La psychanalyse

La psychanalyse, incontournable quoi qu’on en dise.

psychanalyseQuand on échoue avec  les thérapies traditionnelles, on s’oriente parfois vers une approche psychanalytique, qui, bien que très constestée par certains philosophes et thérapeutes continue à être, pour d’autres, une pratique incontournable.

Elle nous permet en tout cas de comprendre les processus psychologiques des personnes qui ont besoin d’une addiction pour vivre (leur carences narcissiques du tout début de la vie) même si, dans sa forme actuelle,  elle n’est pas adaptée pour les aider à acceder aux ressources qui leur manquent : ces personnes ont besoin d’expérimenter la relation à l’autre pour réussir à être en relation avec elles-mêmes et la psychanalyse ne se prête pas à ce genre de travail. Cela supposerait que le psychanalyste ne soit pas « neutre » et qu’il entre dans une véritable relation avec la personne pour qu’elle puis expérimenter la relation authentique à l’autre quand l’affectif est en jeu. Mais si je psy n’est pa neutre ce ne serait alors plus de la psychanalyse.

Quoi qu’il en soit, si vous voulez en faire une, adressez vous aux instituts sérieux et connus qui forment des psychanalytes. On voit parfois des psychiatres dire qu’ils ont eu une formation psychanalytique et donner des conseils (ce qui est totalement hors déontologique concernant la psychanlayse) et en plus des conseils inapplicables. L’un d’eux dont je ne dirais pas le nom mais qui est connu pour la prise en charge des personnes qui ont une conduite boulimique anorexique  proposait, dans une émission de télévision, à une boulimique ronde qui ne réussissait pas à maigrir, de suspendre une robe de taille 38 dans sa chambre et de la regarder tous les matins pour se motiver. Un hypnothérapeute médecin qui se dit psychanalyste de formation, très connu lui aussi pour solutionner les problèmes d’addiction avec l’hypnose fait des inductions hypnotiques dans lesquelles il dit : « quand vous vous réveillerez vous serez dégoûté par les gâteaux… »

Les psychanalystes ne travaillent pas sur les symptômes mais sur ce qui oblige les gens à s’exprimer avec des symptômes. Si vous avez lu « Des Mots pour le Dire » de Marie Cardinal, qui perdait beaucoup de sang, se souviennent que dès la première séance, son psychanalyste lui a dit : « ne me parlez plus de vos pertes de sang ». Faire une psychanalyse dans votre cas avec votre type de personnalité n’est pas impossible mais demande un psychanalyte très expérimenté aux personnes dites « carencées sur le plan narcissique » c’est à dire dépourvue d’un sens de soi. Mais rien n’est impossible et certains psychanalystes ont peut-être trouvé une approche pour vous aider. Nous vous avons relaté dans boulimie.fr le travail magnifique que le psychanalyste Winnicott avait fait avec une de ses patients qu’il a appelé Margaret Little

Cela dit, si la psychanalyse n’est pas l’approche idéale pour vous aider et si le groupe (de thérapie, pas de parole) est infiniment plus efficace, la psychanalyse donne en tout cas un bon éclairage pour comprendre le shéma psychologique de ceux qui, comme vous, ont besoin d’une addiction pour vivre. Son objectif ne sera jamais de vous proposer de la contrôler avant d’avoir acquis les ressources identitaires qui vous permettent de le faire.  Bien sûr la neuro-physiologie apporte aussi un nouvel éclairage, mais ces deux approches, les neurosciences et la psychanalyse sont tout à fait complémentaires dans certains cas. Ce n’est pas parce qu’on ne capte pas la sérotonine qu’il est interdit de comprendre les conséquences que cela peut avoir sur le développement psychologique et relationnel de l’enfant.

Ce que la psychanalyse nous apprend sur l’addiction.

Même si Freud a trompé son épouse avec la soeur de celle-ci, même s’il aimait l’argent, même s’il voulait faire de la psychanalyse une science et qu’il s’avère qu’elle n’en est pas une, même si ça ne marche pas pour tout le monde, grâce à elle on sait que l’inconscient et ses pulsions ont une logique qui dépassent le bons sens et le raisonnable. Quoi qu’en disent Michel Onfray et tous les détracteurs de Freud quand on compare ceux qui ont besoin d’une addiction pour vivre et ceux qui n’en ont pas besoin, on s’aperçoit que ces derniers ont accès au désir et à ses refoulements, à la symbolique émotionnelle, aux nuances relationnelles, tandis que ceux qui ne peuvent pas vivre sans une addiction n’ont pas accès au désir, aux subtilités de la relation dans la vie émotionnelle. Ce qui les met en mouvement n’est pas le désir comme pour la majorité des gens, comme ceux que Freud appelait les « névrosés », mais c’est le besoin, un besoin de survivre, d’échapper à la peur, de ne pas se laisser engloutir par la dépendance affective ou par la solitude quand la relation fait trop souffrir. Tandis que, selon Freud, la plupart des comportements humains s’expiquent par le désir on voit bien à quel point c’est vrai quand on se penche sur ceux qui ont besoin d’une addiction pour vivre (dont la boulimie fait partie) dans la mesure où chez eux le désir est absent. Ils ont accès à l’excitation, au goût des sensations fortes mais pas aux subtilités du désir avec tout son panel de nuances affectives. Cela s’explique : pour éprouver du désir, il faut avoir un minimum d’autonomie. (je ne parle bien sur pas d’autonomie matérielle mais affective. Tout tourne encore autour du besoin comme chez le tout petit enfant. Il faut avoir assez d’autonomie affective pour être capable de « défusionner » avec l’autre. Or, ceux qui travaillent avec des personnes qui ont besoin d’une addiction pour vivre,se rendent immédiatement compte qu’affectivement parlant ils sont toujours « collés » ou rejetants, si perméables à l’univers de l’autre qu’ils ne peuvent pas les lacher et préfèrent de rompre avec eux aussitôt qu’ils se sentent contrariés par eux.  

Tout a un sens, une fonction

Ainsi que l’on soit « névrosé » ou pas, grâce la psychanalyse, on découvre non seulement que certaines personnes ont accès au désir et d’autres pas et que tout a une logique inconsciente  Nos comportements les plus illogiques, les plus irrationnels nous sont dictés soit par le désir soit par le besoin de sorte qu’ils n’ont pas à être jugés « dysfonctionnels ». On ne retire pas une addiction avec un sevrage. On l’accepte, on la respecte tant qu’on n’a pas travaillé avec la personne sur ses problèmes d’identité et sur les moyens qu’elle peut mettre en oeuvre pour acquérir plus d’autonomie afin de ne plus avoir besoin de fuir ou de « couler » dans ses relations affectives. 

{xtypo_quote_right}La psychanalyse permet de déculpabiliser et d’avoir un autre regard sur soi et sur le monde. Mais elle a ses limites…. {/xtypo_quote_right}Qu’elles soient agies par le désir ou par le besoin, nos pulsions ont parfois des exigences que nous ne pouvons pas satisfaire. En tout cas, pas ouvertement. Les « névrosés » « subliment » leurs plusions (pour prendre deux expressions freudiennes), c’est-à-dire transposent leurs désirs interdits en plaisirs acceptables. Les personnes qui en sont encore au besoin et ont du mal à se sentir exister se jettent dans l’action. Tantôt violente ou destructrice, tantôt utile pour l’humanité, ce sont souvent des personnalité hors du commun qui fonctionnement mieux sur des routes parallèles et ont du mal à ressentir ou à faire les choses comme la plupart des gens.

Si donc on reste dans les shémas psychanalytiques, quels que soient les moyens employés, chacun se débrouille toujours, d’une manière ou d’une autre, pour satisfaire les exigences de ses pulsions inconscientes qu’elles véhiculent du désir ou plus primairement du besoin. 

Et lorsque nous ne réussissons pas à satisfaire nos pulsions inconscientes, soit en les vivant telles quelles, soit en trouvant un moyen détourné pour les vivre, qu’elles soient mues par le désir ou par le besoin, elles s’expriment sous la forme d’un symptôme somatique (un ulcère, de l’asthme, des hémorragies — comme le raconte Marie Cardinal dans son livre « Les mots pour le dire » — ou bien sous la forme d’un trouble du comportement.

Ainsi, que l’on fume trois paquets de cigarettes par jour, que l’on astique du matin au soir son appartement, que l’on fasse pipi sans arrêt, que l’on boive trop ou que l’on fasse des boulimies, tout cela nous est commandé par notre inconscient, auquel chacun de nous obéit toujours, sans s’en rendre compte, comme un petit soldat.

Ça parle dans les organes

Groddeck, qui soignait les maladies du corps à la même époque où Freud se penchait sur les maladies de l' »âme », avait lui aussi découvert l’inconscient, qu’il appela le « Ça ». Lorsque nous ne réussissons pas à satisfaire nos pulsions, nous développons parfois une maladie qui n’est autre que le langage de l’âme. La maladie, au-delà de la souffrance, est la preuve que l’on est bien vivant, que l’on parle avec sa « viande » : tout ce qu’on ne peut pas dire avec des mots, on le dit avec le corps.

Il en va, bien sûr des comportements, comme des troubles physiques et le comportement boulimique est ce par quoi les pulsions d’une personne s’exprime. Que dit donc, le « ça » lorsqu’on est boulimique ?

De toute évidence, le « ça » dit qu’il ne veut pas lâcher le sein, ou le biberon. Ceux et celles qui font de la boulimie en sont restés (sur le plan affectif) à leur première enfance, c’est-à-dire au stade de leur vie où leur seule préoccupation concernait l’objet qui remplit effectivement la bouche, calme, répare.

La séparation d’avec la mère

Lorsqu’ on lit Mélanie Klein, dont les travaux comptent parmi les plus importants de la psychanalyse, on apprend que le sein est à la fois l’ami et l’ennemi numéro un du nourrisson.

Dans les premiers moments de sa vie, l’enfant ne se rend pas encore bien compte qu’il existe en tant qu’ « objet » séparé de sa mère, pas plus qu’il n’est capable de la percevoir tout à fait dans son entité. Il a une vision très floue de son environnement.

Le premier objet qu’il perçoit distinctement, c’est ce que les psychanalystes appellent l’ « objet partiel », c’est-à-dire l’objet qui lui en met plein la bouche et, ce faisant, lui apporte de la quiétude et de l’apaisement.

Tous ses fantasmes, ses plaisirs, ses déplaisirs s’organisent autour du sein. Mais tôt ou tard, quand justement l’enfant commence à percevoir sa mère dans sa totalité, quand il se vit comme bien distinct d’elle, il renonce au sein pour n’en plus vouloir qu’à elle (ou à son père, si l’enfant est une petite fille).

C’est alors qu’il « fait son œdipe ». On peut prendre cette exrpession freudienne au sens très large. Ils signifique que l’enfant réussit à se détacher de sa mère, ou plus exactement de la nourriture maternelle et que ses centres d’intérêt ne sont plus réduits au fait d’avoir ou non la bouche pleine, mais sont devenus relationnels.

Aimer, être aimé, haïr, craindre, culpabiliser sont autant de termes significatifs de la problématique œdipienne. Toute une activité fantasmatique se met en place. L’enfant s’identifie à des images parentales, se constitue une image du Moi et choisit les objets d’amour qui lui permettent à la fois de s’éloigner du parent un peu trop concerné par son désir et en même temps de s’en rapprocher symboliquement. Sans le savoir, ses nouveaux choix lui donneront l’occasion de répéter à l’infini son théâtre œdipien.
Ainsi, grâce à la psychanalyse, nous savons que tout le monde répète invariablement, sous de multiples formes, ses schémas œdipiens.

Ceux qui ne veulent pas lâcher le sein

Tout le monde… mais curieusement, pas les personnes boulimiques. Les personnes boulimiques, en général (celles en tout cas qui sont de personnalité « borderline », c’est-à-dire 90% de mes patients) ne sont pas concernées par le complexe d’œdipe parce qu’elles sont restées bloquées à une étape antérieure de l’évolution affective.

En n’étant préoccupées que de ce qui remplit leur bouche, les personnes qui font de la boulimie s’échappent des difficultés que pose la vie relationnelle, comme si elles ne voulaient pas ou ne pouvaient pas grandir jusqu’à l’œdipe, comme si elles n’étaient pas encore dans un registre de relation à l’autre mais plutôt de relation au sein. Ainsi, bien que la boulimie apparaisse souvent au moment de l’adolescence ou à un stade de la vie d’adulte particulièrement critique , elle a ses fondements dans les tout premiers stades de la vie infantile. Quelque chose de l’ordre de la peur, de l’horreur ou du dégoût — on peut faire toutes sortes d’hypothèses — fait que la première relation à l’autre, si importante pour la relation ultérieure aux autres, n’a pas été ce qu’elle aurait dû être.

Dans leur vie affective,elles ne sont pas réellement dans la relation à l’autre, mais uniquement dans une relation au sein, avide, fusionnelle. Et quand elles s’allongent sur le divan d’un psychanalyste, elles n’ont, en tout et pour tout, qu’une demande de maternage, fusionnelle, massive.

Du désert à la passion

En amour, c’est tantôt le désert, tantôt la passion mais pas des amours qui incluent le respect et l’acceptation de la différence de l’autre.

À propos de ses observations sur l’amour de transfert, Freud parlait de l’échec de la psychanalyse sur certaines femmes, « des femmes à passions élémentaires », dont il dit qu’elles ne sont accessibles qu’ « à la logique de la soupe et aux arguments de quenelles ».
Clin d’œil peut-être aux personnes boulimiques, pour qui, bien sûr, il est tout à fait indiqué de parler de «soupe» et de «quenelles».

Mais si la psychanalyse nous aide à comprendre ce qui ne va pas chez les boulimiques elle ne donne pas beaucoup de pistes pour comprendre comment aller mieux. D’autant que le psychanalyste ne parle pas (l’approche psychanalytique s’appuie sur la neutralité du psychanalyste). Assez silencieux, évitant d’apporter des réponses, il induit volontairement, par son attitude, une situation de frustration affective.

Freud disait que l’intérêt, dans la psychanalyse, ne réside pas tant dans ce que l’on raconte de sa vie que dans ce que l’on revit de sa vie, sur le plan affectif, au travers de la relation avec le psychanalyste. Il appelait cela «le transfert».

Un scénario répétitif

L’être humain répète toute sa vie ses émotions d’enfant et à partir de ses répétitions avec le psychanalyste, on est sensé revivre et comprendre de quoi on a souffert quand on était petit.
On apprend plein de choses sur soi. Ça aide à déculpabiliser. On peut parler de tout sans se sentir jugé, l’analyste ne vous coupe pas pour vous donner des conseils ou des positions personnelles. On a une véritable sensation de liberté.

Mais les boulimiques ne savent pas trop quoi faire de toute cette liberté. Elles étaient perdues dans la leur vie quotidienne, elles sont perdues dans l’analyse où il ne leur est proposé aucune direction de façon réellement explicite. Je pense qu »il leur faut une direction.

Les boulimiques anorexiques et la psychanalyse

Les boulimiques ont moins besoin de comprendre que d’apprendre, d’expérimenter la relation à l’autre. Avec un «psy » neutre, il leur manque la dimension qui leur permettrait d’expérimenter et d’apprendre ce qui est nécessaire pour qu’elles ne se sentent pas en décalage permanent avec les autres.

Passer des années à chercher ce qui n’allait pas dans l’enfance, réfléchir en boucle sur ce qui ne va pas aujourd’hui, ne permet (en principe) pas aux personnes boulimiques d’expérimenter suffisamment la relation à l’autre pour élaborer rapidement de nouveaux fonctionnements.

Pour parachever la construction de la personnalité, il faut une véritable relation à l’autre. Pas seulement une relation à quelqu’un de neutre avec qui l’on a tendance à se sentir perdu dans le temps et dans l’espace.

Pour les personnalités « état-limite »(ou borderline)
la psychanalyse devrait être réinventée

J’ai connu une psychanalyste qui venait de rompre avec une patiente très agressive qui ne voulait pas lui payer les séances lorsqu’elle (la patiente) était en vacances. (En analyse, on est censé prendre sos vacances en même temps que le psychanalyste, sinon on paye les séances manquées, c’est l’usage).

La patiente, en ne voulant pas payer les séances manquées, était sortie du cadre , et du coup, la psychanalyste s’était autorisée elle aussi à sortir du cadre et s’était exclamé : «ça fait trois ans que je vous supporte et vous ne respectez même pas le contrat !».

Cette petite histoire pour illustrer que lorsque l’on est « invivable » on l’est non seulement pour soi-même mais aussi pour son entourage et également pour son psychanalyste!

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Jean-Pierre Bernadaux, webmestre.

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