J’ai encore besoin d’une maman

J’ai encore besoin d’une maman

Certains enfants, lorsqu’ils ont peur d’être abandonnés, se construisent une fausse identité pour plaire à maman, à papa, à la maîtresse et, plus tard, à leur conjoint(e), à leurs amis, à leur employeur. Ils grandissent sans savoir QUI ils sont vraiment.

« Certains enfants, lorsqu’ils ont peur d’être abandonnés, se construisent une fausse identité pour plaire à maman, à papa, à la maîtresse et, plus tard, à leur conjoint(e), à leurs amis, à leur employeur. Ils grandissent sans savoir QUI ils sont vraiment. « Je suis chef d’entreprise », nous avait dit un jour Anne-Marie, « mais je n’ai jamais su qui vivait dans ma peau. » Tout comme Anne-Marie, Jeanne était triste parce qu’elle ne se sentait nulle part. Le groupe était particulièrement intense, ce week-end. Peut-être plus encore que d’habitude. Chacun avait pris des risques, les risques de dire vraiment ce qu’il ressentait, sans tricher.

 

Maintenant, je n’ai même plus envie de parler

Jeanne, une jeune femme blonde aux yeux bleus, jusqu’ici en retrait prit la parole:
–  » Je culpabilise un petit peu parce que je ne me sens pas très ouverte en ce moment « .
–  » Tu veux dire dans la vie de tous les jours ? « , demande le thérapeute.

« Oui, et aussi dans le groupe. Je suis à l’écoute, mais je ne me sens pas bien, je ne trouve pas ma place. Je n’ai plus envie de prouver quoi que ce soit à personne et du coup je ne sais plus quelle position prendre. Avant j’avais une tension en moi parce que je devais prouver des choses, je devais plaire à tout prix. Maintenant, je n’ai même pas envie de parler ».
Le visage de Jeanne était grave mais sobre. Elle ne cherchait pas à toucher les autres. Elle parlait juste pour raconter comment elle se sentait.

–  » Hier soir, je suis rentrée avec l’impression d’avoir passé une journée hyper-dure : en arrivant chez ma copine, j’avais l’impression d’avoir la totale. J’avais pleuré dans le métro sans pouvoir me retenir, ma copine n’allait pas bien, rien n’allait. Je suis allée me coucher en me disant que c’était comme ça.
Quand je me suis réveillée je me suis remise à pleurer. Depuis le dernier groupe, je n’ai plus envie de me forcer, et, du coup, je ne sais plus comment prendre ma place. En ce moment je pleure tout le temps « .

« Ne comptes pas sur moi pour faire ta maman »,
lui avait dit le thérapeute

Avant son dernier groupe en effet, elle souriait tout le temps et ses yeux brillaient comme ceux des enfants qui croient encore au Père Noël. Le thérapeute lui avait alors fait remarquer qu’elle avait pour lui une expression de petit enfant, un peu comme un bébé pour sa maman.  » Ne compte pas sur moi pour faire ta maman, lui avait-il dit un peu cash, mais gentiment. A ton âge, (Jeanne a vingt-huit ans), tu ne peux plus attendre des autres qu’ils soient une maman pour toi. »

La voix du thérapeute avait été chaleureuse à son égard, mais elle s’était tout de même sentie très blessée, ce jour-là. Peut-être parce qu’elle avait en effet encore besoin d’une maman et qu’elle ne voyait pas comment faire sans. Un mois plus tard, aujourd’hui, elle se sentait comme une enfant abandonnée sur un quai de gare. Elle était triste, éteinte, incapable probablement de faire le deuil d’une « maman idéale  » qui pourrait lui donner tout ce qui lui manquait. Elle ne voyait pas comment elle pourrait se suffire à elle-même.

 » Tu t’es toujours sentie comme une petite fille avec les gens ? » demande le thérapeute.

–  » Oui, tout le temps. Sauf quand je travaille »

dit-elle.
–  » Quel travail fais-tu ? »
demande encore le thérapeute.

Quand elle voyage, elle n’a peur de rien.

Elle répond qu’elle est ethnomusicologue, en seconde année de doctorat. Elle étudie les danses et techniques du corps dans les rituels de certaines tribus vaudou . Elle se déplace au Bénin, en Afrique, de village en village, à la recherche du rituel qui l’intéresse. Elle traverse toute seule les forêts dans des taxis brousse.-  » Que sont les taxis brousse ?  » –  » Ce sont des taxis conçus pour transporter quatre personnes mais dans lesquels on est neuf avec neuf brebis, neuf poulets et neuf sacs de voyages. On paie son trajet et ils vous déposent au marché de chaque village. Pour trouver les rituels que je cherche, je pars à la recherche de chefs de villages qui m’indiquent les chefs de culte « .-  » Tu es seule dans ces voyages ? »
–  » Oui « .
–  » Tu n’as pas peur ? »
–  » Non « .
–  » Pourquoi es-tu aussi intéressée par ces danses-là ? »
–  » Je ne sais pas, quand je les ai vu danser, c’était évident. Ils sont libres, autonomes, simples « ..
–  » Tu ne ressens pas le besoin d’avoir une maman quand tu es là-bas ? »
–  » Non, c’est bizarre, je me sens bien avec eux ».

Le thérapeute lui propose de faire un jeu de rôle.

Le thérapeute lui propose de faire un jeu de rôle. Il lui demande de choisir quelqu’un qui tiendra son propre rôle et de jouer une femme de là-bas qu’elle aime bien, pour nous montrer ce qu’elle trouve chez ces gens-là qu’elle ne trouve pas ici, dans la vie en France, dans le groupe.

Après quelques hésitations, Jeanne finit par choisir une jeune femme dans la pièce. Elle la prend dans ses bras, la berce, se colle contre elle, lui caresse les cheveux, s’éloigne pour la regarder et dit sur un ton très tendre et très chaleureux :  » Comme tu es belle ma chérie, comme je suis contente de te revoir « , tout en gardant ses mains dans les siennes et en les pétrissant doucement.

Elle se transforme totalement dans ce contact, son visage devient lumineux et, étonnamment, le visage de la personne qui joue son rôle aussi.

–  » Comment tu te sens quand tu joues cette femme? » demande le thérapeute.
–  » Très bien  » dit-elle en souriant.

Le thérapeute demande à Jeanne de choisir plusieurs personnes dans le groupe et de refaire ce qu’elle venait de faire avec chacune. Histoire de mieux percevoir ce qui la rendait « très bien ». Jeanne se lança, un peu hésitante, pour se rendre compte que là encore c’est « très bien ». Elle prit dans ses bras plusieurs personnes, avec un mélange de respect, de chaleur et de générosité extraordinaires, bien loin de l’attitude réservée qu’elle a habituellement. Elle leur disait des mots qu’elle s’est entendu dire spontanément là-bas : « comme tu es belle ! comme je suis contente de te revoir ! « , et là encore, curieusement, tout comme Jeanne avec son amie africaine, chacune s’était sentie fondre en vivant ce moment-là avec Jeanne, même si ce n’était qu’un jeu de rôle.

Après le jeu de rôle, elle est fière et étonnée.

Le thérapeute demande aux personnes du groupe qui souhaitait partager cette expérience-là avec Jeanne. Tout le monde était tenté par l’expérience (même ceux qui, en général, n’aimaient pas le contact physique), tant ce contact-là leur avait paru étonnant, aussi bien pour Jeanne que pour l’autre personne. Et en effet, ce contact-là procurait un vrai bien-être, cela s’est vu sur chaque visage, tant pour la personne qui le donnait que pour celle qui le recevait. Et pourtant, ce n’était pas un contact protecteur : c’était un contact  » d’enfant à enfant  » où les deux protagonistes sont tous deux à la fois adulte et enfant.

Quand Jeanne alla se rasseoir, elle eut une expression fière et étonnée. Fière peut-être d’avoir réussi à transmettre ce que son amie africaine lui avait donné : un contact de qualité qui fait du bien à l’autre et étonnée d’avoir elle-même autant reçu en donnant..

Au fond cette histoire illustre ce que dit le bouddhisme, mais aussi un très grand communiquant des années 1930, Dale Carnegie l’auteur de « Comment se faire des amis ». Apprenons, comme Jeanne, sans nécessairement prendre les gens dans ses bras, à aller vers les autres avec une véritable ouverture, (c’est-à-dire sans tricher, sans chercher à protéger, juste avec son coeur d’enfant) et cela suffira peut-être à nous rendre heureux ou, au minima, à combler quelques un de nos vides existentiels.

Catherine Hervais

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