Addictions : vulnérabilité cachée et blessures des 1 000 premiers jours

L’addiction peut avoir une base biologique, mais elle puise souvent ses racines psychologiques dans les 1 000 premiers jours de l’existence.

 

Les racines cachées de l’addiction

Notre corps cherche naturellement l’équilibre. Quand quelque chose le dérange, il essaie de retrouver son calme. L’addiction, c’est comme quand cette recherche d’équilibre déraille.

Dans notre cerveau, une substance appelée dopamine joue un rôle important. C’est elle qui nous fait ressentir du plaisir. Quand nous prenons une drogue, buvons de l’alcool, ou même quand nous passons trop de temps sur notre téléphone, cette dopamine augmente beaucoup, très vite. Notre cerveau adore cette sensation et veut la retrouver encore et encore.

En même temps, la partie de notre cerveau qui nous aide à réfléchir avant d’agir – le cortex préfrontal – devient moins efficace. C’est un peu comme si notre voiture perdait ses freins. Le stress rend ce problème encore pire, car il nous pousse à chercher un soulagement rapide.

Pourquoi certaines personnes deviennent-elles dépendantes?

L’addiction n’est pas juste un problème dans le cerveau. C’est souvent le signe d’une souffrance cachée, d’un mal-être profond qui remonte parfois à nos tout premiers jours de vie.

Quand un bébé naît, il a besoin de se sentir aimé, en sécurité. Si ses parents sont absents, tristes ou en colère, l’enfant sent que quelque chose ne va pas. Ceux qui n’ont pas reçu assez d’amour dès le berceau chercheront toute leur vie à combler ce manque, parfois par des comportements qui les détruisent peu à peu.

Certaines personnes dépendantes ont l’air très directes, presque agressives dans leur façon de parler. Elles disent toujours ce qu’elles pensent, sans filtre. Cette franchise cache souvent une grande fragilité: enfant, elles ont peut-être appris que seuls les cris forts étaient entendus par des parents trop occupés ou distants.

D’autres ne se sentent pas bien dans leur propre corps. Sans un parent qui reflète ses émotions, l’enfant ne peut pas apprendre à habiter son corps. Plus tard, ces personnes cherchent dans l’addiction une façon de se sentir mieux, même pour quelques instants.

 

Les 1 000 premiers jours: une période qui change tout

Les scientifiques ont découvert que les 1 000 premiers jours de notre vie – depuis le moment où nous sommes conçus jusqu’à nos deux ans – sont extrêmement importants. C’est à ce moment que notre cerveau se forme le plus rapidement.

Le cerveau droit, qui régule les émotions, se construit dans la relation mère-enfant. Si cette relation est difficile, notre cerveau ne se développe pas de façon optimale, ce qui peut nous rendre plus vulnérables aux addictions plus tard.

Des chercheurs ont beaucoup étudié comment les bébés s’attachent à leurs parents. Quand un enfant ne se sent pas en sécurité avec ses parents, il développe des stratégies pour s’adapter: certains font comme si tout allait bien et cachent leurs besoins, d’autres oscillent entre colère et désespoir. Un attachement insécure est comme une première addiction: l’enfant s’accroche à un objet ou un comportement pour remplacer le lien absent.

Les expériences difficiles des premières années ne restent pas seulement dans notre mémoire, elles s’inscrivent dans notre corps. Les expériences précoces non résolues s’impriment profondément en nous. Si personne ne répond quand un bébé pleure, il apprend que ses besoins ne sont pas importants. Cet enfant apprend que son corps ment. Plus tard, il pourra chercher dans l’alcool ou la drogue une façon de faire taire cette confusion intérieure.

 

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Vers la guérison : réparer les premières blessures

Les 1 000 premiers jours sculptent notre capacité à aimer et à souffrir. Une enfance chaotique est un terreau pour les addictions. Mais il existe aussi cette capacité à se reconstruire après des difficultés qu’on appelle la résilience.

Notre cerveau peut changer tout au long de notre vie. Même si les premières années ont été difficiles, des relations aimantes plus tard peuvent nous aider à guérir.

L’ocytocine, l’hormone qui nous aide à nous sentir proches des autres, joue un rôle crucial dans notre développement. Les thérapies qui nous aident à recréer des liens sécurisants peuvent favoriser la production de cette hormone et nous aider à nous sentir mieux.

La vraie question n’est pas « Pourquoi l’addiction? », mais « Pourquoi la douleur? ». Et la douleur commence souvent au berceau.

Comprendre nos premières années de vie peut nous aider à mieux nous connaître et, peut-être, à guérir de nos dépendances. La guérison passe par la création de nouveaux liens, plus sains, et par l’apprentissage de nouvelles façons de gérer nos émotions, différentes de celles que nous avons connues enfants.

Nos premiers jours façonnent notre vie, mais ils ne la déterminent pas entièrement. Avec de l’aide et de la compréhension, nous pouvons toujours écrire de nouveaux chapitres à notre histoire.

 

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Une approche moderne de la prévention des addictions

Aujourd’hui, les spécialistes considèrent que la prévention des addictions doit commencer dès la grossesse. Soutenir les futurs parents, leur apprendre à répondre aux besoins de leur bébé, et créer un environnement stable et aimant sont des facteurs de protection puissants contre les risques d’addiction future.

Des programmes d’accompagnement parental ont montré leur efficacité pour réduire les risques de troubles psychologiques chez l’enfant. Ces interventions précoces coûtent beaucoup moins cher à la société que le traitement des addictions une fois installées.

Les professionnels de la petite enfance jouent un rôle crucial dans ce repérage précoce. Crèches, écoles maternelles, médecins et sages-femmes peuvent identifier les situations à risque et proposer un soutien adapté avant que les difficultés ne s’installent durablement.

La société tout entière gagne à investir dans ces 1 000 premiers jours. Chaque euro dépensé pour le bien-être des tout-petits en économise dix dans le traitement futur des problèmes psychologiques et des addictions.

L’addiction n’est pas qu’une affaire de volonté ou de morale. C’est une blessure relationnelle précoce qui peut se transformer en souffrance chronique. La comprendre, c’est déjà faire un pas vers la guérison.

 

P.S. : Présentation des auteurs cités et leur pertinence pour le sujet

Boris Cyrulnik : Neuropsychiatre français de renom et pionnier du concept de résilience. Ses travaux sur les traumatismes précoces éclairent parfaitement les origines des addictions dans l’enfance et comment ces blessures peuvent être dépassées.

Donald Winnicott : Pédopsychiatre britannique qui a développé les concepts essentiels de « vrai self » et « faux self ». Sa théorie permet de comprendre comment l’addiction devient l’expression d’une authenticité étouffée dès l’enfance.

Peter Fonagy : Psychologue spécialiste de la mentalisation, ses recherches expliquent comment l’enfant apprend à habiter son corps et à réguler ses émotions – ou comment ces capacités peuvent être compromises.

Allan Schore : Neuroscientifique dont les travaux sur le développement du cerveau droit dans la petite enfance sont fondamentaux pour comprendre les bases neurobiologiques des addictions.

Mary Ainsworth et John Bowlby : Fondateurs de la théorie de l’attachement, ils éclairent les liens entre attachement insécure et dépendances futures.

Bessel van der Kolk : Psychiatre spécialiste du trauma, ses travaux sur la mémoire corporelle montrent comment les expériences précoces s’inscrivent dans le corps.

Alice Miller : Psychanalyste qui a étudié les conséquences à long terme des maltraitances infantiles, expliquant comment un enfant peut perdre confiance en ses propres sensations corporelles.

Daniel Siegel : Neurologue qui explore les liens entre attachement désorganisé et fragmentation neuronale, aidant à comprendre les comportements compulsifs.

Sue Gerhardt : Dans son ouvrage « Why Love Matters », elle démontre l’importance de l’ocytocine et des hormones du lien dans le développement émotionnel.

Gabor Maté : Médecin spécialiste des addictions qui replace la douleur émotionnelle au centre de la compréhension des dépendances.

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