« Et si les crises de boulimie n’étaient pas un manque de volonté, mais le cri silencieux d’un soi oublié ? Derrière les pulsions alimentaires incontrôlables se cache souvent une identité vacillante, une peur de ne pas être aimé tel que l’on est. Ce n’est pas la nourriture qu’il faut contrôler, c’est le vide qu’il faut entendre. »
Et si, malgré les apparences, les personnes souffrant de boulimie ou d’hyperphagie boulimique n’avaient pas un trouble du comportement alimentaire comme les autres ? Et si leur souffrance allait bien au-delà de la nourriture, des crises et des tentatives de contrôle ? Et si, derrière ces comportements si intenses, se cachait une personnalité borderline méconnue, qui fait que ces patients ne parviennent pas à s’ancrer vraiment dans leur vie, même quand tout semble aller bien ?
Beaucoup de personnes boulimiques réussissent leur carrière, élèvent leurs enfants, gèrent leurs responsabilités. En apparence, elles sont dans la vie. Et pourtant, quelque chose en elles reste en retrait. Une part d’elles-mêmes observe la scène de loin, comme si elles jouaient un rôle. Comme si leur vie ne leur appartenait pas tout à fait. Elles avancent, mais elles ne s’habitent pas.
Elles peuvent avoir des moments de réussite, des éclairs de confiance, mais très vite, le doute revient : « Et si je n’étais pas à la hauteur ? Et si on découvrait que je suis un imposteur ? Et si je n’étais pas vraiment aimable ? » Alors, elles se mettent à jouer un rôle. À paraître plutôt qu’être. À plaire pour espérer être aimées. Elles deviennent expertes en camouflage affectif. Séduisantes, légères, pleines d’humour… mais profondément seules.
Ce qui frappe, quand on les écoute avec attention, ce n’est pas tant ce qu’elles disent, mais ce qu’elles ne peuvent pas dire. Il y a en elles un vide intérieur immense, une difficulté à ressentir et à formuler des émotions authentiques. Elles raisonnent beaucoup. Elles analysent. Elles ont des opinions fortes, souvent brillantes. Mais dès qu’il s’agit de dire ce qu’elles ressentent vraiment — la tendresse, la peur, la honte, l’amour — les mots ne viennent pas. Ou alors, ils viennent sous forme de plainte, de colère, de larmes.
Dans ces moments d’effondrement, elles ne peuvent plus penser aux autres. Leur souffrance prend toute la place. Elles ne peuvent pas tenir compte de la sensibilité de ceux qui les entourent, non pas parce qu’elles sont égoïstes, mais parce qu’elles sont submergées. Manger devient alors un acte de survie psychique, une manière d’éviter la fragmentation intérieure.
C’est là qu’on reconnaît certains traits typiques des personnalités borderline. Pas dans les clichés habituels d’instabilité ou de violence, mais dans une douleur identitaire sourde, permanente, presque invisible au premier abord. Une faille existentielle difficile à nommer. Un sentiment de vide, de manque, d’incomplétude.
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Derrière leur allure détendue et leur charme naturel, souvent très marqué, ces personnes cachent des failles profondes. Ce sont des funambules émotionnels, capables de faire bonne figure pendant longtemps, mais qui vivent en réalité sur une corde raide.
Voici quelques-uns des traits de personnalité borderline qu’on retrouve souvent chez ces personnes boulimiques, qui ne se reconnaissent pas dans les portraits classiques des troubles alimentaires :
- Un sentiment chronique de vide : Ce n’est pas simplement un moment de mélancolie. C’est une impression persistante de ne pas exister vraiment. Ce vide peut être calmé temporairement par une crise de boulimie, un achat compulsif, une rencontre… mais il revient toujours.
- Une peur panique d’être abandonné : Même quand tout va bien, il y a cette crainte sourde : « Et s’il me quittait ? Et si on me rejetait ? » Cette peur peut rendre les relations intimes très compliquées.
- Des changements brusques d’humeur : Un mot, un regard, et tout s’effondre. Le passage d’une pulsion alimentaire incontrôlable à un état de retrait complet est souvent immédiat.
Ces personnes vivent des émotions qu’elles ne savent pas transformer. Le corps prend alors le relais. Il crie ce que les mots n’arrivent pas à formuler. Et le plus souvent, ce cri passe par la nourriture. Manger beaucoup, trop, sans s’arrêter. Non pas pour se faire plaisir, mais pour calmer une tension, éteindre une angoisse, survivre à l’instant.
Les conduites boulimiques deviennent un langage corporel. Elles traduisent une souffrance identitaire. Une incapacité à se sentir en sécurité, à se reconnaître soi-même.
Beaucoup de patients disent : « Je veux arrêter, mais je n’y arrive pas. » Ils culpabilisent. Ils se sentent faibles. Alors que ce n’est pas un manque de volonté, mais une douleur plus forte que la volonté elle-même. Une douleur qui déborde, et qu’ils n’ont pas appris à contenir autrement que par la nourriture.
Les approches thérapeutiques classiques qui ne prennent pas en compte la personnalité profonde, le sentiment de vide, l’insécurité relationnelle, risquent de passer à côté de l’essentiel. On soigne les symptômes, mais la racine demeure.
Guérir, ce n’est pas simplement apprendre à mieux manger. C’est surtout apprendre à mieux vivre avec soi. À apprivoiser ses émotions. À ne plus avoir honte de son besoin d’amour. À exprimer sa colère sans avoir peur de perdre l’autre. À rester en lien avec soi, même quand l’autre s’éloigne.
C’est un travail identitaire, relationnel, émotionnel. C’est un apprentissage long, mais libérateur, qui passe souvent par des thérapies de groupe, une écoute bienveillante, et la reconstruction d’un soi qui n’a jamais eu la possibilité de s’exprimer vraiment.