes, qu’on porte avec soi comme des bagages trop lourds, sans se rendre compte à quel point elles distordent le regard que nous portons sur le monde, les boulimiques en ont plein : Clémence est continuellement habitée par »il faut faire bien, il faut mériter ». Karine pense, tout au fond d’elle, qu’elle est nulle, qu’elle est inférieure aux autres, que, quoi qu’elle fasse, ça ne marchera jamais. Patricia ne fait rien sans se demander avec angoisse ce que pensent les autres. Elle a toujours l’impression de faire les mauvais choix, de ne pas être à la hauteur. Ses pensées récurrentes tournent beaucoup autour de l’image qu’ont les autres d’elle.

Caroline, elle, ne se retrouve pas dans le fait de se sentir nulle. »Je suis boulimique depuis quinze ans, j’ai confiance en moi et en ma capacité. Quand j’ai une action à faire, je sais qu’elle sera bien faite. Je n’ai pas un sentiment de nullité. Mais par contre, je suis très centrée sur moi. Je veux que les choses se passent comme je veux et je me braque quand ce n’est pas le cas. Je n’ai pas d’intransigeance par rapport à moi, mais j’en ai par rapport aux autres. Je veux qu’ils fassent ce que je veux et qu’ils soient comme je veux qu’ils soient »reconnaît-elle.

Ne plus juger en termes de « bon » ou « mauvais »

Vous l’avez compris ce site défend l’idée qu’une thérapie appropriée ne travaille pas directement l’addiction. Certains centres de thérapie le font, mais il est probable que cela bloque toute l’énergie que les personnes addictives pourraient utiliser pour traiter leur vraie »maladie ». Pour venir à bout d’une addiction, il est urgent de modifier le regard que l’on porte sur le monde dans le présent et d’apprendre, petit à petit, à identifier ses peurs archaïques et ses pensées dysfonctionnelles. Il est nécessaire, pour guérir, de se construire un univers conceptuel et émotionnel en rapport avec la personne que l’on est aujourd’hui. C’est dans ce sens que travaille Marsha Mc Lineham, grande spécialiste de la thérapie cognitive avec les personnalités « borderline »aux Etats-Unis. Elle demande aux patients, par exemple, entre autres choses, de s’efforcer d’avoir dans leur vie une attitude non jugeante.

« Avoir une attitude non jugeante signifie ne jamais juger quelque chose en termes de bon ou mauvais. Cela ne signifie pas passer d’un jugement négatif à un jugement positif. Même si les personnes »borderline »ont tendance à se juger elles-mêmes et à juger les autres, soit en termes excessivement positifs (idéalisation) soit en termes excessivement négatifs (dévalorisation), il ne s’agit pas qu’elles soient plus nuancées dans leurs jugements mais qu’elles parviennent, dans la plupart des cas, à ne pas juger du tout. Il s’agit là d’un point de vue assez subtil mais très important. (…) Par exemple des comportements peuvent conduire à des conséquences douloureuses pour soi-même ou pour les autres, ou le résultat de certains événements peut être destructeur. Une approche non jugeante observe ces conséquences et peut suggérer de modifier les comportements ou les événements, mais ne leur ajoute pas nécessairement une étiquette de »mauvais »ou »bon ». Chaque chose est simplement telle qu’elle est »… (« Traitement cognitivo-comportemental du trouble de la personnalité état-limite »aux éditions Médecine et Hygiène, Marsha Mc Linehan).

Catherine Hervais

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