Une relation de couple mise à l’épreuve par l’obsession alimentaire
Les troubles alimentaires bouleversent la relation amoureuse : dépendance, violence affective, silence. Une thérapie peut rétablir l’équilibre.
Vivre avec une personne souffrant de troubles alimentaires – anorexie, boulimie, hyperphagie – n’est jamais anodin. Bien souvent, l’obsession pour la nourriture masque une immense souffrance intérieure. Cette douleur, loin de se limiter au seul comportement alimentaire, se diffuse dans toutes les sphères de la vie, en particulier la relation amoureuse.
Le ou la partenaire devient alors le témoin quotidien de cette lutte invisible : crises de boulimie, vomissements secrets, honte du corps, alternance de contrôle extrême et de perte totale de maîtrise. Mais il ou elle est aussi souvent la cible de projections violentes : demandes démesurées, accusations de rejet, besoin d’être sauvé(e), suivis de rejets ou de silences glaçants. La vie de couple devient une zone de turbulences où la communication est rendue difficile par les blessures de chacun.
Ainsi, le trouble alimentaire n’est pas seulement un problème de nourriture. Il exprime un trouble plus profond de l’identité, une incapacité à se sentir exister de façon stable dans la relation à l’autre. L’amour devient alors un terrain miné où se rejouent sans fin les manques affectifs précoces.
De l’amour fusionnel au rejet brutal : des schémas affectifs extrêmes
Comme le montre le témoignage d’un compagnon dans votre livre, la relation amoureuse avec une personne boulimique-anorexique peut ressembler à des montagnes russes émotionnelles. Un jour, c’est l’adoration fusionnelle : « je n’ai besoin que de toi, tu es tout pour moi ». Le lendemain, sans crier gare, c’est le rejet violent : « tu ne me comprends pas, tu m’étouffes, je n’existe pas ».
Ce schéma du « tout ou rien » est typique des personnalités qui n’ont pas pu se construire dans un cadre suffisamment sécurisant. Ces personnes ne savent pas tolérer la frustration, ni la nuance. Dès que l’autre ne comble pas parfaitement les attentes implicites, il devient mauvais, voire dangereux. Ce n’est plus l’autre aimé qui est perçu, mais l’abandon originel qu’il ravive.
Dans ce contexte, la sexualité aussi devient difficile. Soit elle est hyper investie, vécue comme un « shoot affectif » capable de faire taire le vide intérieur. Soit elle disparaît, parce que la honte du corps, la peur du regard ou l’angoisse de fusion paralysent tout désir. La vie intime s’en trouve altérée, parfois pendant des années, sans que le couple puisse en parler sereinement.
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Une tension permanente, une communication piégée
Les troubles alimentaires entraînent souvent une tension psychique si forte que tout dialogue devient risqué. Le moindre mot peut être interprété comme un reproche, un rejet, une critique. Le partenaire finit alors par se taire pour éviter les conflits… mais ce silence est vécu comme un abandon.
Vous soulignez dans votre livre que les proches ne savent plus quelle posture adopter : écouter ? Conseiller ? Se taire ? S’impliquer ? Prendre du recul ? Ils oscillent entre empathie maladroite et exaspération, entre culpabilité et impuissance. Dans certains couples, la personne boulimique devient tyrannique, prend toute la place, impose ses rituels autour des repas, de la solitude ou du sport. Dans d’autres, elle se fait toute petite, mais s’efface tellement qu’elle finit par étouffer dans la relation sans oser le dire.
Certaines personnes souffrant de TCA mettent également en place des stratégies de sabotage relationnel : provocations, tests de loyauté, agressions injustifiées, jusqu’à rompre une relation pourtant aimante. Ce n’est pas de la méchanceté. C’est la peur panique d’être rejeté ou abandonné une fois encore, alors on prend les devants.
Retrouver un espace de lien vivant grâce à la thérapie
Ce que votre livre met en évidence avec force, c’est qu’on ne guérit pas d’un trouble alimentaire en contrôlant son alimentation, mais en reconstruisant un soi stable et capable de lien. La thérapie, en particulier en groupe, devient alors un terrain d’expérimentation relationnelle où la personne peut tester une autre manière d’être en lien. Elle apprend à ressentir, à nommer ses besoins, à s’exprimer sans blesser, à entendre une parole différente sans se sentir détruite.
Dans ce processus, le partenaire a un rôle essentiel à jouer – mais à condition d’être formé, accompagné, soutenu. Le groupe de parole entre proches, que vous avez mis en place, permet précisément cela : sortir de la posture de sauveur ou de victime, pour redevenir un adulte face à un autre adulte en souffrance.
Ce changement de posture est fondamental. Il permet d’installer un nouveau type de relation dans le couple : moins fusionnelle, plus respectueuse des rythmes de chacun, plus apaisée. La communication redevient possible, non plus sur un mode angoissé, mais sur un mode sincère et attentif.
Aimer sans se perdre
Vivre avec une personne souffrant de troubles alimentaires, c’est souvent aimer sans filet. Cela demande une immense patience, une grande lucidité, et parfois, beaucoup d’aide. Mais c’est aussi une aventure humaine riche, à condition que chacun accepte de faire un bout de chemin vers soi-même.
Comme vous l’écrivez très justement, « la boulimie n’est pas une fatalité. On s’en sort. » Et le couple, lui aussi, peut s’en sortir – non pas en réparant la blessure de l’autre, mais en apprenant à marcher côte à côte, avec tendresse et respect.