De l’anorexie à la boulimie

De l’anorexie à la boulimie

Elle aura dix-huit ans dans trois mois et déjà un si long parcours thérapeutique commencé par une anorexie qui basculera plus tard sur de la boulimie…

aout 2013Elle aura dix-huit ans dans trois mois et déjà un si long parcours thérapeutique commencé par une anorexie qui basculera plus tard sur de la boulimie. Elle raconte son histoire thérapeutique ci-dessous et ce qui est frappant c’est de voir combien ce témoignage est mature malgré l’âge de cette jeune fille qui ne se braque contre personne, mais qui cherche, au travers de ses divers parcours thérapeutique, pourquoi elle est atteinte d’un mal sur lequel elle n’a pas prise avec la volonté.

« Je m’appelle Claudia, j’ai 17 ans. Les troubles du comportement alimentaire sont entrés dans ma vie quand j’avais 10 ans. Depuis plusieurs mois je suis sujette à de fréquentes crises de boulimie nocturnes, juxtaposées à des journées d’ascétisme. Les années précédentes, en revanche, furent invariablement à dominante restrictive, exemptes de vomissement ainsi que de véritables boulimies.

A peine sortie de l’enfance, sous l’étiquette d’anorexique mentale dont j’avais tôt fait de me voir affublée, j’ai été successivement accueillie dans divers services hospitaliers de France. Ces séjours en milieux clos, d’une durée totale d’un an, ont marqué mon adolescence au fer rouge. J’aimerais, par ce témoignage, montrer comment j’ai vécu les procédures thérapeutiques qui ont été utilisées avec moi pour le traitement de cette pathologie qu’est l’anorexie mentale, et qui hélas demeure encore mienne, bien que cohabitant maintenant avec la boulimie…

Ma première expérience d’hospitalisation a lieu en mars 2008. J’ai alors 12 ans. Derrière moi, déjà, plus de deux ans passés à accroître le contrôle de mes apports alimentaires, m’appuyant sur une incessante comparaison avec mon frère, de 18 mois mon aîné.

 C’est lorsque cette stratégie s’étend au reste de ma famille, c’est-à-dire mes deux parents, que les choses se gâtent pour moi. A cette époque mon poids n’a rien d’alarmant, bien que je me sois amincie en prenant une douzaine de centimètres en un an. C’est la vie infernale que je «  fais subir  » à ma famille qui est la raison invoquée pour me faire admettre en clinique de psychiatrie, au CHU de Lille, dans la région du Nord-Pas de Calais, où nous habitons alors.

Il n’y a pas d’entretien d’arrivée, à peine quelques paroles échangées avec un soignant que je ne veux pas approcher, ma mère qui me dit au revoir sans effusion, et je me retrouve seule, emplie d’un sentiment d’injustice, perdue, horrifiée. Ce milieu me semble si inhospitalier  ! Une infirmière me conduit directement dans une chambre, et m’y laisse, sans rien me dire.

Au bout de quelques heures enfin, je sors, j’interpelle poliment la première infirmière que je croise, et lui exprime mon souhait de rencontrer la personne qui s’occupe de moi pour qu’elle m’aide à résoudre mon problème de nourriture. J’ai bien intégré que mes parents m’ont placée ici à cause de mon comportement à la maison, et qu’ils comptent me retrouver «  guérie  ». Je dois donc faire de mon mieux pour mener à bien cette mission d’auto-guérison si je veux sortir d’ici. L’infirmière, souriant d’un air gêné, me répond que le moment où je verrai mon médecin viendra, qu’il me faut patienter un peu, et que le temps que je passerai dans ma chambre fait aussi partie des soins. Découragée, je n’ose pas insister davantage et retourne dans «  ma  » chambre.

On ne vient me voir qu’à l’heure du dîner. C’est bien ce que je craignais. J’aurais voulu parler à quelqu’un avant ce moment fatidique, pour lui confier mes inquiétudes monstrueuses relatives au manger, et me sentir un peu moins seule. Mais là, n’ayant pu voir personne, je me retrouve littéralement terrorisée, tremblant de la tête aux pieds, devant l’intimation de manger. J’ose à peine dire que je ne peux pas, ces infirmiers se comportant comme si ce devait être tout naturel pour moi de prendre mon repas. J’ai tellement peur d’être punie, enfermée, brusquée, menacée. J’ai déjà été «  mouillée  » définitivement aux yeux de mes parents, qui ont usé envers moi de violences dont je ne les aurais pas crus capables, et maintenant c’est en face d’inconnus que je me retrouve. Je ne veux pas qu’on cherche à me maîtriser comme si j’étais un animal. Je dois à tout prix éviter que la panique me fasse perdre mes moyens, il ne faut surtout pas que j’en arrive à me discréditer à leurs yeux. Voilà quelles sont mes angoisses au premier jour de mon hospitalisation.

Je ne parviens à m’alimenter que le soir suivant, après que l’échec d’une prise de sang, dû à la faiblesse de mon débit sanguin, ait fait dire aux infirmiers que si le lendemain ça ne marchait toujours pas, on serait obligé de me piquer avec une grosse aiguille dans l’artère du bras, et que cela ferait très mal. Le deuxième soir donc, j’accorde enfin de l’attention à mon plateau, j’en finis les trois quarts sous l’œil satisfait de l’infirmier qui dîne à la même table que moi. Je me sens du même coup apaisée, entrevoyant que si je mange les soignants seront gentils avec moi. Je choisis d’ignorer l’humiliation, la peur et la colère que m’ont causées leurs réactions de la journée écoulée, quand je n’avais pas pu manger et qu’ils m’avaient réprimandée avec un ton que j’ai ressenti brutal et glacial, conformément à mes craintes initiales.

Le reste de l’hospitalisation sera à l’image de ce premier dîner «  réussi  »  : m’abandonnant à la tentation de manger, je me préserve des réprimandes, je quitte le mode du contrôle et de la restriction pour celui de la jouissance et du laisser-aller, je deviens la petite gourmande du service qui finit toujours son plateau, et je me délecte d’avance des repas qu’on me servira. J’ai ainsi presque l’impression de me réconcilier avec la nourriture. Je dis «  presque  » car au fond de moi-même, je sens bien que le problème est toujours là. Dès que je pense à mes parents et à mon frère, je suis irritée de penser qu’ils ont sûrement mangé moins que moi, et je serais bien incapable de manger autant en leur présence  ; tandis que dans cet autre contexte et avec ces autres personnes, je me sens littéralement obligée de manger tout ce qu’on me présente. C’est en fait plus fort que moi. Ce sont certainement des prémisses de la boulimie… Mais penser les choses en ces termes est bien trop angoissant pour moi à l’époque, et je préfère me laisser bercer par la douce illusion que «  c’est normal d’avoir envie de manger après s’être privée autant  », comme me le répètent tous les infirmiers… Hélas non, ce n’est pas si normal, car la faim physiologique n’est pas pour grand-chose là-dedans, mais cette vérité est tellement cuisante que je ne suis pas encore capable de la regarder en face, je ne suis pas encore en mesure de ressentir cette montagne de honte… Alors je me persuade moi-même qu’au fond je suis simplement gourmande, que je ne commets au fond aucun mal, et qu’après tout on m’a envoyée ici pour que je mange…

Toutes ces inquiétudes, je n’aurai l’opportunité d’en discuter avec personne durant les quatre semaines de l’hospitalisation  : je n’ai en effet pas de suivi individuel avec un médecin. Je n’ai de contact, pratiquement qu’avec les autres jeunes du service, la majorité n’ayant pas de problème de nourriture, et les infirmiers qui animent, en plus des repas, les différentes activités proposées au fil des jours  : jeux de société, ateliers de poterie, dessin, gravure, télévision certains soirs, écriture de poèmes, exceptionnellement sortie cinéma… Les infirmiers offrent leur écoute et leur présence souvent bienveillantes mais ne m’invitent pas à leur confier tout ce qui ne va pas. Ils me laissent éventuellement venir à eux de ma propre initiative. Et cela, j’en suis bien incapable, n’ayant aucune garantie d’être comprise. Comment pourrais-je prendre le risque de tirer sur ces nœuds douloureux qui me compriment le cœur, sans qu’une âme généreuse ne m’ait au préalable offert l’assurance de son secours inconditionnel  ? Je ne serai capable de me jeter à l’eau de la sorte, brisant seule la glace de ma peur, que des années plus tard, et la prise inconsidérée de ce risque me vaudra de basculer dans le monde de la boulimie… Mais nous n’en sommes pas encore là.

La seule mesure psychothérapeutique instaurée par la clinique consiste en une amorce de thérapie familiale, en laquelle je place tous mes espoirs car elle me semble alors chercher du bon côté  ; mais qui n’obtient pas l’aval de mes parents. Les quelques séances que nous faisons quand je me trouve à l’hôpital, et qui se comptent sur la moitié des doigts d’une main, se déroulent toujours dans une atmosphère tendue, agressive, mortifiante. Mon frère est présent car le psychiatre l’a estimé nécessaire. Mes parents ont donc la conviction que ce médecin les accuse eux, tous trois qu’ils sont, de m’avoir rendue «  malade  », alors que c’est moi le problème dans tout ça et qu’ils n’ont rien à voir là-dedans. Il faut que ce type se fourre bien ça dans le crâne  ! A chaque fois que j’ai le sentiment de parler d’une chose importante, et que je me prépare à effleurer le noyau brûlant de mes souffrances, on m’assène aussitôt ce que je vis comme une violente salve calomniatrice,  humiliante, culpabilisante, véritable concentré de haine et de mépris. L’hyperréactivité parentale à la thérapie familiale est criante, cependant le psychiatre nous invite à la poursuivre après mon départ de l’hôpital, sachant bien que cette petite halte n’aura pas à elle seule résolu le problème… Mais pour mes parents, puisque j’ai réussi à manger à l’hôpital, je n’ai pas d’excuse pour ne pas en faire autant à la maison  ! «  L’enfer pour nous est terminé, la petite ne nous causera plus d’ennuis  !  » Voilà sans doute la vision idyllique qu’ils veulent à tout prix voir se concrétiser… et ils ne me pardonneront pas de les décevoir.

Je me souviens parfaitement du jour de ma sortie  : le matin je déguste quelques tartines au Nutella avec du lait, je me sens un peu coupable car ma mère va bientôt venir me chercher, elle va me voir, les trois-quatre kilos que j’ai pris depuis que je suis ici vont se voir, alors qu’à la maison mon frère est toujours aussi maigre… Le médecin que je vois brièvement juste avant de partir, me demande de lui décrire mon petit-déjeuner, et à ma grande surprise réagit par un  : «  Ce n’est pas suffisant, il faut manger plus le matin  ! Attention ou tu vas rechuter  !  » Non mais, ça ne te suffit donc pas, le Nutella  ? Et les plateaux vidés, et le rab de pain et de crêpes faites maison par les infirmières, tu ne les a pas vus, comme par hasard  ? Et les kilos supplémentaires non plus ? Son ton que je perçois comme coléreux me dissuade bien sûr de répondre autrement qu’en petite fille obéissante…

Et vient le moment de partir, en fin de matinée. Ma mère m’a à peine touchée, ou même adressé la parole, depuis que nous sommes sorties du service. Elle semble pressée de se dégager de ce milieu dans lequel, moi, j’ai dû passer un mois. En montant dans la voiture elle pousse un soupir d’un air accablé et me dit «  Allez, on rentre  », sans poser les yeux sur moi. J’ai toujours eu le sentiment, lorsqu’elle me parle sans me regarder, de n’être qu’objet de mépris pour elle, et pire encore, d’être figée en position d’infériorité par rapport à elle, car moi je prends toujours la peine de la regarder, et quand je lui parle et quand elle me parle. A ce moment-là, alors que je meurs d’envie qu’elle me prenne dans ses bras, qu’elle pleure en me disant qu’elle est si heureuse que je vais rentrer à la maison, qu’elle est désolée que j’aie dû souffrir autant, et qu’elle fera son possible désormais pour être plus attentive envers moi, à ce moment-là je ne supporte pas qu’on me cloue encore dans ce rôle de la fautive entachée de honte, je ne supporte plus cette injustice… Alors que ma mère conduit silencieusement, je sens monter en moi un torrent de rage, de colère, d’humiliation. Je vais devoir encore plus qu’avant me réfugier dans le contrôle, la comparaison, la restriction. M’enivrer de cela, jusqu’à ne plus ressentir toute cette souffrance…

{tooltip}Note des modérateurs {end-texte|w=360|tipd=1000|offsety=60}Il s’agit bien sûr là de la perception de cette jeune fille sur la position de ses parents.{end-tooltip}

Quelques mois plus tard, en juin, j’ai perdu 8 kilos. Je ne m’en suis même pas rendu compte, à ce moment je n’ai pas encore l’obsession du corps, ni celle de la balance, mais j’ai pris un galon dans mon cheminement anorexique. J’ai dernièrement essayé de me faire plus discrète dans les manifestations de mon obsession, afin de ne plus m’attirer les foudres de mes parents. Cela a moyennement fonctionné. Ainsi ce qui motive la deuxième hospitalisation, cette fois, est non plus seulement mon comportement mais aussi et surtout mon état de santé. Nous sommes sur le point de déménager à Paris et mes parents prévoient de me mettre à la Maison de Solenn, où une place se libérera mi-juillet. Mais quelques semaines avant, mon père m’emmène voir un généraliste pour un contrôle de mon état général, et celui-ci s’alarme et prescrit une hospitalisation en urgence. J’ai beau supplier de ne pas me faire retourner si soudainement à l’hôpital, rien n’y fait… En attendant la Maison de Solenn je vais en service de pédiatrie à l’hôpital Saint-Vincent de Paul. Je pleure énormément, mes parents et moi rencontrons un psychiatre qui leur dit de partir au plus vite, et je ne peux pas avoir de câlin de ma mère, alors que je suis déchirée de tristesse et de désespoir.

A la différence du service de psychiatrie de Lille, à Saint-Vincent de Paul je dois rester dans ma chambre à longueur de journée, il n’y a pas de contact avec d’autres jeunes, pas d’activités comme du dessin, de la poterie et des jeux de société. Je n’ai le droit que deux ou trois fois par semaine d’emprunter quelques livres à la bibliothèque, aller dans une salle de jeux – dans laquelle aucun enfant ne joue, mais où je rencontre tout de même une stagiaire aide-soignante sympathique – ou sortir dans le petit jardin de l’hôpital avec une infirmière.

On m’apporte des plateaux-repas dans ma chambre, et une soignante reste me regarder manger  ; ce qui m’est à la fois pénible, car je m’imagine que le fait de me voir manger va provoquer son rassasiement, et rassurant puisque j’en profite pour lui demander incessamment si je suis grosse, si je ne mange pas trop, etc. Le menu est fixé à l’avance avec une autre infirmière  : il se compose toujours d’entrée, plat, pain, laitage et dessert, et le choix est donc seulement qualitatif… Un petit papier portant l’inscription du menu accompagne chaque plateau. Une fois, on m’apporte un yaourt à 40% de matière grasse sur matière sèche, en plus de ce qui est indiqué sur le papier. Là, je panique et le signale à l’infirmière. Elle me regarde d’un air bourru, et me répond  : «  C’est pour que tu grossisses  ». Je sens comme un coup de poignard. J’ai compris, je suis là pour être gavée… Quelle déchéance  !

Après une semaine, on me pèse, j’ai pris seulement 200 grammes et le psychiatre, qui n’est même pas venu me voir jusqu’ici, se déplace à ce moment-là pour m’annoncer qu’on va me mettre une sonde. Je ne ressens aucune chaleur, aucun réconfort, juste un ton froid et un regard qui semble me dire  : «  Tu n’as pas été capable de faire plus d’efforts que ça, encaisse à présent.  » Je suis terrorisée par cette sonde. La perspective de prendre du poids à cause d’elle est déjà affolante, mais le mal physique que j’imagine qu’elle va me causer l’est encore plus. Les infirmiers, voyant mon angoisse, me laissent le choix de l’heure pour la pose de la «  chose  ». Ils restent avec moi en tentant de me rassurer. Je ne me fais pas attendre  : «  On le fait tout de suite.  » Le tuyau est épais, la douleur intolérable, chaque fois que j’avale de la salive, prononce une parole ou respire avec le nez, je subis une torture sans nom. A cela, on me répond avec amusement  : «  Ah bon  ? Pourtant ce sont les mêmes sondes qu’on met aux bébés, la plupart ne pleurent même pas. T’es douillette, toi  !  » Mon supplice est raillé, mon ressentiment n’en est que décuplé… ainsi que ma terreur  !

Heureusement, on parvient à me transférer à la Maison de Solenn un peu avant la date initialement prévue, et là on échange ma grosse sonde contre un tuyau un peu plus fin, moins douloureux. D’atroce cela devient juste pénible. Au bout de quelques heures, mon attention se détourne de la sonde pour appréhender les visages, le décor, le déroulement des activités… toutes ces nouveautés auxquelles je tente fébrilement de faire face.

Le premier temps d’adaptation dans ce nouveau service, spécialisé dans les «  troubles du comportement alimentaire  », est bien difficile. Ici, il n’y a presque que des anorexiques. Nous sommes presque une vingtaine. Moi qui n’ai pas conscience de ma maigreur, je ne vois que des filles squelettiques autour de moi, et insidieusement je sens se glisser une rivalité irrépressible entre nous. (J’emploie le féminin par commodité, mais j’ai aussi rencontré un garçon anorexique lors de ce séjour  !) A vrai dire je n’ai pas de certitude quant à la réciprocité du besoin de comparaison, du sentiment d’infériorité, de l’irritation mêlée d’envie que je ressens à l’égard des autres anorexiques, qui me semblent bien plus chevronnées que moi, mais au fond je crois bien que nous devons toutes nous sentir complètement paniquées, démunies, livrées à nous-mêmes, avec notre symptôme pour seule défense.

Il faut dire que la vie à la Maison des adolescents (ou MDA) est centrée sur le traitement du symptôme  : tout tourne autour de l’alimentation. Les médecins qui s’occupent de nous sont surtout des pédiatres. Souvent accompagnés d’un interne. J’ai l’impression qu’ils nous rendent visite quand ils en trouvent le temps, sans vraiment tenir compte des souhaits de chaque patient relatifs à la fréquence des entretiens. De quoi sont faits ces entretiens  ?

De «  Comment ça va aujourd’hui  ? Est-ce que ce n’est pas un peu plus facile qu’au début  ? Non, c’est toujours difficile  ? Mais tu as conscience que tu es sur la bonne voie, n’est-ce pas  ? Il ne faut pas te laisser aller, tu es courageuse  !  » Moi qui ne supporte pas de m’en tenir à ces platitudes, je tente d’engager le dialogue sur mes souffrances sous-jacentes, sur ce que je perçois au-delà des symptômes… Mais les médecins, bien qu’acceptant de me répondre jusqu’à un certain point, gardent toujours une certaine évanescence, comme s’ils ne possédaient pas les clés de mes soucis mais voulaient me faire croire que c’est bien en les écoutant que je vais m’en sortir… A vrai dire je crois en leur bonne foi pour les marques d’humanité que je perçois chez eux, mais je ne peux trouver de sérénité dans notre rapport. Tout au plus parviens-je parfois à une confiance délibérément aveugle quand je n’en peux plus du désespoir, pour revenir ensuite à une position de défi par crainte de me laisser manipuler…

Dans toute cette thérapeutique, les psychiatres et psychologues ont un rôle presque accessoire, moindre en tout cas que les diététiciennes. Celles-ci viennent nous voir une à deux fois par semaine, et animent les ateliers cuisine du mardi midi, auxquels elles nous enjoignent de participer. On y prépare des menus riches et gastronomiques, on y est prié d’exagérer les quantités de matières grasses, si besoin avec l’aide d’un soignant qui nous attrape le poignet pour qu’on penche un peu plus la bouteille d’huile… Les autres ateliers sont divers et nombreux, ils reviennent à un rythme allant de deux fois par semaine à une fois par mois, et le fait de s’y inscrire est vu comme le signe d’un bon état d’esprit  : coiffure, esthéticienne, maquillage, peinture, perles, chant,  musique, bibliothèque, lecture, philosophie, théâtre, vêtements, relaxation, radio, jeux vidéo… et puis danse, escalade et stretching pour les suffisamment-bien-portants, dont j’ai fait partie les dernières semaines de mon séjour… J’en oublie sûrement quelques-uns, et je ne parle pas des sorties que nous faisons parfois  : cinéma, musée, parc…

Pour avoir participé à tout, je peux dire que la qualité de ces interventions, que je qualifierais de distractives, est bonne  : on a vraiment plus qu’il n’en faut pour avoir sans cesse l’esprit occupé, et je ne le nie pas, par des choses plaisantes ou captivantes. On est empêché de rester dans son coin, même si on supplie pour un moment de solitude  ; et on apprécie tellement certaines activités qu’on se désole de n’avoir pu attraper la dernière place pour cette semaine… Bref, on n’a pas d’excuse pour déprimer dans ces conditions  ! Cherche-t-on à nous persuader qu’un intérêt porté à ces activités peut nous aider à sortir des troubles alimentaires  ? Que se trouver un but dans la vie est la solution à nos problèmes  ? Veut-on nous montrer qu’on peut tout à fait trouver du plaisir aux choses de la vie même, et surtout, si l’on s’alimente correctement  ? Ou est-ce simplement une manière de nous distancier de la nourriture  ? Ce doit être un peu des trois… mais quels que soient les bénéfices escomptés de ce remplissage de nos journées, je pense que cela ne change pas grand-chose au fond du problème, que je participe ou non à toutes ces activités… Ni plus ni moins que ceux des repas, ces moments de mon existence ne sont pourvus de l’état de non-angoisse, du sentiment de sécurité intérieure, de la tranquillité de vivre que je recherche désespérément… J’ai vraiment l’impression de demeurer à la surface des choses  !

Parlons-en, de ces repas, à présent  : il y en a quatre, ils ont lieu respectivement à 7h, 12h, 16h et 19h. Il faut monter un étage, vingt marches d’escalier lorsqu’on a un poids acceptable, trois secondes d’ascenseur lorsqu’on est, selon les soignants, trop maigre. Sans avoir d’intention rebelle, je ne suis pas d’accord avec les critères de « maigreur » instaurées par le corps médical, et je n’approuve pas non plus qu’on traite différemment les patients selon des critères de cette nature. Malgré toute la compréhension que je peux avoir pour les médecins, à l’heure où j’écris ces lignes, certaines choses me mettent toujours en colère… Il y a deux salles à manger, l’une dite «  thérapeutique  » pour celles qui ont le plus de difficultés, et l’autre sous forme de «  self-service  » où on décide soi-même de la composition de son plateau, comme dans une cantine scolaire. J’ai passé le plus clair de mon temps dans la salle à manger thérapeutique : les plateaux, choisis à l’avance avec une diététicienne, arborent un bout de papier portant l’inscription du menu. On forme des tablées de trois ou quatre, les soignants (infirmiers et aides-soignants du jour) se répartissant entre les patients. L’examen de 45 minutes commence. Chaque anorexique regarde les plateaux des autres, observe ce qu’elles mangent, observe ce que les soignants mangent… et doit noter ce qu’elle a mangé sur son bout de papier, en écrivant 1, ½, ¼ ou ¾ devant chaque élément du menu. Ensuite le soignant à sa table vérifie et corrige si nécessaire.

Je me souviens d’une fois où on a eu deux choix de plat  : poisson ou viande. La diététicienne a voulu que je prenne viande pour cette fois, mais je suis quasiment la seule, les autres filles ont du poisson blanc. Le soignant à ma table lance peu avant la fin du repas : «  Vous avez de la chance, celles qui ont eu du poisson, il était tout petit, vous n’avez pas été obligées de manger autant que les autres pour écrire «  1  » sur votre bout de papier. Vous avez vraiment de la chance  », comme s’il était énervé que certaines aient cette «  chance  », terme bien troublant dans le présent contexte – je pensais qu’il ne fallait plus se satisfaire de manger le moins possible  ? Celles qui ont eu du poisson sont moins méritantes que les autres. Elles ont intérêt à se tenir à carreaux  !

{tooltip}Note de l’éditorialiste {end-texte|w=360|offsety=60}Il faut savoir tout de même que cette procédure qui peut paraître inhumaine parce qu’elle ne laisse pas toujours la place à l’expression des états-d ‘âme a pour vocation de sauver dans l’urgence des vies quelque fois menacées par des carences graves. {end-tooltip}

La leçon est claire  : plus vous mangez, plus vous êtes félicitée, plus vite on vous enlève votre sonde et on vous laisse téléphoner à vos parents. Moins vous mangez, plus votre médecin pédiatre viendra vous sermonner, plus les soignants vous jetteront des regards noirs et désapprobateurs… Dans ces conditions, il ne nous est pas donné, à nous les patientes, d’expliciter impunément nos craintes de grossir, nos frustrations liées à la comparaison. Nous devons voir notre symptôme comme un objet de honte, nous ne pouvons l’assumer. Tous les moyens sont bons pour nous faire renoncer au contrôle. Paradoxalement cela nous force à nous y accrocher désespérément  : nous tentons de garder le peu de dignité qui nous reste, en montrant sur nos visages, par nos pleurs silencieux, que nous sommes bel et bien contraintes et forcées, que nous ne renions pas l’attachement à nos obsessions… Nous avons besoin d’exhiber à tout prix notre symptôme, tout en faisant montre d’efforts incontestables pour lutter contre lui. Bref, impossible de ne pas entreprendre cette lutte, et impossible en même temps de ne pas montrer qu’elle est perdue d’avance  !

Dans les formes, je me dois donc de parler de mon symptôme comme de mon ennemi, le mal qui s’est enraciné en moi et contre lequel je dois lutter  ; mais afin que tous ces soignants soient obligés de se rendre compte de la duplicité de cette vision, mon comportement alimentaire est toujours entaché de mon obsession de contrôle, je ne fais pas semblant de manger de façon naturelle. Je suis incapable de faire semblant. Je ne veux plus qu’on croie que je suis capable de manger par ma propre volonté  ! Si quelqu’un veut me forcer, qu’il en constate les conséquences sur mon état moral, qu’il subisse les répercussions de ma souffrance, qu’il ait honte de lui enfin  ! Et moi, qu’on me laisse en paix… Bien évidemment, à l’hôpital cette requête est toujours restée inexprimée… A peine en ai-je conscience à ce moment, tant il s’agit alors de ne pas penser pour souffrir le moins possible, de refouler le désespoir pour survivre. A aucun moment, je ne suis invitée par le pédiatre qui me suit à légitimer ma relation pathologique à la nourriture. Jamais on ne m’autorise à accepter sans déshonneur mon obsession de contrôle. En prendre l’initiative ne me passe même pas par l’esprit, tant la perspective de déroger aux revendications médicales me paraît effrayante…

Combien de tourments n’ai-je donc pas pu formuler, à cette occasion-là non plus. Le gouffre de solitude au fond de moi est couvert par un amoncellement de symptômes qui se renforcent à mesure qu’ils se frottent à la confrontation de l’entourage, médical et familial. Le second cherche du soutien auprès du premier sans se laisser influencer par les incitations à une réflexion collective sur les rapports familiaux. Seuls sont bons à prendre les conseils qui ramènent toujours le «  problème  » à moi et à mon comportement alimentaire… Et les médecins sont de toute façon discrédités pour ne m’avoir pas «  guérie  » d’un coup de baguette magique. Moi qui leur en veux pour d’autres raisons, je suis à la fois gênée et rassurée par cette déception que je partage avec mes parents  ; tandis qu’ainsi je me sens en droit d’éprouver ce sentiment de déception, je souffre terriblement qu’ils me considèrent encore d’une manière que je vis comme dégradante… Et ils s’imaginent par ailleurs que, maintenant que j’ai connu une nouvelle torture d’une durée de quatre mois, et qu’ils ont eu la bonté de me l’écourter en me ramenant à la maison avant que j’aie atteint le poids requis, j’ai tout naturellement intérêt à me comporter bien sagement, à ne plus leur gâcher la vie…

Hélas, cette deuxième hospitalisation m’a permis de m’éduquer à l’obsession du corps et de la maigreur. Elle m’a permis de parfaire mes connaissances en calories, de constater le degré d’ascétisme auquel il était possible de parvenir, de comparer les méthodes des unes des autres pour maigrir… Cette expérience n’a fait que renforcer mon attrait pour la nourriture et la fascination pour le contrôle que je peux exercer dessus, tout relatif qu’il est. Les traitements que j’y ai subis ont nourri ma honte de moi-même, ma révolte contre les rapports de force qu’on instaure systématiquement avec moi… Mon besoin de reconnaissance – reconnaissance de ma souffrance, de mon besoin d’écoute, de ma non-culpabilité – est encore plus grand qu’avant, et pourtant il est toujours aussi ignoré…

«  Ne t’en fais pas, tu n’as pas le profil d’une boulimique, toi  », m’a dit ma pédiatre peu avant que je quitte la MDA, alors que je lui exprimais de vagues craintes relatives à cette idée. Elle n’a pas percé à jour mon fonctionnement, sans quoi elle aurait compris que, étant donné mon besoin inconditionnel d’être acceptée, je peux devenir ce que justement on n’aurait jamais cru que je devienne, même si ce doit être le plus infâme des sorts pour moi… Et c’est ce qui m’arrivera des années plus tard. Pour le moment, déjà profondément incrustée en moi, la boulimie poursuit sa maturation à mon insu…

Les signes de compulsion se voient vite après ma sortie, mais j’ai encore bien trop honte pour admettre leur véritable nature. Ne parvenant pas beaucoup mieux qu’avant à manger chez moi, le soir en famille, ce que ma mère me prépare à la va-vite, je trouve un arrangement qui me permet de combiner restriction et compulsion, sans prendre de poids : il s’agit de prendre un repas léger le matin, de ne pas manger à midi, et de sortir dîner avec mon père le soir, afin d’échapper à la tension devenue coutumière dans la maison à ce moment. D’une façon qui paraît étrange à ce moment-là, j’arrive à manger au restaurant, plutôt je devrais dire je me sens «  obligée  » de manger, c’est plus fort que moi, je me lâche. Pour mon père, je suis juste en train de céder à ma faim physiologique… Je n’ose pas suggérer autre chose, et puisque je ne grossis pas ainsi, cet équilibre saugrenu est assez solide pour me permettre de continuer ma scolarité à bon train… Mes parents y trouvent leur compte par la tranquillité qu’ils y gagnent, en comparaison aux périodes précédentes…

Les choses se maintiennent peu ou prou jusqu’en mai 2010. A cette période, mon équilibre émotionnel se précarise, affectée que je suis par une trop grande pression scolaire, et les choses à la maison qui semblent toujours stagner dans une tendance inflexible à la mésentente, me faisant toujours tenir le mauvais rôle… Je n’ai pas d’autre choix que de persévérer dans l’amaigrissement… ne comptant bien évidemment pas retourner à l’hôpital  ! Mais c’est une nouvelle fois le choix de mes parents, et à nouveau ils l’exécutent d’une manière des plus avilissantes pour moi… Mon fardeau de honte s’alourdit encore, et toute protestation est perçue comme une manifestation de révolte qu’il faut briser. Je me sens comme une ordure qui ne mérite pas plus d’égard que de compassion…  

Au mois de mai donc, une prise de sang révèle un taux de potassium tout juste au-dessus de la sacro-sainte  normale, sans cause décelable à première vue. Voilà le prétexte tout trouvé pour une nouvelle hospitalisation d’urgence, en service de néphrologie à l’hôpital Necker. Ensuite, mes parents prévoient de me transférer à l’Institut mutualiste Montsouris (IMM pour les intimes), selon une planification bien rodée. J’ai l’impression d’être un jouet qu’on fait circuler dans les services hospitaliers selon les bons vouloirs des uns et des autres. Pourtant, à cette époque, je parviens à éprouver suffisamment de compréhension envers mes parents pour ne pas leur en vouloir comme avant. Du moins, je choisis consciemment de combattre la colère que je pourrais éprouver vis-à-vis des mesures coercitives qu’ils prennent envers moi, mais au fond, je ressens bien sûr beaucoup d’injustice, d’autant plus que je sais, par expérience, lucidité autant que connaissance de mon trouble, que l’hôpital ne va pas m’apporter de solution. Mon besoin de plaire à tout prix à mes parents, me donne la force de jouer le jeu du mieux que je le peux, d’écouter sincèrement les médecins… mais il y a des limites que je ne pourrai supporter.

Ce nouveau périple commence donc par le service de néphrologie de Necker. A l’instar de Saint-Vincent de Paul, ce second volet des «  préludes  » aux admissions dans les centres spécialisés se passe en chambre close, avec les plateaux-repas pour principale compagnie. La personne qui s’occupe de mon cas se trouve être, ô ironie, une des internes que j’ai connues à la MDA deux ans avant… Il y a aussi une dame, psychologue, qui vient deux ou trois fois me demander de noter ce que je mange et ce que cela me fait. Je m’adonne à l’exercice avec honnêteté… en dépit du trouble dans lequel me jette la virulente opposition de mes parents, en particulier de mon père, à ce genre d’exercices. Ils me mettent dans un endroit de force, insistant pour que je me laisse faire  comme un cobaye inoffensif, et ensuite ils me somment de ne pas suivre les injonctions des soignants  ? Tout se passe comme si mes parents voulaient apporter leurs corrections aux mesures thérapeutiques. Si c’est le cas ils auraient pu se rendre compte plus tôt qu’elles ne leur convenaient pas, ça m’aurait épargné un nouveau calvaire.

Comment mes parents peuvent-ils me demander de ne pas sourciller alors qu’eux-mêmes en sont incapables  ? Ce comportement ambivalent de leur part contribuera à m’empêcher de me sentir sécurisée par tous les soins qu’on me proposera, du début à la fin de l’hospitalisation. Lorsque je serai tentée d’accorder ma confiance aux médecins, j’aurai toujours le sentiment de trahir mes parents, et ceux-ci ne manqueront d’ailleurs pas de m’accuser de retourner ces premiers contre eux. Quelle souffrance je ressens alors, quel désarroi, moi qui ne contrôle rien du tout, qui ne décide même plus de ce qui m’arrive, et me démène pour satisfaire à leurs attentes aveugles  !

En néphrologie, je n’ai pas beaucoup de visites de l’interne, et je ressens son comportement envers moi si faux et ridiculement conventionnel que je ne compte pas beaucoup sur elle pour me soutenir moralement  ; tout au plus fais-je en sorte de la pousser hors du mutisme qu’elle manifeste à l’endroit de toutes les informations concernant ma prise en charge… A croire que je ne suis pas la principale concernée  ! On me fait passer toute une batterie d’examens, dont je ne me tiens au préalable informée qu’en rusant et en bataillant avec les soignants que je croise  ! A l’exception d’une infirmière, jeune et fort compréhensive, seule source de chaleur humaine que je trouve dans ce milieu… Voyant ma difficulté à manger, elle ne me juge ni ne me presse, elle accepte d’alléger mon angoisse en me communiquant le poids des petits pains sur les plateaux, elle m’apporte du réconfort sans m’étouffer. Ce n’est pas le cas de cet infirmier de nuit, qui en voyant ma tension entre 7 et 8, ne se retient pas de soupirer d’un air résolument navré, ne dissimulant guère la pitié que je semble lui inspirer… pour mon plus grand déshonneur. Ne voit-il pas qu’il m’encombre avec son étalage sentimental d’une niaiserie diabolique ? Comme si je devais grossir pour que lui n’ait plus à souffrir de mon état  ! Je dois donc supporter le poids des désirs de chacun au sujet de mon corps. Puis-je encore l’appeler «  mien  »  ? Comment, après qu’on l’ait si inhumainement manipulé contre mon gré, puis-je encore me sentir le droit de m’en occuper en personne responsable  ?

Après une soixantaine de prises de sang, des radios, des échographies, une dialyse manquée, et encore d’autres maniements en tous genres…  ce petit monde médical s’aperçoit enfin que ma fonction rénale n’a rien du tout… Bien évidemment, ma maigreur est une invitation de choix aux désagréments annexes les plus divers, et pour peu qu’un signe paraisse étrange, on se donne bonne conscience en déployant la grosse artillerie pour venir à bout d’un soi-disant problème, que l’on déclare tout de suite grave… Ainsi, la légitimité de la privation de liberté des anorexiques s’en trouve renforcée, aux yeux du monde entier exceptés, bien sûr, les intéressés eux-mêmes… Mais qui se soucie de l’avis de «  malades  »  ?

N’ayant plus rien à faire en néphrologie, et devant encore patienter avant mon entrée à Montsouris, je suis transférée en service de pédiatrie… Autant que je prenne d’ores et déjà quelques kilos ici, à Necker, cela me facilitera les choses  pour la suite, se disent sans doute les médecins. Qu’ils me paraissent stupides  ! Si je prends du poids ici, je ne vais même plus ressembler à une anorexique en entrant à l’IMM, et j’aurai trop la honte devant les autres nanas, les «  vraies  », celles qui excellent bien plus que moi dans l’art de la maigreur  ! Je dois absolument me soustraire à cette éventualité, sans quoi je mourrai de honte. Je parviendrai finalement, durant les deux semaines passées dans ce service, à ne quasiment rien prendre. Au prix de tricheries, de finesse, d’exercice intense et probablement de beaucoup de chance. Cela mérite d’être brièvement raconté…

J’arrive avec un poids de 34 kg. On me met en chambre seule. Une pédopsychiatre va s’occuper de moi. Elle me dit que je dois obligatoirement prendre du poids durant mon séjour dans ce service. Rien d’autre ne l’intéresse  ; elle ne s’embarrasse pas à venir me rendre visite pour discuter de mes souffrances profondes. C’est un psychiatre travaillant aussi à Montsouris, que je vois au total trois ou quatre fois, qui est censé remplir cette fonction, mais il ne fait pratiquement rien d’autre que de m’écouter, sans intervenir, ce qui m’irrite, m’angoisse et me frustre au plus haut point  ; d’autant plus que je fais preuve d’une extrême courtoisie dans l’espoir d’obtenir une réaction de sa part. En vain.

Comme on me pèse deux fois par semaine, et qu’au tout début je n’arrive pas à manger grand-chose, rien ne bouge entre les deux premières pesées, et le médecin veut me mettre une sonde. Semblable au condamné à mort, couvert de l’opprobre, qui implore pour qu’on lui laisse la vie sauve, je suis contrainte à supplier misérablement pour qu’elle me concède encore les quelques jours avant la prochaine pesée. Elle tient mon sort entre ses mains, et heureusement, elle est assez humaine pour se laisser attendrir. Elle m’impose de finir l’intégralité absolue de mes plateaux, et demande en gage de ma bonne volonté que je prenne mon repas du soir un peu en avance, juste avant la fin de notre entretien. Je mange ce plateau en entier, en compagnie d’une infirmière qu’on sollicite à l’improviste, mais ce sera le seul plateau que je finirai jusqu’à mon transfert à Montsouris. Et pourtant je n’aurai pas de sonde.

Ce médecin ne sait pas à quel point il est mortifiant pour une anorexique de manger. Surtout de manger sans une certaine excitation, garante de jouissance et d’auto-consolation  ; la même que je ressentais quand je sortais le soir au restaurant. A présent, si je mange, ce sera anonymement, dans un service insignifiant, sous une odieuse menace. Non, non et non. Quitte à passer pour un monstre d’hypocrisie, autant jouer le tout pour le tout.

Je commence d’abord par décliner la proposition quelque peu injonctive des soignants, de m’assister durant mon repas. Je prétends que pour parvenir à manger tous mes plateaux, j’ai besoin d’être seule, car j’ai moins honte ainsi. Encore une fois, je me montre suffisamment persuasive. Nouvelle complication  : ma chambre est juste en face du bureau des infirmiers, et la porte est vitrée. Je suis donc constamment sous une potentielle, relative surveillance. Je m’installe à table dos aux soignants, et face à ma fenêtre, ce qui ne suscite pas trop de méfiance. Le lit est à ma gauche. Subrepticement, avec une dextérité qui me surprend moi-même, je glisse des morceaux de nourriture sous le matelas, dans des mouchoirs que j’y ai placés à l’avance. La viande, le pain, le fromage y passent. Quant aux féculents, je les introduis dans mon verre, que je suis censée utiliser pour boire, mais à la place j’utilise une petite bouteille que m’ont une fois donnée les soignants en dehors des repas. Puis, à un moment intuitivement choisi, je me lève le verre à la main et me dirige vers le lavabo de ma chambre. Celui-ci est quasiment accolé à la vitre de la porte, de l’extérieur on peut vaguement discerner mes gestes en y prêtant attention. C’est le moment le plus périlleux. Je tourne le robinet et feins de remplir mon verre. En réalité je le vide auparavant de son contenu, en le renversant dans le lavabo par un petit geste saccadé, avant de le rincer et de le remplir d’eau. Puis je retourne à ma place. Dans ce verre, si besoin est, je trempe les légumes crus qu’on aura éventuellement couvert de sauce, et ensuite je les mange. Si j’ai des légumes cuits et qu’ils me semblent trop huileux, je leur offre également une baignade avant de les croquer. Je me permets aussi l’éventuel poisson blanc, avec parfois une petite partie des féculents, surtout s’il s’agit de riz ou de légumineuses… ainsi que le fruit qui fait une fois par jour office de dessert. Lorsque midi ou soir je tombe sur la gâterie qui tient le même rôle, selon sa nature – crémeuse ou solide – elle subit le sort du lavabo ou celui du mouchoir.

A la fin du repas, quand une infirmière a débarrassé mon plateau immanquablement vide, tous les aliments cachés sous le matelas sont discrètement transvasés dans ma culotte. Peu après je me rends aux toilettes situées à quelques mètres de ma chambre. J’attends toujours une heure ou deux afin qu’on ne me soupçonne pas de vomir, ce que je ne pratique alors point… Et je jette les aliments dans les toilettes, non sans état d’âme, mais avec quel soulagement  ! Ce procédé sera répété quatre fois par jour, jusqu’à ma sortie… A aucun moment je ne serai démasquée, bien qu’à quelques reprises je serai vraiment à deux doigts, ou plutôt un doigt de l’être… En parallèle je m’astreins quotidiennement à marcher 5000 pas dans ma chambre, exécuter 1200 flexions des jambes, et faire dix fois 60 secondes la «  chaise  » contre le mur, profitant du fait que le chantage relatif à la sonde n’ait nullement concerné mon degré d’activité physique. Et au bout des deux semaines, la balance affiche encore un nombre compris entre 34 et 35, et je n’ai pas eu de sonde. Ouf, c’est bon, maintenant je suis fin prête pour l’IMM  !

J’y resterai de début juin à mi-octobre. Là-bas, le traitement est centré sur la séparation avec la famille, et c’est l’argument qui a séduit mes parents. On nous fixe un poids de «  sortie de séparation  » où on peut commencer à passer des coups de fil, recevoir des visites… C’est plus sévère qu’à la MDA où la séparation était de rigueur juste les premiers jours, n’incluant pas forcément les appels téléphoniques, et ne dépendant pas aussi rigidement du poids…

A quoi ressemblent mes journées  ?
Réveil vers 7h. Un soignant passe me prendre la température, la tension, le pouls… du moins tant que je demeure en-deçà d’un certain poids. Après, ils abandonneront cette routine. Le jour de pesée, jeudi, mes toilettes sont inaccessibles, la porte de ma chambre est fermée à double tour, jusqu’à ce qu’on vienne me délivrer, peu avant 8h  ; on m’autorise alors à faire mes besoins, la porte des toilettes devant rester entrouverte et le robinet clos. Tout ceci, afin que je ne boive pas, et que mon poids ne s’en trouve ainsi faussé. Je parviendrai pourtant, durant les quatre mois et demi de l’hospitalisation, à chacune des pesées sans exception, à tricher  ; en buvant beaucoup la veille au soir, en rebuvant le matin entre un demi-litre et un litre et demi dans des bouteilles que j’aurai soigneusement dissimulées dans des endroits incongrus, si incongrus que même les soignants fouilleurs expérimentés ne les trouveront pas… et enfin en me retenant d’uriner juste avant la pesée. Selon le poids que je souhaiterai, ou que je craindrai de voir affiché sur la balance, et aussi selon la tolérance de ma vessie, je modulerai les quantités d’eau bues. En dépit de ces ingénieuses manigances, j’aurai toujours l’impression d’être une anorexique novice, concevant les autres filles comme des pros qui connaîtraient toutes les ficelles du métier, auteures de stratagèmes d’un génie et d’une audace inaccessibles pour mon médiocre cerveau … mais je n’oserai jamais le vérifier auprès de l’une d’entre elles  !

Après le lever et l’éventuelle pesée, on se regroupe devant la pharmacie, située juste à côté de la salle à manger. On répond obligeamment au bonjour des soignants… on prend bien sagement tous les comprimés colorés qu’on nous présente… on essuie l’abrupte remarque d’une infirmière qui trouve qu’on n’est pas vraiment assez vêtues… et nous ordonne de mettre un gilet pour perdre le moins de calories possible  ! Ensuite on entre dans la salle à manger. Les plus maigres, celles qui font «  le moins d’effort  » d’entre nous, ont des places assignées. A toutes les tables, pain, beurre et confiture sont déjà posés. On fait ensuite la queue pour prendre des céréales, du lait, du thé, du jus d’orange… mais on ne peut pas se servir soi-même. On doit donc se contenter des quantités à mon sens outrancières versées par les soignants. On dispose d’un temps fixe pour le repas, puis on doit jeter soi-même à la poubelle ce qu’on n’a pas mangé. Histoire, je suppose, de bien nous faire culpabiliser… On nous empêche en revanche de continuer à manger à la fin du temps imparti  ! Une fois on tente carrément de m’arracher un quartier de pomme que je porte à ma bouche…

A midi et le soir, c’est le même rituel, excepté que certaines ont un plateau, tandis que «  les plus persévérantes  » se servent elles-mêmes dans des plats collectifs disposés au milieu de la table. Je préfère le plateau car les quantités versées à l’avance, trônant comme si elles ont toujours été là, me procurent un sentiment d’apaisement. Je me dis  : c’est un repas prévu pour une personne. C’est un cadre sécurisé et sécurisant, pas du tout comme si je devais me servir moi-même  ! Malheureusement, au bout d’un certain temps les médecins finiront par m’imposer cette condition, afin selon eux que j’apprenne à me verser seule des quantités appropriées. Eh bien, je n’en serai jamais capable  !

Parlons-en, de ces médecins. Je suis suivie par un psychiatre et une interne. Celle-ci ressemble d’ailleurs à une anorexique, pour ne pas dire qu’elle l’est. Elle exhibe son petit corps osseux à      ses patientes… Bref. Le psychiatre vient de délaisser son ancien statut d’interne, il me fait l’effet d’un médecin arrogant. Malgré tout, lors des entretiens où il s’invite en grande pompe, je m’efforce d’avancer dans ma problématique, en lui confiant mes pensées et mes souffrances avec toute la véracité dont je suis capable. J’en ressors à chaque fois épuisée, et toujours plus perdue qu’à l’arrivée, car lui ne se contente que de m’écouter avec un sourire figé, ou de me poser des questions dont je ne comprends, ni n’ai le droit de comprendre l’issue… Tout cela m’échauffe tellement la tête, me plonge dans des méandres si stériles, qu’à bout de force je m’abandonne, avec une exaltation mêlée d’angoisse, à la fascination de mon symptôme autour duquel tout est fondé ici, comme à la Maison de Solenn. Je me plonge dans les prévisions des repas de la semaine, dans le décompte des calories, dans le minutieux examen de l’équilibre alimentaire qu’on nous propose… dans la jouissance tourmentée de manger et de se priver. Je me délasse autant que je m’excite. Je ne sors pas de mon trouble, oh que non, et pourtant ce n’est pas faute de volonté, loin de là, toute ma volonté je la mets dans l’accomplissement des soins qu’on me propose… ou qu’on m’impose. Je tente de ne pas laisser la colère m’envahir, quand j’assiste au spectacle d’une hyperactive brutalement empêchée de faire le poirier, quand on introduit de force une sonde dans le nez d’une fille qui est là depuis plus d’un an, quand  on a la malveillance d’imputer une soi-disant manie du lavage des mains, mon refus de participer à un atelier pâtisserie, quand celui-ci est en vérité motivé par ma réticence à cuisiner ce à quoi je sais que je ne toucherai pas ensuite…

Mon hospitalisation est une suite de confrontations, d’efforts pour préserver courage et lucidité, de tentatives pour enfin trouver le chemin de la «  guérison  »… Mes parents ne s’entendront pas du tout avec les médecins. Ils refuseront les soins avant que j’aie mon mot à dire. Ils accuseront les médecins d’imposture et de malhonnêteté… Ils justifieront ainsi mon absence de guérison. Ou bloqueront-ils ainsi par avance une possible guérison  ? Je ne crois pas que la réponse à cette question, dans le contexte de l’hospitalisation à l’IMM, ait de l’importance, car je n’aurai jamais été moi-même confiante dans les méthodes employées là-bas.

Cependant, au jour d’aujourd’hui, le même mode de réaction gouverne chez mes parents  : alors que j’ai moi-même choisi un autre suivi, sous la forme d’une psychothérapie de groupe, en lequel je crois sincèrement, ils pensent que je me fourvoie et que cela ne m’aidera pas. Les séances sont intensives, chacune d’elle coûte assez cher et j’ai dû prendre un petit travail en plus de mes études pour pouvoir me payer cette thérapie. En effet, mes parents ont au départ refusé de s’engager dans ce financement, mes crises (intensives elle aussi  !) les dépouillant bien assez, eux qui n’étaient déjà pas pleins aux as… Finalement, j’ai abandonné la fac au bout de quelques mois, ne pouvant me rendre en cours avec mes boulimies démentielles, et il n’y a que le petit job qui est resté. Il va peut-être d’ailleurs prendre fin bientôt… Cependant, mes parents acceptent aujourd’hui de pourvoir, dans le cas où je n’y parviendrais plus par moi-même, aux frais thérapeutiques à venir. Ils ont compris à quel point c’était important pour moi, et me souhaitent de tout leur cœur d’en tirer la force nécessaire pour m’en sortir. Hélas, ne pouvant me satisfaire de leur seul consentement, je recherche désespérément que leur opinion et la mienne concordent… Et lorsque, mue par ce désir, je m’enquiers de leur impression quant à ma psychothérapie, ils ne me cachent pas que leur scepticisme demeure…

Au fond, en quoi voyons-nous les choses différemment  ? Qu’est-ce qui me met en confiance dans la thérapie que j’ai choisie  ? C’est avant tout la justesse des propos que j’y ai entendus  : le problème ne porte pas sur les troubles alimentaires en eux-mêmes, ceux-ci ne sont qu’une béquille, une automédication que de l’extérieur on interprète comme une maladie à part entière. Le travail thérapeutique ne doit pas porter sur le comportement alimentaire, comme c’est le cas dans les hôpitaux, mais sur un plan plus profond, à un niveau qu’on n’aurait peut-être pas la force d’aller explorer seul. Cela, mon expérience me l’avait fait comprendre, et j’ai finalement trouvé une personne qui se propose de m’aider en partant du même constat. Dans les groupes je sens qu’on touche du doigt les aspects sensibles, pathologiques, délirants de mon fonctionnement… et cela sans qu’on parle des symptômes. La présence des autres boulimiques permet d’infirmer ou de confirmer la pertinence de mes inquiétudes, et ainsi je découvre que je me méprends souvent sur la signification que je donne aux paroles des gens… Je constate que la culpabilité et le désir de plaire à tout prix conditionnement mes réponses, et que c’est sur ces points-là que je dois travailler, que je dois me servir de mon intelligence. J’ai le loisir de vérifier que la confusion que je ressentais lors des hospitalisations était bien justifiée, ce par le fait qu’on pointait du doigt une obsession dont je ne pouvais me passer, en voulant me l’enlever de force… Aujourd’hui, il me semble tellement logique, bien que j’aie du mal à le concevoir pour moi-même, que si un jour le symptôme doit s’en aller, ce ne sera pas au moyen de ma volonté  ! Dommage qu’à l’hôpital on ne l’ait pas compris  !

Bref, ce que j’apprends en thérapie depuis quelques mois fait sens pour moi, la transparence des échanges me convainc qu’il n’y a rien de dissimulé, et rien à dissimuler, et cela me rassure. Je ne crois pas me tromper moi-même en poursuivant dans cette voie, je ne crois pas faire preuve d’une trop grande naïveté. Mais mes parents le croient. Ils n’ont jamais pu être à l’aise avec la psychologie, ils ne parviennent pas à croire qu’une méthode à laquelle eux n’auraient jamais recouru pour eux-mêmes puisse m’être utile à moi… Et cela, je le comprends, car j’arrive à en discuter ouvertement avec ma mère, et le soin qu’elle attache à me comprendre me permet de voir que c’est vraiment sa pensée authentique, une pensée qui n’est pas intentionnellement opposée à la mienne… A une époque, j’aurais pu le croire, avec ma paranoïa  ! Mais en dépit de tous mes progrès, de tous nos progrès, je tends sans cesse à vouloir la fusion entre ma mère et moi, coûte que coûte, la fusion totale sinon rien… Surtout lorsqu’il s’agit de ma thérapie, c’est trop important  !

Parviendrai-je à surmonter le malaise que j’éprouve à l’égard de cette divergence de point de vue, sans doute inéluctable, entre mes parents et moi?

Parviendrai-je à surmonter ma dépendance… affective, dont je vois clairement maintenant qu’elle est à l’origine de mon addiction alimentaire?   

J’ai montré cet article à ma mère, qui après l’avoir lu, m’a dit «  ok  » avec le ton débonnaire et impassible de quelqu’un qui, ne s’attendant à rien, n’en apprend guère plus que ce qu’elle savait déjà. Nous communiquons bien plus qu’avant, elle et moi, et tout ce que j’ai écrit, elle avait déjà bien voulu l’entendre, et le comprendre. L’attention qu’elle m’offre est une grande preuve d’amour, et pourtant j’en veux toujours plus, à ma grande honte  : l’amélioration de nos relations n’a pas atténué ma dépendance affective. Je vois bien que j’en demande trop. J’espère un jour accepter de n’être pas parfaitement comprise, et de n’avoir plus besoin ni de l’anorexie ni de la boulimie.»

Comment peut le constater le problème de Claudia semble être avant tout sa dépendance affective. Un trait commun à toutes les personnes boulimiques, même quand cela ne se voit pas, parce qu’elles ont choisi de vivre seules et réussissent sur le plan relationnel à s’imposer d’une façon souvent violente ou intrusive.

Il est probable que Claudia parviendra à « travailler » sur sa dépendance affective grâce aux exercices relationnels en groupe, renforçant ainsi sa confiance en elle-même, son estime d’elle-même, et, par voie de conséquence, se «  construisant  » ainsi, peut-être pour la première fois de son existence, un sentiment d’autonomie.

Il lui faudra beaucoup de patience et de courage pour se confronter aux autres et dépasser ses blessures «  narcissiques » qui ne manqueront pas de se manifester au fur et à mesure des interactions sa thérapie de groupe où elle ne peut plus s’accrocher ni à la nourriture ni aux autres. Aussi étrange que cela puisse paraître, l’expérience montre que l’addiction alimentaire s’atténue au fur et à mesure que l’on devient soi-même, dans une relation affective non conflictuelle avec les autres. Cela commence d’abord assez rapidement avec l’arrêt de l’obsession de la nourriture. Viennent ensuite, pendant quelques mois (parfois) quelques années des «  crises  de confort» qui ne sont plus vraiment des crises de boulimie (dans la mesure où il n’y a plus d’obsession, où la nourriture n’est plus le centre de la vie, où les quantités de nourriture ont beaucoup diminué, les fréquences aussi). Jusqu’au jour où le comportement alimentaire et le comportement relationnel ne posent plus de problème, tant sur le plan physique qu’existentiel dans la vie de la personne.

Catherine Hervais
Psychothérapeute clinicienne

Catherine Hervais

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