La violence, à qui la faute ?

La violence, à qui la faute ?

En thérapie, elle voulait parler de la violence de ses parents… Nous sommes dans un groupe de thérapie.

boulimie-juillet2012En thérapie, elle voulait parler de la violence de ses parents…
Nous sommes dans un groupe de thérapie. Une jeune femme d’une trentaine d’années prend la parole pour évoquer la violence de ses parents à son égard, du temps où elle vivait encore chez eux. Elle les pense responsables de son mal-être actuel.

La thérapeute entend son souhait mais l’observe en même temps avec attention. Pendant qu’elle parle, cette jeune femme a un regard sombre, fixe. Son visage est figé, dur et le ton de sa voix, péremptoire. La thérapeute se demande si elle avait déjà ce visage figé et dur lorsqu’elle regardait ses parents quand elle était petite. Avait-elle déjà des yeux qui ne regardent pas, un ton péremptoire, exigeant ? Cela n’excuserait en rien leur violence à son égard, mais si elle avait vis-à-vis d’eux une attitude fermée cela devait probablement l’amplifier.

Sans doute ne pouvait-elle pas être tendre avec eux, si eux ne l’étaient pas avec elle. Sans doute était-ce à eux de créer avec elle un climat relationnel nourricier afin qu’elle s’épanouisse tranquillement, sans blocages, sans contentieux, puisqu’ils étaient les parents et elle l’enfant. On connaît aujourd’hui l’impact que peut avoir le climat relationnel, dans la petite enfance, sur l’épanouissement et les angoisses ultérieurs.

Il n’empêche que nous vivons dans une société de rentabilité et de performance dans laquelle beaucoup de gens ont de plus en plus de mal à communiquer. On est pressé, on a de moins en moins le temps de vivre, on porte en soi des difficultés liées à nos propres rapports à nos parents mais aussi à la complexité du quotidien dans lequel il devient de plus en plus difficile de trouver son équilibre. Il n’est pas rare que la communication soit violente en entreprise mais aussi au sein du couple et avec les enfants, ce qui finit bien sûr par avoir des retentissements sur l’épanouissement mental de chacun.

Certaines thérapies reviennent beaucoup sur le passé et s’attachent à le décrypter pour comprendre comment les difficultés se sont mises en place. D’autres, et c’est le cas de celle dont il est question ici, considère que les symptômes dont nous souffrons sont liés à la façon dont les difficultés auxquelles nous avons été confrontées dans le passé se manifestent aujourd’hui. Ces approches s’attellent dès lors à observer les individus tels qu’ils sont dans le présent pour avoir sous les yeux la mise en scène des difficultés du passé, percevoir comment ils s’y prennent pour être malheureux, et travailler à les mettre en situation de pouvoir aller mieux.

Pour en revenir à cette jeune femme victime de la violence de ses parents, la thérapeute trouve plus approprié de voir en quoi elle reproduit aujourd’hui cette violence avec les autres (quand elle rencontre des hommes, elle se plaint qu’ils ne restent jamais) que de la laisser s’étendre sur la violence de ses parents et sur l’agressivité qu’elle cultive encore à leur égard. Tandis que cette jeune femme, dont c’est le premier groupe, se crispe encore davantage, se sentant visiblement malmenée par la thérapeute qui refuse de l’écouter se plaindre, une autre femme, (qui elle est en fin de thérapie), prend alors la parole pour dire comment elle, mère, s’était sentie malmenée par la violence de sa fille et comment elle a réagi.

Je crois que quand on est violent on est « hors de soi »…
« Moi je me sens de l’autre côté de la barrière. Mes enfants sont grands aujourd’hui mais quand ils étaient jeunes j’ai été très violente et tout particulièrement avec ma fille. (…). Je la frappais à bras-raccourcis quand elle avait treize, quatorze ans. Je ne m’en sortais plus. Elle me disait des choses qui étaient ingérables pour moi. Je ne trouvais aucun autre moyen de faire avec elle. Maintenant quand on en parle elle et moi, on se dit qu’on n’a pas voulu cette violence. Je crois que lorsque on est violent on n’est pas soi-même, on est « hors de soi ». »

Cette mère explique comment, grâce à la thérapie de groupe qui lui a permis d’apprendre à se poser face aux autres sans s’imposer, à regarder les choses avec plus de recul, de tolérance, grâce parallèlement à la méditation qu’elle pratique chez elle en écoutant des fichiers audio sur son ipod, elle peut aujourd’hui se recentrer pour ne plus exploser quand ses émotions sont sur le point de la déborder.

Elle raconte un évènement qui vient de se passer et qui illustre combien elle a changé face à sa fille, même lorsque celle-ci continue encore parfois très péniblement à dépasser les limites. C’était il y a deux jours. La jeune femme rentre à deux heures du matin et la réveille parce qu’elle n’a pas d’argent pour payer son taxi. Ça tombe mal parce qu’elle est « crevée », mais elle se lève, va chercher de l’argent, se recouche et se rendort. Une demi-heure après, elle est de nouveau réveillée, cette fois par les cris de sa fille. Celle-ci s’était engueulée dans la soirée avec son petit copain et lui hurlait dessus maintenant au téléphone.

Elle attend dix minutes, puis, n’y tenant plus, va dans la chambre de la jeune femme et lui dit excédée, mais sans agressivité : « s’il te plaît, je me lève tôt demain, je veux dormir, tu ne hurles pas ! ». « Oui, oui, oui, d’accord » répond sa fille apparemment consciente d’avoir dépassé les bornes. Elle retourne alors dans sa chambre, se recouche et cinq minutes après, les hurlements recommencent. Elle essaie de prendre sur elle, se bouche les oreilles mais, comme les cris continuent, elle se lève à nouveau, ouvre la porte de la chambre de sa fille et, très en colère, mais toujours sans agressivité, se met à crier à son tour : «P… ! M… ! Baisse le ton b…! Je t’ai dit que j’avais besoin de dormir, je suis lessivée. Tu peux pas rentrer à deux heures du matin pour hurler comme ça ! Tu n’es pas toute seule ! ».

Elle referme la porte, retourne se coucher et voilà que cinq minutes après, les hurlements recommencent. Elle se relève mais cette fois ne réussit pas à ouvrir la porte de sa fille qui l’a fermée à clef. Elle se contente alors de frapper sur la porte pour lui rappeler qu’elle veut dormir, sans obtenir de réponse. « Foutu pour foutu » dit-elle, « je prends mes écouteurs d’ipod et je me mets Eckhart Tolle. Il s’agit d’un philosophe dont elle a acheté un livre audio sur itune : Vivre dans le moment présent. Comme par hasard, il parlait de la relation avec l’autre et il disait que quand l’autre était dans une réaction de violence, il fallait « sortir » du mental… »

En racontant son histoire, cette femme prend le visage consterné de quelqu’un qui ne voyait pas du tout comment elle pouvait sortir de son mental dans cette circonstance ! Tous les participants du groupe se mettent à rire, imaginant la situation et comment cela devait être effectivement difficile pour elle, à ce moment-là, dans un tel contexte, de «sortir » de son mental.

Elle décide néanmoins d’enlever ses écouteurs, de se relever une fois de plus et de refrapper à la porte de sa fille qui, cette fois, ouvre et elle se surprend à lui dire à voix basse, doucement : « raccroche, raccroche, raccroche… ça sert à rien ».

A sa grande surprise, tout à coup sa fille en pleurs, en plein drame, la regarde, l’écoute et raccroche. Elle prend la main de sa fille, l’invite à s’asseoir sur le lit, se met derrière elle et lui dit toujours doucement en lui massant la nuque : « tu vas voir, je vais te masser et tu vas tout de suite te sentir mieux ».

Dans un premier temps sa fille, très crispée, continue de hurler : « je vais tout casser ! je vais tout casser ! ». À quoi sa mère répond, toujours en chuchotant : « chut, respires, tu vas voir, ça va aller mieux ». Et elle se met à la masser avec toute la douceur dont elle est capable, en étant elle-même très « dans son corps » et, étonnamment… pas du tout « dans le mental ». Elle ne sait pas comment elle a réussi à faire ça parce qu’elle était « crevée », mais elle a réussi. Et sa fille s’est endormie, comme ça, dans ses bras. Au final elles ont dormi l’une à côté de l’autre. En se réveillant, le lendemain matin, émerveillée, elle entend sa fille lui dire : « maman, ça fait tellement du bien de recevoir de l’amour comme ça ».

Belle revanche sur le passé pour cette mère jadis si violente. Non seulement elle avait réussi à garder son calme dans une situation insupportable, à ne pas se laisser envahir par les débordements de sa fille mais, en plus, elle avait été capable de lui apporter cette fois une formidable tendresse qui a su la nourrir à un moment où la jeune femme en avait tant besoin.

Ce très beau témoignage, que vous pouvez retrouver ici sur YouTube en vidéo montre à quel point il est possible de passer d’un mode de communication destructeur à une posture relationnelle nourricière, paisible, réparatrice. Parce qu’elle a appris à communiquer avec authenticité, parce qu’elle a appris des techniques de méditation efficaces à très court terme, cette femme a été capable de refouler sa violence et de ne pas ressentir d’agressivité.

Cela nous amène à nous interroger sur la violence. En sommes-nous toujours responsables ? Devons nous jeter la pierre à des parents qui ne savent pas s’exprimer autrement ? Aux enfants qui la transmettent plus tard à leur entourage en devenant adultes ?

Ces questions resteront peut-être sans réponse mais le témoignage de cette mère montre en tout cas qu’un être humain devient capable de passer en un clin d’œil de la haine à la générosité par un simple changement de positionnement. Il est ainsi possible, grâce à la psychothérapie, la méditation, la philosophie, de désactiver des scénarii répétitifs et de voir, par exemple, la violence se transformer en une énergie positive et créatrice.

Fin de l’article

C. Hervais

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