Boulimie et hypersensibilité

Boulimie et hypersensibilité

Si certaines personnes sont plus sensibles que d’autres, elles n’en perdent pas leur rationalité pour autant. Jean Paul Sartre, par exemple, pleurait au cinéma lorsqu’il était ému.

mai2013Si certaines personnes sont plus sensibles que d’autres, elles n’en perdent pas leur rationalité pour autant. Jean Paul Sartre, par exemple, pleurait au cinéma lorsqu’il était ému.

La sensibilité peut néanmoins fragiliser ceux qui en sont pourvus au point qu’ils préfèrent souvent s’engouffrer dans l’action pour lui échapper. De l’extérieur, on les trouve «  froids  », « mécaniques », « intellos » ou distants. Et, mis à part ceux qui sont vraiment insensibles, la plupart des gens qui donnent l’impression de l’être sont en réalité des loukoums déguisés en cactus.

Mais lorsqu’elle atteint des pics trop élevés, lorsque qu’elle est trop intense, lorsqu’elle se transforme en hypersensibilité, elle devient alors difficilement supportable, tant pour soi-même que pour les proches qui ne savent plus comment se comporter. Totalement ingérable, elle peut occasionner des troubles somatiques, les troubles du comportement et de l’humeur. Même quand elle ne se voit pas, même quand on réussit très bien à donner le change en apparence, tous les registres de la personnalité semblent altérés:

  • sur le plan psychologique on ressent souvent un sentiment de solitude, d’abandon parfois,
  • sur le plan cognitif on a tendance à faire interprétations dramatisantes ou «waltdisnéennes» de la réalité,
  • sur le plan neurophysiologique on ressent souvent de l’épuisement, de l’irritabilité, des phases de suractivité ou de dépressivité et d’impuissance, comme un moteur sans starter,
  • sur le plan somatique peuvent apparaître toutes sortes de symptômes (migraines, ulcères, problèmes de peau, de menstruation., etc…),

  • sur le plan comportemental on explose parfois avec violence, soit contre les autres soit contre soi-même, ou bien on se replie sur soi-même et très souvent on a recours à une ou plusieurs addictions,
  • enfin, sur le plan relationnel, lorsque l’émotion est impliquée, on interprète souvent les choses en négatif, on s’irrite, on se sent frustré, on entre en conflit avec les autres, on rompt brutalement ou bien, au contraire on s’accroche aux autres en faisant des efforts démesurés pour éviter le conflit parce qu’on ne se sent pas capable d’être seul face aux difficultés de la vie.

D’où vient l’hypersensibilité  ? Peut-on la «soigner» ?

Lors d’une émission de radio dont le thème était les difficultés relationnelles amoureuses et sexuelles, à laquelle Boris Cyrulnik était invité, un auditeur demande si les problèmes relationnels et sexuels actuels de sa femme  (quarante ans) et de leur couple,  peuvent être imputés à la mauvaise ambiance familiale dans laquelle celle-ci dit avoir baigné depuis qu’elle est petite.

Très délicatement sans être frontal, sans doute pour ménager les convictions de ceux qui s’adressent à lui, Boris Cyrulnik exclut tout de suite la seule responsabilité de l’ambiance familiale : quoi qu’il se soit passé dans l’enfance, quels qu’aient été les parents, l’environnement et les évènements du passé, certains enfants réussissent à surfer sur les difficultés de leur vie, tandis que d’autres, les hypersensibles, ont beaucoup de difficulté à les surmonter.

L’hypersensibilité, précise le psychiatre, n’est cependant pas une maladie. C’est un tempérament. On connaît aujourd’hui nous dit-il la plupart des neuromédiateurs qui sont impliqués dans ce tempérament et qui touche quinze pour cent des gens. Elle ne produit pas que des effets négatifs : la plupart des grands penseurs, chercheurs et artistes en sont pourvus. Une même ambiance familiale peut avoir des conséquences différentes sur l’enfant selon qu’il est plus ou moins hypersensible, mais aussi selon la précocité des difficultés au cours desquelles il a ressenti à la fois un danger et un sentiment d’abandon

En d’autres termes, lorsqu’une personne naît avec un tempérament hypersensible, plus tôt dans sa vie elle est confrontée à des difficultés environnementales qui lui font ressentir un sentiment d’abandon avec les peurs, les terreurs que cela implique et plus lourdes seront plus tard les difficultés psychologiques et relationnelles qu’elle aura à affronter.

« Si la carence affective » explique Boris Cyrulnik à l’auditeur « intervient lorsque la croissance est déjà constituée lorsque l’enfant a déjà un tempérament actif, c’est moins douloureux. Mais si l’ « abandon» (il s’agit le plus souvent d’un sentiment d’abandon) arrive pré-verbalement chez un tempérament hypersensible, là ça fait des difficultés parce que les gens se sentent toujours en carence affective même lorsqu’ils ne le sont pas.  On appelle ces personnes des « anthropophage de l’amour, des boulimiques affectifs, jamais assez rassasiés, malheureux … « 

Alors que faire lorsque l’hypersensibilité d’une personne a été malmenée au premier âge de la vie ? demande l’auditeur à Boris Cyrulnik  ? Est-ce que ça se «guérit» Est-ce qu’on s’en sort  ?

«Oui, mais cela peut être très long… une rééducation  est alors nécessaire», lui répond alors le psychiatre.

Cela peut paraître étrange qu’un psychiatre de renom parle de «rééducation» et non de psychothérapie ou de psychanalyse. Les hypersensibles seraient-il des contre-indications aux psychothérapies traditionnelles  ?

Peut-être bien que la psychanalyse et la psychothérapie traditionnelle nécessitent, pour être efficace, des apprentissages relationnels basiques. Quand la confiance en l’autre est ébranlée dès le début de la vie, quand les bases de la confiance en en soi sont absentes, une connaissance de soi sans l’expérimentation primaire d’une relation vraie qui implique l’émotionnel n’est pas possible. Il faut en passer par des approches thérapeutiques confrontantes comme la gestalt telle que la pratiquait Fritz Perls (ou bien l’analyse transactionnelle…), pour renforcer le sentiment d’être soi et ne plus avoir comme seules options de vie l’ennui, le sentiment d’être agressé ou abandonné par l’autre. Toutes ces difficultés liées à la première enfance peuvent disparaître dans une vraie relation avec un psy impliqué dans le contact.

Ainsi lorsque la relation avec un psy traditionnel en individuel n’est pas possible — on peut comprendre certaines choses sur soi mais en même temps passer des années à tourner en rond autour de son sentiment de solitude— ou lorsqu’elle est insuffisante pour éradiquer la souffrance des tempéraments hypersensibles, il ne reste en effet plus que des approches thérapeutiques non traditionnelles où le psy s’implique dans le contact avec authenticité et transparence. Le groupe est un cadre idéal pour ce genre de travail parce qu’il permet des mise en situation et des expérimentations.

Quels que soient les symptômes provoqués par l’hypersensibilité, qu’ils soient somatiques ou qu’ils se produisent par des comportements addictifs avec l’alcool, la drogue, les médicaments ou la nourriture, il faut en passer par essayer de rattraper ce que l’on a pas pu construire au tout début de sa vie : le contact avec l’autre qui va permettre un contact avec soi.

Apprendre à dire ce que l’on ressent authentiquement, apprendre à recevoir ce que les autres ressentent aussi, apprendre à repérer les effets pathologiques de l’hypersensibilité sur la relation, sans se cacher, sans fuir et sans agresser…

Voilà peut-être ce que Boris Cyrulnik entend par «rééducation». Il s’agit là de remettre en scène la relation manquée avec l’autre pour qu’elle puisse avoir lieu ultérieurement dans sa vie sans peur et permette enfin de se contruire un véritable sentiment d’être soi, sans souffrance.

Cette étape de «rééducation», apprise, franchie et maîtrisée ne fait peut-être pas disparaître le tempérament hypersensible mais permet de ne plus en souffrir, de ne plus en faire souffrir ses proches et surtout d’acquérir enfin une capacité de discernement sur ce qui est de l’ordre de la réalité ou de l’interprété.

De ce travail sur soi s’ensuivront non seulement une véritable confiance en en soi (grâce au rapport à l’autre), mais un sens du contact authentique qui permet de tenir compte à la fois de soi et de ceux avec qui nous sommes en relation et non plus en alternance de l’un ou de l’autre.

Une telle aptitude, même si elle ne supprime pas l’hypersensibilité, procure la sensation d’être enfin bien dans sa peau parmi les autres…

Catherine Hervais

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