Boulimie, hyperphagie et psychothérapie. J’entends souvent certaines personnes parler de leur boulimie en me disant qu’avant de tomber « malade », elles allaient bien. Je leur explique que l’addiction en soi n’est pas une maladie. Elle peut occasionner des troubles physiques ou des phases dépressives qui nécessitent un accompagnement médical. Mais à la base, elle sert psychologiquement à apaiser une angoisse existentielle très profonde.
Boulimie hyperphagie et psychothérapie centrée sur le problème d’identité
Quand la psychanalyse se penche sur le mental des personnes boulimiques anorexiques, elle découvre un trouble identitaire qui n’est pas dû à la boulimie, contrairement à ce que beaucoup de psychiatres pensent encore, mais à des angoisses surdimensionnées qui rendent ces personnes incapables de vivre leur propre vie.
L’addiction convient mieux à la boulimie que le mot « toxicomanie ».
C’est la psychanalyste Joyce MacDougall qui a introduit de la langue anglo-saxonne le mot « addiction » parce qu’elle trouvait que le mot « toxicomanie » n’était pas approprié pour mettre en avant l’aspect psychologique à l’origine des actes répétitifs et destructeurs dans lesquels certaines personnes s’enferment malgré elles.
Les trois cas des personnes boulimiques selon Joyce MacDougall
Ainsi, dans un article « Économie psychique de l’Addiction », elle présente trois cas de personnes boulimiques. En se penchant sur la boulimie, tout aussi sévère que la toxicomanie mais probablement plus accessible à l’éclairage de la psychanalyse, Joyce a trouvé le mot « addiction » plus adapté pour mieux comprendre ce qui se passe dans le mental de ceux qui ont besoin d’un comportement aliénant et destructeur pour vivre.
En effet, explique-t-elle dans son article, l’addiction n’est pas seulement aliénante et destructrice. Elle est aussi apaisante. Et surtout, elle empêche l’émergence d’angoisses archaïques très profondes.
Boulimie : mal dans sa peau ou pas dans sa peau?
Si certains se sentent mal dans leur peau, les personnes qui s’apaisent en mangeant (en se droguant, avec l’alcool, en commettant des actes violents ou même tout simplement en ayant des pensées répétitives, etc.) ne se sentent pas dans leur peau : elles se sentent vides, elles se détestent, elles ont du mal à se sentir à l’aise parmi les autres. Comme dit plus haut, contrairement à ce que la psychiatrie pensait jusqu’ici, ce n’est pas la boulimie qui crée des fragilités psychologiques. C’est le trouble identitaire qui rend nécessaire le besoin de s’apaiser avec une addiction. Dès lors, cela change complètement le type de travail psychothérapeutique dont les personnes souffrant d’une addiction sévère ont besoin.
Plus clairement, si l’addiction ne peut pas être contrôlée, c’est parce qu’elle répond à une nécessité profonde de s’échapper de SA réalité. Depuis la première enfance jusqu’à l’adolescence, des angoisses (de type « psychotique », selon Joyce MacDougall) poussent à emprunter des chemins de vie qui ne sont pas les siens : le manque de stabilité intérieure oblige à se construire tant bien que mal un personnage qui permet de vivre plus ou moins confortablement parmi les autres.
Qui sont ceux qui développent une addiction alimentaire?
À l’adolescence, souvent malgré une famille aimante et de bons résultats scolaires, ceux qui vont développer une addiction (quelle qu’en soit le type) sont ceux qui sentent qu’ils ne sont pas eux-mêmes. Ils ne se sentent jamais apaisés, ni parmi les autres, ni dans leur propre corps. Ils se cherchent mais ne se trouvent pas. Alors, tantôt la maîtrise sur leur corps en ne mangeant pas, tantôt l’absorption rapide de nourriture ou d’une substance, leur permet de se sentir exister, au moins physiquement.
D’où viennent ces angoisses psychotiques et surtout, comment les soigne-t-on?
Cette question mérite d’être posée aujourd’hui avec le développement de la neurophysiologie, parce que, contrairement à ce que pensait l’immense psychanalyste pédiatre Donald Winnicott — qui a beaucoup travaillé sur la petite enfance —, on peut aussi développer des troubles de l’identité sans avoir eu une mère « incompétente ».
J’ai eu dans mon expérience de clinicienne l’occasion de rencontrer de nombreux parents, et si certains m’ont paru réellement très rigides, d’autres, au contraire, étaient à l’évidence pourvus d’empathie pour leur enfant, avec une personnalité équilibrée, aimant la vie et sachant la vivre avec joie et légèreté.
Les causes neurophysiologiques
Aujourd’hui, les manuels de psychiatrie recensent, pour la boulimie-anorexie, des causes multifactorielles parmi lesquelles figurent des causes neurophysiologiques. Y aurait-il aussi une cause génétique avec un gène manquant, ou au contraire trop actif, qui empêcherait un bon dosage de la sérotonine et qui créerait chez l’enfant, dès sa naissance, une hypersensibilité constitutionnelle le rendant sujet à des angoisses très archaïques de type psychotiques, pour reprendre l’expression de Joyce MacDougall ? En tout état de cause, le cadre familial permet de contenir ces angoisses, plus ou moins bien (selon les personnes), jusqu’à l’adolescence. Mais elles débordent par la suite lorsque le cadre familial n’est plus assez contenant : quand on a toujours vécu au rythme des autres (soit en mode « pot-de-colle », soit en « mode rebelle »), on n’a pas réellement construit un univers intérieur autonome. C’est alors qu’on se sent vide.
Toutes les personnes boulimiques-anorexiques me le disent : elles se sentent vides quand elles ne sont pas « occupées » par quelque chose qui les absorbe. La formule en elle-même : « j’ai besoin de m’occuper », indique à quel point elles se sentent comme un objet vide et inerte.
Vivre dans la passion ou ne pas se sentir vivant
Les personnes boulimiques-anorexiques se laissent emporter par un mouvement qui les passionne. À l’inverse, lorsque les personnes boulimiques-anorexiques se laissent emporter par un mouvement qui les passionne, elles sont animées d’une énergie et d’une créativité considérables. Mais leur puissance vitale retombe aussitôt lorsqu’elles se retrouvent avec elles-mêmes, c’est-à-dire lorsqu’elles ne sont plus « occupées ». Elles s’ennuient mortellement, même quand elles sont entourées de gens qu’elles aiment, et plongent dans l’addiction pour échapper à la folie ou au suicide.
Mon expérience personnelle et clinique m’ont enseigné que la solution pour sortir de l’addiction n’est pas de mieux se comprendre, comme c’est généralement le projet en psychothérapie, mais de se construire. Même à l’âge adulte, il est possible de se fabriquer une vie intérieure à soi, celle que l’on n’a pas pu construire enfant tant on avait besoin de s’accrocher à ses proches pour échapper aux angoisses psychiquement destructrices.
Le fait que l’on n’ait pas besoin de se comprendre mais de se construire change tout du point de vue de la méthode psychothérapeutique à utiliser. Par exemple, une thérapie de groupe dans laquelle on parle avec authenticité et dans laquelle on réagit en termes de « j’aime ou je n’aime pas » et non de « je pense que » ou « je ne pense pas » permet de délimiter son vrai SOI, son SOI à soi, celui que l’on n’a pas élaboré petit enfant. Un tel parcours permet d’envoyer valser le soi bidon qui donnait à peu près le change mais qui nécessitait le recours à une addiction.
La psychothérapie de groupe pour la boulimie
La psychothérapie de groupe permet un relationnel authentique rendant possible de se construire vraiment face à l’autre. Un psychothérapeute neutre ou trop dans l’intellect ne peut pas faire l’affaire. En revanche, dans un groupe de psychothérapie (à ne pas confondre avec un groupe de parole), on est sollicité par toutes sortes de sensations et d’émotions authentiques. En se laissant guider par elles, on parvient peu à peu à trouver les mots justes, c’est-à-dire ceux qui correspondent à ce que l’on ressent. Ce faisant, on expérimente comment s’ajuster aux autres sans violence ou sans ressentir le besoin de les fuir pour exister.
Quand on ne sait quoi faire de sa peau…
Je voudrais terminer cet article en signalant une bande dessinée qui illustre formidablement bien et avec beaucoup d’humour ce que ressent une personne boulimique-anorexique dans les moments où elle ne sait plus quoi faire de sa peau. Elle est extraite du blog « jeveuxvivre.com » d’Émilie Oprescu et s’appelle « Le Grand Vide Intersidéral de la Muerte (de la mort) ».
Cet article est d’intérêt public, le ressenti de la personne boulimique y est si bien expliqué, c’est une bouffée d’oxygene pour nous autres concernées et un outil pédagogique pour les proches. Merci Catherine !