Qui est boulimique?

En choisissant comme titre «Qui est boulimique ?», je m’inspire de Margaret Little, qui a intitulé l’un de ses articles «Qui est alcoolique ?» pour bien montrer qu’il y a un profil psychologique particulier de l’alcoolique: l’alcoolisme, nous dit-elle est un symptôme qui fait partie d’un trouble affectant la personnalité. Comme vous l’explique boulimie.fr, il semble en être de même pour la boulimie-anorexie.

{xtypo_quote_right}Même si chacun est différent, il y a un profil particulier de la personne boulimique.{/xtypo_quote_right}Dans un premier temps, je vais développer brièvement le point de vue de cette psychanalyste sur l’alcoolisme. Vous verrez, plein de points sont à relier avec ce que nous développons dans ce site.
Souvenez-vous, nous vous avons déjà parlé de Margaret Little dans un article de septembre 2004.
Jeune médecin, très mal dans sa peau, elle s’adresse successivement à deux analystes qui ne réussissent pas à la cerner, et pour cause : elle n’est pas «névrosée» comme la plupart des gens mais elle a une personnalité «état-limite» ou encore «borderline», dite encore «cas-limite».

Les psychanalystes ne la comprenaient pas.

Très bien structurée dans ses relations sociales, intelligente, elle se sent au bord de la folie et ne trouve pas d’analyste qui sache repérer ses difficultés mentales. Jusqu’à ce qu’elle rencontre D.W. Winnicott qui porte sur elle un regard de pédiatre (il était pédiatre avant d’être psychanalyste) et sait voir en elle le tout petit enfant désespéré qui n’a pas grandi et est constamment au bord de l’effondrement. Dans cette rencontre, Margaret Little et Winnicott s’apportèrent beaucoup. Il lui permit d’avoir accès au goût et à la force de vivre et elle lui ouvrit l’accès à une meilleure connaissance des mécanismes infantiles précoces.
{xtypo_alert}Pour la petite histoire Magaret Little était boulimique-anorexique, si l’ on s’en rapporte à un article de Winnicott (cf. Théorie des troubles psychiatriques en fonction des Processus de Maturation de l’Enfant, Payot, p. 217), son dernier psychanalyste. Sans la citer nommément il parle d’une certaine Mlle X, une patiente médecin de personnalité «état-limite» (ou « borderline») qui s’intéresse à la formation psychanalytique et qui plus tard s’occupera à son tour de patients «état-limite». Si on recoupe l’article de Winnicott avec ce que Margaret Little écrit de son analyse avec ce dernier en 1985 on comprend que Margaret Little et Mlle X sont la même personne. Voici ce qu’écrit Winnicott : «Elle arriva un jour à une séance chargée de provisions d’épicerie. Elle avait découvert les boutiques situées près de mon cabinet de consultation et en était très contente (…) Cette déclaration avait fait l’objet d’une longue préparation qui se faisait jour dans les commentaires touchant son anorexie…»{/xtypo_alert}En tant que pédiatre, il avait pu observer des bébés en «live». Mais en tant que psychanalyste avec des patients adultes «état-limite», il disait mieux comprendre les carences du nourrisson qu’ils étaient et qu’ils sont encore par bien des côtés. Il écrit dans son article «La théorie des troubles psychiatriques en fonction des processus de maturation» : «(…) j’en suis venu à l’analyse de patients qui s’avéraient être des cas-limite ou qui venaient pour me faire toucher et transformer la partie de leur personnalité qui était aliénée. C’est ce travail avec des cas-limite qui m’a conduit (que cela m’ait plu ou non) à la condition humaine première, c’est-à-dire aux premiers stades de la vie».

La psychanalyse oui mais…

Margaret Little fut de ces patients qui lui apportèrent beaucoup dans la mesure où elle était en formation psychanalytique et où elle se rendit compte qu’elle n’était pas névrosée (comme le sont la plupart des gens) et qu’avant de comprendre et d’avoir accès aux interprétations du psychanalyste, elle avait besoin d’être maternée pour avoir accès à la relation affective à l’autre. D’ailleurs c’est ce que fit Winnicott. Il allongea les séances individuelles à une heure et demi sans augmenter ses honoraires et se rendit disponible à tout moment lorsqu’elle appelait «au secours».

C’est parce que Margaret Little a su trouver un psychanalyste pour l’accompagner d’une façon très peu orthodoxe, psychanalytiquement parlant, qu’elle saura à son tour très bien comprendre ceux de ses patients qui eux aussi en sont restés psychologiquement à un stade nourrisson (bien que très intelligents et apparemment adultes): ils ont besoin d’un « délire » ou d’une addiction pour se donner l’illusion qu’ils sont encore en «symbiose» avec les autres. D’une certaine manière ils agissent comme s’ils n’avaient pas réussi à se séparer de leur mère (inconsciemment bien sûr).
Bien placée pour comprendre ce qui se passe (puisqu’elle-même a connu cet enfermement-là) elle observe que «Le patient alcoolique est quelqu’un qui, dans sa vie d’adulte, et avec son corps d’adulte, continue à vivre les évènements de sa prime enfance».
Mais là encore, tout comme pour la boulimie, ce n’est pas le comportement qui définit la maladie. En ce qui concerne l’acoolisme il ne suffit pas de boire beaucoup pour être alcoolique.

Qui est alcoolique ?

Maragaret Little distingue plusieurs groupes de personnes qui consomment trop d’alcool : – les buveurs réactionnels qui cherchent un soulagement à une douleur psychique d’une manière qui ressemble beaucoup à la prise d’analgésiques. Leur surconsommation se déclenche à la suite d’une perte, d’un accident, d’un choc. Ils reprennent ensuite progressivement leur mode de fonctionnement normal dès qu’ils reprennent le dessus sur leur vie affective, – les gros buveurs chroniques qui boivent régulièrement de grosses quantités d’alcool. «Ces gens boivent régulièrement les mêmes importantes quantités d’alcool et ils souffrent souvent d’une intoxication chronique qui se manifeste par des gastrites, des troubles intestinaux ou des migraines, etc., mais ils sont capables d’exercer un contrôle certain sur la quantité d’alcool qu’ils boivent et de choisir leur moment. Ce sont des personnes qui sont capables de s’abstenir de boire si cela est nécessaire, que ce soit par égard pour eux-mêmes ou pour leur entourage. Cette abstinence va durer aussi longtemps que nécessaire, même si elle n’est que temporaire, et elle se reproduira à nouveau, si les circonstances l’exigent.»- le véritable malade alcoolique, enfin, est un drogué : «l’alcool c’est sa vie, tout tourne autour de la possibilité de s’en procurer et il ne reculera devant rien pour y parvenir». Ce malade alcoolique-là «lorsqu’il boit, obéit à une impulsion (en anglais : «urge») différente de celle qui pousse le buveur réactionnel ou le gros buveur. Ce qui est recherché ou trouvé, ce n’est ni le soulagement d’une douleur psychique ni un simple plaisir. Ce que recherche l’alcoolique, c’est la capacité de vivre la vie de tous les jours, de faire son travail, d’avoir des relations avec autrui, des relations sexuelles, etc. L’absence de cette capacité n’est liée à aucun événement exceptionnel, bien que l’individu ait tendance à rationaliser les choses en ce sens, et bien qu’il ait pu y avoir un facteur spécifique qui a précipité le déclenchement de sa maladie. Ce qu’il trouve n’est pas un soulagement ordinaire. Dans un premier temps, il vit des moments (…) d’euphorie et se voit comme omnipotent : tout va bien aller, il peut désormais accomplir des miracles, la boisson ne peut lui faire aucun mal, même s’il en connaît les dangers».

Boulimie et alcool

Jusqu’ici on ne peut pas ne pas faire le parallèle avec les différents types de personnes qui mangent trop. On rencontre en effet des personnes qui aiment manger et en abusent, on en rencontre qui ont tendance à utiliser souvent ou tout le temps la nourriture comme anxiolytique et on en rencontre enfin pour qui la nourriture est le centre de leur vie.

Pour Margaret Little, il y a un rapport évident entre l’alcoolisme de l’adulte et le vécu du bébé qu’il était. «Boire peut représenter un déni inconscient de l’état de séparation («separateness»), comme aussi un moyen de communiquer ou d’établir un contact (…)». Je pourrais encore citer de nombreux passages de son article mais je vais juste me contenter de finir avec la conclusion qu’elle en fait elle-même : «Pour nous résumer donc : Qui est alcoolique ? L’alcoolique est un individu qui cherche, par le biais du symptôme qui consiste à boire de façon immodérée à rétablir l’unité de base en lui-même et sa mère, unité qui a été perturbée à un stade précoce du développement à cause d’une faillite ou d’une inadéquation de son environnement» On peut être très bien intégré socialement et alcoolique en même temps, explique-t-elle aussi. Ce qui signifie que l’on peut avoir un quotient intellectuel élevé voire de surdoué et une addiction qu’on ne maîtrise pas.

Il y a des boulimiques qui ne prennent pas ou peu d’alcool. Il y a en a qui prennent les deux et qui ajoutent encore d’autres addictions telles que les drogues, les médicaments, les passages à l’acte impulsifs etc…

Guérir le nourrisson effrayé…

Mais que l’on soit drogué, alcoolique, boulimique ou que l’on ait une autre addiction, j’ai trouvé le regard psychanalytique de Margaret Little très intéressant et très proche de ce qu’on peut observer avec les personnes boulimiques : des nourrissons dans des corps d’adultes qui anesthésient leur angoisse profonde avec une addiction (sans laquelle ils ne tiendraient pas) qui leur permet de faire face à leur vie d’adulte.

Pour ce type de personnalité, Margaret Little est formelle. On ne peut s’en sortir qu’en aidant le «nourrisson effrayé» (qui n’a pas grandi à l’intérieur de l’adulte) à se rassurer, à trouver le chemin de maturation affective par une voie différente de celle de la psychanalyse traditionnelle. Elle sait de quoi elle parle puisqu’elle-même avait une personnalité «état-limite» (addictive de surcroît), qu’elle a été incomprise de ses deux précédents analystes et que son dernier analyste, Winnicott, a utilisé tout son savoir faire de pédiatre, une infinie patience, beaucoup de temps et beaucoup d’implication pour l’aider à se sortir de ses angoisses archaïques de bébé dans lesquelles elle restait prisonnière.

Mais peut-être Margaret Little ne connaissait-elle pas la psychothérapie humaniste ni les groupes intensifs qui permettent justement de faire ce type de travail en moins de temps et avec des résultats beaucoup plus rapides. Quoi qu’il en soit, de par sa propre problématique et son parcours thérapeutique elle a permis d’avoir sur le traitement de l’addiction un regard plus approfondi que le regard psychiatrique traditionnel selon lequel le sevrage est la guérison. En titrant son article «Qui est alcoolique ?» elle montre bien que c’est la personnalité qu’il faut soigner et, en ce qui concerne la boulimie-anorexie, boulimie.fr la rejoint totalement sur ce point.

Catherine Hervais

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