Boulimie, une sensation hurlante de vide

boulimie-juil-aout2015La sensation de vide éprouvée par les personnes boulimiques, c’est plus qu’un sentiment de solitude, c’est une sensation où tout paraît vain. Seuls une occupation très prenante, un début d’idylle et bien sûr aussi les crises de boulimie peuvent faire disparaître cette sensation ou même l’empêcher d’apparaître. Mais quand elle est là, elle tellement douloureuse que certains souhaiteraient mourir pour ne plus la ressentir. L’ esprit tourne alors sur deux ou trois pensées : « A quoi bon ? », « Rien n’a de sens », « Pourquoi je suis là ? ». Il est probable que toute personne non « toxico » la ressentent parfois aussi dans des moments de grande fragilité (perte brutale d’un être cher ou de quelque chose d’infiniment précieux.) Mais chez les personnes qui ont une addiction alimentaire, cette sensation fait irruption très souvent, dans les moments où elles ne réussissent pas à se passionner pour quelque chose et où elles ne sont pas en train de manger.

Que leur personnalité soit diagnostiquée «borderline», «bi-polaire», «dépendante» ou «évitante», les personnes boulimiques ont plusieurs vultérabilités psychologiques en commun. Lors d’un groupe de thérapie composé de vingt-cinq femmes et d’un homme, nous avons pris du temps pour les nommer. Je vous livre ici une partie de ce sur quoi nous sommes tous tombés d’accord. Peut-être reconnaîtrez vous certains de ces traits comme étant aussi les votre.

Par exemple ce besoin quasi-permanent de s’isoler comme si la réalité n’était pas supportable ou pas assez intéressante. Ennui, sentiment de décalage, comme dans «un autre monde», sans que cela se voie, elles sont est là sans être là. se réfugiant souvent volontairement dans une « bulle » mais parfois aussi sans qu’elles le souhaitent. Elles s’étonnent alors de ne rien ressentir, de ne pas pleurer à l’enterrement d’un proche, de ne pas être touché par ce qui bouleverse les autres, de se sentir décalées… «Je me sens comme un monstre, pas humaine» me dit-on parfois à propos ce qui paraît être de l’insensibilité.

Autant elles sont parfois capables de gérer les situations catastrophiques où tout le monde s’écroule, autant elles peuvent s’effondrer pour un détail. Leur hypersensibilité peut se manifester pour un détail : telle personne ne leur a pas souri, telle autre ne les a pas regardées avec chaleur ou bien ne les ont pas comprises … Une tête d’épingle se transforme en montagne, elles ressentent les choses puissance dix. Autant ce qui est grave n’est parfois pas perturbant, autant ce qui n’est pas grave peut les rapprocher de ce que les psychiatres appellent un « burn out ». L’émotion n’est alors pas digérée et produit dans le cerveau une sorte de court-circuit qui paralyse et conduit à l’épuisement.

Et puis il y a la honte. Pas seulement celle d’être boulimique. Qu’elles aient un physique de rêve ou pas, qu’elles réalisent des grandes choses dans leur vie sociale ou qu’elles ne travaillent pas, les personnes boulimiques ressassent en boucle le mot qu’elles n’auraient jamais dû dire, le un geste qu’elles n’auraient pas dû faire et planifient quand elles sont avec les autres la manière dont elles devraient se compoter pour être admirées et aimées de tous. Une jeune femme dans un groupe reconnaît maintenant qu’avant la thérapie, elle avait honte de tout. «J’avais honte d’éternuer, j’avais honte de dire que j’avais soif, que j’avais faim j’étais tout le temps en train de m’excuser, j’aurais pu dire que j’aimais un truc alors que je l’aimais pas parce que j’avais honte d’aimer autre chose que les gens qui m’entourent. Comme j’avais honte de tout, je faisais tout pour camoufler ce dont j’avais honte et ça donnait des comportements encore plus ridicules. C’est idiot. Qui est parfait, n’a jamais faim, n’a jamais soif, ne va jamais au toilettes ? Il aurait fallu que je reste figée en permanence et qu’on me trouve parfaite et qu’on m’admire. Maintenant je m’en fiche que des gens me trouve belle ou drôle, j’ai besoin d’autre chose. C’est assez sympa de me sentir moins nombriliste qu’avant.»

Parmi les traits que nous avons listés en groupe, il y a également cette tendance à amplifier un détail sans pouvoir passer à autre chose, comme si, tout à coup, rien d’autre n’avait d’importance que ce détail. Leurs pensées, (le plus souvent négatives), tournent alors en boucle sans qu’elles réussissent à avancer.

Elles partagent également des valeurs et un mode relationnel commun. Sans doute parce qu’elles sont très obsédées par l’idée de ne pas plaire ou de déplaire elles ont beaucoup de mal à regarder vraiment les gens pour ce qu’ils sont. Quand elles pensent rouge, l’autre doit penser rouge, quand elles pensent blanc, l’autre doit penser blanc. Ce qui leur plait devrait plaire à tout le monde. Quand elles ont des besoins, tout le monde devrait avoir les mêmes besoins en même temps. Si la vaisselle n’est pas faite quand elles rentrent le soir par le(la) conjoint(e) qui est resté(e) à la maison c’est inacceptable, Les unes réagissent alors par de la violence, les autres par de la tristesse mais toutes ne se sentent pas respectées comme si l’autre n’avait pas le droit de ne pas combler leurs besoins,: elles auraient sûrement fait la vaisselle à sa place pour l’accueillir dans un appartement propre ! Dans le même registre, si un de leur proche ne les comprend pas c’est insupportable. Il faut lui expliquer, le convaincre jusqu’à ce qu’il comprenne. On ne peut pas avoir un avis différent du leur sans qu’elles se sentent rejetées, en danger ou qu’elles s’ennuient.

Bien qu’elles pensent souvent que leurs difficultés relationnelles viennent des autres, les personnes boulimiques sont elles-mêmes à l’origine des difficultés relationnelles. Soit trop réservées, incapables d’affirmer leurs envies, (de les connaître même), soit trop violentes, trop intrusives ou simplement trop directes, leur intolérance à la frustration, leur phobie de la perte du lien et leur fonctionnement mental rigide et stéréotypé les rendent très difficiles à vivre. C’est pourquoi, même quand la boulimie a disparu suite à un travail thérapeutique, elles ont encore besoin de continuer leur psychothérapie tant que leurs relations interpersonnelles ne sont pas encore paisibles. C’est sans doute la raison pour laquelle la psychothérapie est en groupe est plus efficace. Dans un groupe, en même temps qu’on apprend à s’exprimer, s’affirmer, on peut aussi apprendre à mieux gérer ses relations interpersonnelles afin quelles ne soient plus aussi compliquées.

Catherine Hervais

Fin de l’article –

Catherine Hervais

Partagez l’article sur: {module 131}

Laisser un commentaire