L’histoire de ma patiente : la soirée qui dérape
Deux histoires révèlent comment une entorse à la confiance réactive des blessures, et comment l’inconscient peut se calmer grâce à un simple geste symbolique.
Ma patiente vit une relation stable et tendre avec sa compagne. Un soir, cette dernière lui demande d’héberger une amie en détresse, épuisée par l’alcool et la drogue. Ma patiente accepte sans hésiter ; aider lui semble naturel. Plus tard, la compagne lui propose de faire l’amour avec l’invitée, d’abord seule puis toutes les trois. Sous l’effet d’un joint, ma patiente ne voit pas de danger et consent. Le lendemain, sa compagne avoue avoir désiré cette jeune femme depuis longtemps et avoir organisé la scène pour assouvir son envie. Ma patiente se sent alors manipulée : on a utilisé sa générosité pour un but caché. Sa raison voudrait pardonner, mais une colère sourde reste coincée.
Sur le plan psychique, cette colère vient d’une vieille blessure : la crainte d’être instrumentalisée quand elle tente d’aider. L’inconscient s’en souvient et refuse d’effacer l’affront tant qu’il n’a pas reçu une réparation claire.
Mon histoire : un téléphone qui devient enjeu vital
En vacances, je reçois un appel urgent : des animaux sont en danger, la situation m’angoisse. Mon téléphone s’éteint, batterie vide. Je demande celui de mon mari ; il refuse par peur d’un forfait explosé. Je garde mon calme mais me sens seule face au problème. Mon propre appareil se rallume enfin, l’affaire se règle, mais l’émotion demeure. Le soir je refuse de sortir dîner ; je ne boude pas, je ne peux simplement pas partager un repas comme si de rien n’était.
Au petit déjeuner, je lui demande la raison de son refus. Il explique qu’il me connaît et qu’un long appel aurait épuisé son crédit. Je comprends son raisonnement mais je découvre surtout ma peur : si je panique, je ne peux pas compter sur lui. Cette idée heurte une part profonde de moi ; je me dis alors que je ne pourrai plus vivre avec lui. Mon mari réalise ma détresse et, presque aussitôt, me tend son portable en disant que je peux l’utiliser sans limite. Ce simple geste fait tomber la barrière ; l’inconscient reçoit un signe concret de soutien et la colère s’évapore.
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Lecture psychanalytique et voie de sortie
Pour Freud, l’esprit humain se compose d’un Ça impulsif, d’un Surmoi chargé de règles et d’un Moi qui tente de maintenir l’équilibre. Lorsqu’un événement ravive une blessure ancienne, le Moi est submergé ; les mécanismes de défense prennent le relais, et la réaction devient disproportionnée. Ma patiente revit le sentiment d’être utilisée, moi je revis l’angoisse d’être abandonnée dans le danger. Tant que ces échos du passé ne sont pas reconnus, ils se répètent et le conflit paraît impossible à résoudre.
La résolution passe rarement par des arguments logiques ; elle demande un acte qui parle le langage de l’inconscient. Dans le premier cas, un aveu honnête accompagné d’excuses et d’un engagement clair sur le respect des limites sexuelles pourrait apaiser la blessure. Dans le second, le téléphone offert librement a suffi : l’objet est devenu symbole de secours et de fidélité.
Pour sortir d’un tel blocage, il est d’abord utile de nommer l’émotion ressentie, même si elle semble excessive. Ensuite, il faut relier cette émotion à son origine plus ancienne : souvent une peur de trahison, d’abandon ou de honte vécue dans l’enfance. Enfin, un geste symbolique adéquat – un mot d’excuse précis, un cadeau porteur de sens ou simplement la disponibilité inconditionnelle d’un objet – envoie à l’inconscient le message qu’il n’a plus à se battre.
En conclusion
Aimer ne garantit pas l’absence de heurts. La logique et la bonne volonté peuvent échouer là où une partie cachée de nous réclame réparation. Deux histoires, l’une sexuelle, l’autre banale, montrent que le vrai enjeu n’est pas le détail visible mais la profondeur invisible qu’il réveille. Lorsque cette profondeur est reconnue et qu’un symbole vient combler la brèche, la relation retrouve sa fluidité. Un couple durable ne se fonde donc pas sur la perfection mais sur la capacité à entendre les cris silencieux de l’inconscient et à y répondre avec de petits gestes pleins de sens.