Boulimie, par où commencer pour s’en sortir

boulimie novembre2014

Les chemins de la guérison prennent parfois des détours qui surprennent. Lors d’une première consultation, une jeune femme me dit qu’elle a participé à une émission sur la boulimie avec sa mère pour que celle-ci comprenne enfin de quoi elle souffre. « Elle ne voulait pas me croire » me dit-elle « quand je lui disais que c’était plus fort que moi , elle ne voulait pas comprendre ».

Vous avez quel âge ?
– Je vais avoir 30 ans.

Je lui demande si elle vit chez sa mère : quand on habite chez quelqu’un, il est parfois difficile de protéger ses frontières. Elle me répond que non, elle vit seule, elle est matériellement autonome, elle a un travail qu’elle aime, dans lequel elle est appréciée. Professionnellement elle a très bien réussi.

Revenant à sa mère je dis :
– « Pourquoi voulez vous tant que votre mère vous entende ?« 
– « Parce qu’elle pense que je mange trop par manque de volonté. »
« Et pourquoi tenez vous tant à ce que qu’elle sache la réalité de votre problème ?« 
-« Parce qu’elle dit que je déconne ».
« Et pourquoi cela vous gêne-t-il qu’elle le pense ?« 

Je l’informe que mes questions ne sont pas anodines : à trente ans, elle ne devrait pas avoir besoin d’être comprise par sa mère.
– « Oui je sais, me répond-elle, je suis trop dépendante d’elle, je suis également dépendante du regard des autres. Même avec mes amis, au travail, j’en fais toujours des tonnes pour qu’on m’aime. Je n’ai pas du tout confiance en moi. »
Pourtant, j’observe que dans notre entretien, elle n’a pas l’attitude d’une personne qui joue un rôle. D’habitude, les gens qui ont honte d’eux-mêmes sont extérieurement joviaux, souriants, bout-en-train, même avec un psy lors d’un premier entretien… Elle me répond qu’ici, avec moi, elle est authentique parce qu’elle veut vraiment s’en sortir. Mais que dans la vie, elle est toujours l’amuseuse de service. C’est épuisant, reconnaît-elle.
– « Et qu’est-ce qui vous empêche d’être avec les autres comme vous êtes ici avec moi? »
– « J’ai peur qu’on ne m’aime pas et j’ai pas envie d’embêter les gens en étalant mes problèmes ».

Sa réponse me montre qu’elle est dans un fonctionnement tout ou rien. Soit elle la joue marrante, soit elle étale son désespoir. Elle ne voit que ces deux alternatives.
C’est souvent le cas avec les petits enfants qui passent de la joie aux larmes, du désespoir au rire cristallin. C’est aussi souvent le cas chez les personnalités qui compensent leur mal-être par une conduite addictive. Ils ont une immaturité affective qui leur fait voir la vie en tout ou rien. Trop mal dans leur peau, déprimés ou anesthésiés, par peur du rejet, pour se faire aimer de l’autre, ils affichent un personnage lisse ou enjoué qui ne laisse aucune chance à leur vrai moi d’appararaître.

Du temps de Freud on aidait les gens à prendre conscience de ce qu’ils étaient et de ce qu’ils faisaient. Ce n’est pas pour autant qu’ils changeaient. Aujourd’hui on est plus ambitieux : on croit au bonheur, au plaisir de vivre. A condition bien entendu d’avoir confiance en soi.

Depuis le développement des thérapies humanistes, mais aussi de la thérapie cognitivo comportementale, on propose aux gens non seulement de repérer leurs dysfonctionnements, mais en plus d’acquérir des compétences qu’ils n’ont pas eu l’occasion de développer par eux-mêmes : notamment cette fameuse confiance en soi. La confiance en soi permet de s’ajuster à son environnement, quelques soient les circonstances. Base fondamentale sur laquelle on peut s’appuyer quoi qu’il arrive, même dans les périodes de naufrage, elle est la clef d’accès à l’épanouissement ou plus modestement à l’équilibre qui permettra un jour de se sentir épanoui. Romain Gary disait : « Il vaut mieux tout perdre que se perdre ».

Mais comment avoir confiance en soi quand on n’a pas de soi, quand on se sent encore aussi démuni qu’un petit enfant qui a peur de la réprobation de maman et du rejet des autres.

Je lui propose une attitude qui lui permettrait, d’ici notre prochain entretien, d’expérimenter une autre manière d’être, plus ajustée à ce qu’elle est réellement : ne plus partager ses malheurs avec sa mère, même si celle-ci insiste, (elle peut s’en tirer avec un pirouette). Ne plus faire la fille qui va très très bien avec ses copains, et ne plus, au travail, chercher à amuser ses collègues.

– « Et vous leur direz que vous traversez une période particulière de votre vie, mais qu’elle gère et qu’elle préfère ne pas en parler« .

J’insiste sur l’importance et la précision de ce travail d’ici notre prochain entretien.
Elle est revenue à sa seconde consultation avec un visage différent, une posture plus détendue en me disant : « ça n’a pas été facile de rompre avec mes automatismes, mais pour la première fois de ma vie je me suis respectée ».

C’est un début, mais quel début ! La route sera peut-être longue avant qu’elle ne devienne totalement elle-même, qu’elle ne soit plus du tout dépendante du regard des autres, mais en attendant, elle aura acquis suffisamment de confiance en elle pour que ses peurs d’enfant s’évanouissent et qu’elle n’ait plus besoin de se remplir le ventre pour se vider la tête.

Fin de l’article.

Catherine Hervais

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