Je ne sais pas qui je suis
Auteure de l'article : Catherine Hervais,
psychologue spécialisée dans l'addiction alimentaire
Chaine Youtube
Ça veut dire quoi être soi quand on ne sait pas communiquer, quand on a un cœur comme de la guimauve, quand on a envie de partage et qu’on n’y arrive pas, quand on ne fait que des faux pas avec les gens qu’on aime le plus, quand on les agresse parce qu’on ne peut pas donner ou recevoir ? Je ne sais pas qui je suis." dit une jeune femme dans un groupe de thérapie.
Je ne sais pas qui je suis
Je ne sais pas qui je suis, alors comment réussir à se sentir soi ?
Lorsqu’on ne se sent pas vraiment soi, lorsqu’on se sent souvent «étranger » parmi les autres, lorsqu’on met une barrière pour ne pas être atteint, ou au contraire lorsqu’on en fait « des tonnes » pour plaire, lorsqu’une addiction anesthésie toutes vos émotions, comment réussir à se sentir soi?
Je ne sais pas qui je suis
Le bouddhisme vous donne raison
Selon les bouddhistes, le soi n’existe pas en tant qu’entité séparée de l’univers, caractérisé par l’impermanence et le changement. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas du tout. Un tourbillon se distingue de l’océan : il est visible, tangible, mesurable, réel. Il existe.
Je ne sais pas qui je suis
"C’est quand on croit savoir qui est soi que l’on est le plus sûr de passer à côté de soi."
Bien que le tourbillon soit phénomène qui a une identité perceptible au moment où il se produit, on ne peut pas dire qu’il y a une séparation entre le tourbillon et l'océan. Il n’y a pas, d’un côté le tourbillon, et d’un autre côté l'océan. Le tourbillon est un phénomène produit par l'océan.
De tous temps, les philosophes se sont inscrits dans cette même optique : c’est quand on croit savoir qui est soi que l’on est le plus sûr de passer à côté de soi. « Qui souvent s'examine n'avance guère » dit Raphaël Enthoven1 en citant Clément Rosset. Et il ajoute pour illustrer ce propos : «…le moment ou un pianiste a conscience de lui-même c’est le moment où il fait une fausse note. Le moment ou un funambule a conscience de lui-même c’est le moment où il se casse la gueule (…). La conscience de soi est un embarras, un encombrement, une entreprise vaine. ».
Pourtant sans un minimum de conscience de soi on se noie dans l’obscurité et la solitude comme la jeune femme que nous avons citée plus haut. Il s’agit d’un minimum de conscience de soi, très basique, proche du sentiment de sécurité que l’on est sensé acquérir lorsque l’on est bébé et qui facilite la relation de soi à soi et de soi à l’autre. Si le bébé a intériorisé ce sentiment de sécurité, il aura confiance dans le présent et dans l’avenir sans avoir besoin d’être stimulé par un objet extérieur pour se sentir vivant.
je ne sais pas qui je suis
Parvenir à exister malgré tout
La question essentielle pour la jeune femme qui s’exprime au début de ce texte est-elle de savoir qui elle est, ou bien de parvenir à se sentir exister sans avoir besoin de quelque chose qui l’ « accroche », que ce soit une addiction, des sensations fortes ou une relation « fusionnelle ». C’est cela qu’elle peut découvrir et expérimenter dans une psychothérapie, en groupe plutôt qu’en individuel: une certaine flexibilité, un non—savoir de soi permettant d’accueillir l’autre tel qu’il est, sans lui « rogner les ailes » ou sans se contraindre soi.
1 Je vous invite à écouter , si vous ne l'avez déjà fait, le podcast du 2 mars 2014 de l'émission de Raphaël Enthoven "Le Gai Savoir" sur France Culture intitulée "Moins on se connaît, mieux on se porte".
Partagez l'article sur:
Commentaires
Finalement, je ne pose pas de question, je dis juste mon ressentis par rapport à cette article.
Je suis arrivée sur ce site car je pensais avoir des traits de boulimie, mais je me rends compte que je ne suis pas attirée par la nourriture sans arrêt mais juste dans certaines conditions (quand je mange pas assez aux repas, ou que je m'ennuie). Finalement je ne mange pas tellement plus qu'avant c'est la sensation que j'ai quand je mange qui est différente et c'est peut-être cela qui m'effraie.
Vous répondez effectivement à mon commentaire, l'idée de connaître ses "tocs relationnels" me semble en effet plus réalisable que de se connaître tout court...
Et il est vrai qu'être continuellement dans l'introspection empêche de vivre.
Quant à ne pas connaître les autres, je suppose que cela revient à pouvoir accepter que la personne évolue, qu'elle ne soit pas la même à 20 ans qu'à 30, etc...
Personnellement, pour réagir à la fin de l'article, j'ai l'impression que savoir qui l'on est (ou, disons, savoir ce qu'on aime, ce qu'on désire) revient à acquérir en quelques sortes des fondations qui permettent de ne pas avoir besoin de s'accrocher à des addictions. Par exemple, savoir ce que l'on veut ou ce que l'on ne veut pas permet d'avoir un minimum d'emprise sur sa vie, de tenter de lui donner la direction que l'on espère; ainsi on n'a pas besoin de se réfugier dans une addiction pour se sentir acteur de sa vie (j'ai l'impression que beaucoup de comportements addictifs jouent ce rôle -entre autres- de nous alléger d'une sensation d'impuissance, car ces comportements nous font agir en quelque sorte).
Je ne sais pas trop quoi ajouter si ce n'est que je vous remercie de votre réponse, ça fait effectivement plaisir de pouvoir discuter ainsi!
Je trouve votre remarque intéressante en ce sens qu’il est bon de connaître ses tocs relationnels, ses tendances à aller soit trop près soit trop loin des gens dans la relation intime, à ne pas les "calculer", à projeter sur eux nos émotions, notre univers en s'imaginant qu'ils ont les mêmes ou qu'ils ont tort de ne pas avoir les mêmes.
Mais si on a intérêt à connaître ses dysfonctionnements, est-ce à dire pour autant que l’on peut se connaître?
Nous sommes si compliqués. Nous sommes fait de mémoire et d’émotions oubliées, de neuromédiateurs, nous nous inscrivons dans une histoire personnelle, une histoire sociologique, éthologique et tout cela est présent dans ce que nous ressentons et ce qui nous fait réagir.
Quand je dis qu’on a intérêt à ne pas se connaître et à ne pas connaître les autres, c’est pour ne pas figer un morceau de la réalité présente, qui est bien plus vaste que nous ne pouvons la concevoir.
Nous sommes des êtres créatifs, si nous ne nous connaissons pas nous pouvons improviser quelque chose de très personnel à chaque petite situation de la vie. Et bien sûr, il est indispensable de connaître ses dysfonctionnements, ses répétitions….
Je ne sais pas si je réponds à votre commentaire mais je vous remercie d’avoir réagi à cet article. Les discussions ouvrent des fenêtres :-)
Je ne crois pas que la non-connaissance de soi puisse être un atout relationnel (évidemment je ne peux me fier qu'à mon cas personnel pour poser cette affirmation, qui est donc fort peu fiable). En effet, ne risque-t-on pas d'adopter des comportement inadéquats, justement parce que l'on ne se connait pas, vis-à-vis de l'autre, par exemple:
- désirer la fusion car on croit trouver en l'autre son double parfait (ce qui n'existe pas), et donc l'effacement de toutes ses différences avec l'autre -> reniement de soi... Et de l'autre (peut-on alors parler d'amour? mais c'est un autre débat)
- tenter au contraire la différentiation à outrance en se créant un "personnage d'opposition", en se montrant comme récusant tout et n'importe quoi juste pour se sentir être quelqu'un
je m'excuse pour mon ton confus, j'ai encore du mal à définir correctement ces deux comportements que je connais bien et qui sont dus à ma non-connaissance de moi, à mon éloignement de mon... "moi profond" en quelques sortes.