Marilyn: Grandeur et fragilité des « toxicos » de la bouffe

Marilyn: Grandeur et fragilité des « toxicos » de la bouffe

Copiant à Jean Harlow son look de blonde glamour, Norma Jeane Mortensen s’est mise un jour à jouer à la star, et ça a marché.

Copiant à Jean Harlow son look de blonde glamour, Norma Jeane Mortensen s’est mise un jour à jouer à la star, et ça a marché. Ça marche encore. Sous le nom de Marilyn Monroe, elle continue à symboliser l’Amérique au même titre que la Cadillac rose, la bouteille de coca et le drapeau étoilé.

D’autres depuis ont parfois tenté de reproduire l’alchimie. Pourquoi une telle fascination ? Quel a été son secret ? Qu’avait donc cette jolie blonde de plus que les autres jolies blondes ? Je vous répondrai par un paradoxe : elle avait quelque chose en moins et elle le savait. Regardez Marilyn regarder. Elle jouait à la star, mais elle ne se sentait pas star. Elle n’allumait pas, elle était allumée. La star, pour elle, c’était l’autre.

Plein d’artifices pour cacher son vide intérieur

{xtypo_quote_right}L’histoire de Marilyn illustre parfaitement cette immense contradiction des personnalités « toxicos » dont les atouts parfois extraordinaires (beauté, réussite sociale…) s’accompagnent d’une béante fragilité. {/xtypo_quote_right}Regardez les boulimiques regarder, c’est la même chose. Bien plus que leurs excès de bouffe, de calmants, parfois de boissons alcoolisées, femmes ou hommes, les boulimiques se caractérisent pour moi spécifiquement par leur sentiment d’incomplétude.

Au point qu’ils se parent souvent parfaitement de toutes sortes d’artifices, de toutes sortes d’accessoires pour monnayer la reconnaissance de l’autre, tel un travesti trois fois plus femme que femme, justement parce qu’il n’est pas femme. « Je ne suis pas intelligente … 1 m’a dit un jour une jeune fille boulimique, … j’ai eu mon bac avec mention très bien pour voir sourire mon père ! » « Je ne me sens pas belle », disent celles qui le sont, « j’ai simplement besoin qu’on me gratifie de regards.».

Marilyn savait rayonner, irradier, exsuder la sensualité. Regardez son sourire lumineux, irrésistible qui déborde d’une joie de vivre à laquelle elle-même semble croire… par moments. Regardez la scène où elle chante devant le président Kennedy avec cette espèce de voix de femme-enfant au bord de l’extase. Et pourtant, même habillée, elle est nue, tant on la sent fragile. Une fragilité qui transcende son charme et lui va comme ses robes. Mais elle ne joue pas. Il suffit de voir son regard quand elle sourit et l’on sent une peur éperdue, doublée d’une demande pathétique qui touche en plein cœur : « je t’en supplie, j’ai besoin de toi ! » Message qu’elle semble adresser à l’autre. En réalité c’est d’elle-même dont elle a besoin.

L’amour pour sécuriser

Faute de se trouver, elle cherche des hommes capables d’être assez forts pour deux. Elle les prend mûrs, sécurisants, se berçant à chaque fois de l’illusion qu’ils lui donneront ce quelque chose qu’elle n’a pas. Elle ne se retrouve pas dans cette Femme Totale qu’on acclame. Elle se sent complètement perdue. Entre deux scènes, elle écrit sur son carnet*.

« De quoi ai-je peur ? Pourquoi ai-je si peur ? Est-ce que je crains de ne pas arriver à jouer ? Je sais que je suis capable de jouer, mais j’ai peur. J’ai peur malgré tout. Merde ! ». Le producteur de son dernier film, Weinstein, dit d’elle : « Nous connaissons tous l’anxiété, la tristesse, le chagrin, mais là, c’était de la terreur pure et simple. »
La terreur de Marilyn, incompréhensible rationnellement, est jumelée à la souffrance que partagent aussi les personnalités boulimiques de se sentir toujours et partout étrangères. À une soirée privée, en guise d’adresse, sur le livre d’or, Marilyn écrivit: « Nulle part.»

La peur viscérale de vivre

Les gens qui l’ont approchée renvoient ses angoisses au fait qu’elle n’ait pas connu son père, qu’elle ait eu une mère dépressive, qu’elle soit sans arrêt passée d’orphelinats en foyers. En plus on sait aussi qu’à Hollywood, en ce temps-là, la vie de star n’était pas facile.

Le problème de Marilyn ne se résume peut-être pas à la solitude de l’orphelinat et à l’implacabilité du système social. Tous les orphelins ne passent pas le reste de leur vie dans la terreur. Toutes les stars ne perdent pas nécessairement leur équilibre. Chez Marilyn, comme chez les personnalités boulimiques, cette peur viscérale de vivre renvoie à un déséquilibre relationnel avec la mère lors des premières semaines de la vie, qui empêche l’enfant de ressentir la confiance en l’autre et la confiance en lui-même dont il a besoin pour développer ce qui deviendra un jour sa véritable identité. Je vois en Marilyn les mêmes caractéristiques que chez la plupart des « toxicos » : la peur de ne pas être aimée, le besoin frénétique de plaire, de fusionner avec l’autre pour se sentir exister, mêlé d’un énorme sentiment de dévalorisation .

« – Ma pauvre Lena, confia-t-elle un jour à sa femme de chambre, jamais plus personne ne voudra m’épouser, je ne suis bonne à rien, je ne peux pas avoir d’enfant, je ne suis pas femme d’intérieur et j’ai déjà divorcé trois fois. Qui voudrait encore de moi?»« – Des millions d’hommes ! »

« Qui m’aimera ? Qui ? »

« – Oui, mais qui m’aimera, qui ? »Marilyn ne s’aimant pas elle-même ne peut pas imaginer qu’elle est digne d’amour. La seule valeur personnelle qu’elle se soit jamais reconnue est le désir physique qu’elle inspirait aux hommes. Ses amants rapportent qu’elle fait passer au second plan son propre plaisir tant elle a faim d’approbation et de tendresse. Qu’elle atteint rarement l’orgasme. Pour elle, le sexe est un gage d’amitié, un moyen de se faire reconnaître par l’autre, l’unique moment où l’on s’occupe d’elle. En jargon psychanalytique, on dirait d’elle qu’elle n’est pas dans une problématique oedipienne mais préoedipienne comme tous ceux qui cherchent l’apaisement sans connaître le plaisir.

Doutant dans tous les domaines, mettant un temps fou à s’habiller, se trouvant des défauts physiques, n’osant pas sortir de chez elle quand elle a grossi, Marilyn est boulimique. Regardez bien les photos de sa carrière, ses importantes variations de poids. Régulièrement, on doit lui réajuster sa garde-robe. Tous ceux qui ont écrit sur elle racontent qu’elle a toujours eu besoin d’un produit quelconque, nourriture, alcool ou médicaments.
Personne ne parle par contre de ses boulimies, à l’exception de sa femme de chambre qui est assez proche pour tout voir!

« Jamais je n’ai vu personne avaler autant »

« Jamais je n’ai vu personne avaler autant. Un jour ce sont trois oeufs et des toasts, trois hamburgers, trois assiettes de frites, deux chocolats au lait, une énorme côte de veau, deux grosses portions d’aubergine au parmesan et quatre parts de pudding au chocolat, le tout arrosé de champagne, et servi dans son lit – seule. Elle a tellement faim qu’elle fait plusieurs allers-retours entièrement nue dans la cuisine, où Hattie et moi nous dépêchons (…), grignotant au passage tout ce qu’elle rencontre sur son chemin. »

Ce qui la met parfois dans des situations catastrophiques. Au moment de la sortie de Certains l’aiment chaud, elle ne pèse plus ses 57 kg habituels, mais 70. Elle est désespérée, pique une crise de nerfs en découvrant à quel point elle s’est laissée grossir. Malgré les excellentes critiques, elle ne retient qu’une chose : si les gens rient, c’est parce qu’elle est trop bête et trop grosse ! Pas facile pour une comédienne d’être boulimique. Je me souviens de ce que m’avait dit un jour l’une de mes patientes, une comédienne connue, au sujet des énormes problèmes qu’elle avait avec l’habilleuse, les éclairagistes et les metteurs en scène. Dans un film, deux plans côte à côte sont parfois tournés à quelques semaines d’intervalle, ce qui lui suffisait pour prendre ou perdre 7 à 8 kg et changer complètement de look!

Authentique et sincère

Marilyn est la seule à se trouver sotte. Elle épate les journalistes par la vivacité de ses réparties. Elle est très appréciée des intellectuels de renom, de Truman Capote à Andy Warhol, en passant par Jean-Paul Sartre. Elle séduit même le président des États-Unis et on ne peut pas imaginer qu’Arthur Miller l’ait épousée uniquement pour le plaisir des yeux. Mais elle ne se trouve intellectuellement pas à la hauteur et tente d’acquérir une culture de manière obstinée. Elle lit Shelley, Rilke ou Proust, suit les cours de Lee Strasberg à l’Actor’s Studio et ne se rend pas compte que sa peur de ne pas être à la hauteur c’est de la peur tout court. Elle a honte de ses personnages de cocotte évaporée juste bonne à tortiller du derrière et ne s’aperçoit pas que le public la reçoit cinq sur cinq, sent en elle quelque chose de profondément authentique et sincère.

Authentique et sincère, elle l’est en effet jusque dans les moindres détails, affichant ses convictions esthétiques en dépit du « qu’en dira-t-on».

Ses proches rapportent qu’elle était « une rêveuse incorrigible, vivant dans la pagaille».

Elle prend des pilules pour dormir, d’autres pour se réveiller, commence à boire du champagne ou des Bloody Mary au réveil, passe des heures à se préparer pour une réception, ou au contraire traîne chez elle sale et négligée.

Mais l’authenticité ne suffit pas

Très authentique dans son côté enfant, Marilyn joue la Femme avec une grande intelligence. Elle sent intuitivement que les hommes ont besoin de pouponner eux aussi : « Mon bébé… mon poussin… my baby »…, et se fait pâte à modeler pour mieux ressentir leurs caresses, en quête d’un maternage complet. Arthur Miller tombe dans le panneau. « Elle est la femme la plus féminine qu’on puisse imaginer. »En fait, il s’en apercevra plus tard, elle cherchait un homme pour faire de lui sa nounou. C’est exactement le même schéma chez les boulimiques qui font « l’enfant » au sens littéral du terme (d’autant mieux qu’elles n’ont jamais « grandi »), tout en jouant à l’adulte, schéma des préoedipiens en général, qui, dès le berceau, sont déjà stressés par une peur d’abandon. Que cette peur d’abandon soit justifiée ou pas, là n’est pas la question à mon avis. La mère n’est pas toujours responsable de ce que l’enfant sent. Mais il est bien évident que s’il se sent accueilli, valorisé, proche d’elle, il va être en confiance, pouvoir, petit à petit, supporter les frustrations et trouver en lui un système d’autosatisfaction qui lui procurera suffisamment d’autonomie pour se laisser pousser tranquillement. En revanche, si le monde lui paraît agité, effrayant, persécuteur, il sera dominé par ses peurs et un sentiment de soumission qui ne lui permettront pas de construire sa véritable identité. N’ayant pas confiance en l’autre, il ne peut pas avoir confiance en lui.

Adulte avec le moi fragile d’une personne carencée

Il faut connaître une certaine qualité d’amour, au premier âge de la vie, pour être capable de la reporter sur soi-même et sur l’autre. Voilà, survolé, tout le problème des personnalités dites «dépendantes» qui parfois toute leur vie sont avides de trouver un complément à elle-mêmes. Marilyn est de celles-là.

Adulte avec le moi fragile d’une enfant carencée, cette femme-enfant si réussie ne peut croire qu’elle est AUSSI autre chose, une personne autonome, intelligente, digne d’estime. « On dirait une petite fille de cinq ans », sifflait amèrement Laurence Olivier, son partenaire dans le Prince et la Danseuse. « Elle avait toujours besoin de se raccrocher à quelque chose, à quelqu’un », rapportait son premier mari Jim Dougherty.

Probablement, Marilyn n’en était pas à chercher son papa, mais sa maman. Gladys Baker, sa mère, monteuse dans des studios d’Hollywood, fille mère, se révéla incapable d’élever son enfant. Sa propre mère avait déjà fini « folle ». De dépression en dépression, elle confia Marilyn à des foyers adoptifs avant de l’abandonner complètement et de mourir peu après en asile psychiatrique. Marilyn était carencée dès le berceau par une mère-enfant, elle-même carencée et perdue, incapable de donner à sa petite fille un sentiment de sécurité et les bons éléments de départ dont elle avait besoin.

Inconsciemment en symbiose avec la mère

Les personnalités boulimiques, sans le savoir consciemment, sont en symbiose avec leur mère et le manifestent de mille et une façons, soit dans la soumission soit dans la rébellion aux valeurs maternelles. Marilyn, parce que sa mère était « folle », a cru toute sa vie que tel serait aussi son destin. D’où sa volonté frénétique de cacher à quel point elle était perdue. D’où son besoin de tricher:

« Je vous plais à vous, mais je sais très bien qu’il y a quelque chose chez moi qui ne colle pas ! »

Liz Taylor était en béton à côté d’elle. Elle a pu se permettre d’avoir cinquante ans, de peser 82 kg et de recouvrer la santé après une cure de désintoxication au Betty Ford Center. Marilyn n’a pas pu, comme Liz Taylor ou Jane Fonda, surmonter sa dépendance aux tranquillisants, à la nourriture, à l’alcool, parce qu’elle n’avait pas suffisamment de ressources p

Catherine Hervais

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