Elle ne peut lâcher prise qu’avec la boulimie

Comment lâcher prise

La psychothérapeute lui dit que si elle pouvait faire autrement elle le ferait, mais qu’elle a besoin de ses boulimies pour calmer de grosses angoisses

boulimie_janvier2011« Le jogging, le massage, le yoga, la relaxation (cf. article de février 2008 sur la relaxation ainsi que le livre « Savoir se Relaxer«  de Charly Cungi et Serge Limousin aux éditions Retz sont des outils formidables pour lâcher prise. La méditation, même, commence à faire partie aujourd’hui de la pratique médicale. Le livre « Méditer » de Jon Kabat-Zin, Professeur en médecine à l’Université du Massachusetts (ed. Les Arènes) que nous vous recommandons dans boulimie.fr ce mois-ci est un trésor qu’il faut vous procurer absolument.

Ceci dit, jogging, relaxation ou méditation ne vous apporteront pas la sérénité, si vous conduisez votre vie dans une direction qui ne vous convient pas et dans laquelle vous persistez, simplement parce que vous êtes convaincu que c’est cette route-là que vous devez prendre.

Une patiente vient pile à l’heure à son rendez-vous. La psychothérapeute ouvre la porte sur une grande jeune femme très blonde, les cheveux coupés au carré, bien maquillée, portant un jeans, un manteau en laine noir, immaculé, bien propre. Elle met délicatement son sac sur le fauteuil de l’entrée, comme la psy le lui a proposé, plie soigneusement son manteau qu’elle pose méticuleusement sur son sac et entre dans la salle de consultation. En mi-temps thérapeutique jusqu’à présent pour une grande fatigue, elle est maintenant en arrêt total pour dépression. Elle a conscience que ce n’est pas une dépression mais de la boulimie. D’une voix à peine audible elle raconte qu’elle n’arrête pas de manger et de vomir et qu’elle a honte.

La psychothérapeute lui dit que si elle pouvait faire autrement elle le ferait, mais qu’elle a besoin de ses boulimies pour calmer de grosses angoisses, pour lâcher prise, se vider la tête et même pour avoir accès à ses sensations. Un problème dans la petite enfance l’a sans doute empêchée de construire son identité, et manger est pour le moment la seule chose qu’elle peut faire pour apaiser sa peur de se sentir si démunie, si vide à l’intérieur.

Elle n’entend pas la psy, continue, sans la regarder, à parler de l’absurdité de son existence entre ses boulimies, ses vomissements, sa honte… La psy se tait en se disant qu’à un moment elle s’arrêtera pour s’ouvrir à un vrai dialogue. Mais non, elle ne s’arrête pas. Pourtant ses mots sont justes, expriment avec réalisme ce qu’elle ressent et ce qu’elle vit : « … j’avais besoin de combler un vide et je n’ai trouvé que ça…  je ne veux plus me cacher derrière une dépression, je vois bien que j’ai un problème d’identité… j’ai un vide en moi qui me fait énormément souffrir… j’ai honte non pas seulement de manger mais aussi de ce que je suis».

Il n’empêche qu’elle ne parle que de son symptôme, du mal-être dans lequel elle se trouve à cause de lui, de son énorme culpabilité et semble n’avoir pas entendu ce que lui a dit la psy.

  • Pourquoi de la culpabilité ?
  • Parce que j’arrive pas à me maîtriser, à être adulte.
  • Les adultes se maîtrisent ?
  • Oui, j’ai comme attente qu’en prenant de l’âge on acquiert plus de maîtrise, plus de sagesse.
  • La sagesse, c’est la maîtrise ?
  • Oui, c’est l’idée que j’en ai.
  • Et si la sagesse c’était le contraire de la maîtrise ?
  • Oui, peut-être. Mais j’avais comme attente qu’en devenant adulte on peut se maîtriser.
  • Et si vos attentes vous amenaient à vous tromper et à faire des choses qui ne sont pas réellement dans votre intérêt ?
  • Je ne sais pas où sont mes intérêts. J’essaie de me construire en faisant le contraire de ce qu’ont fait mes parents.
  • Faire une chose ou son contraire c’est à peu près pareil, non ?
  • Sans doute, parce que je ne suis pas vraiment moi.
  • Et si devenir vous-même nécessitait que vous renonciez à vos croyances ? Par exemple renoncer à la croyance que les autres sont plus adultes ou mieux que vous ? Ou que, lorsqu’on est adulte, on est plus sage… ?

L’iPhone de la psy se met à sonner. La psy s’excuse, s’absente un instant puis revient en disant qu’elle craque pour son iphone, que c’est un jouet pour elle, qu’elle adore s’amuser et en particulier ne pas être raisonnable. D’ailleurs, dit-elle, j’ai plein de défauts. Elle lui explique qu’elle vient d’interrompre la consultation pour aller programmer un film qu’elle a envie de regarder ce soir. Bien sûr, cela ne se fait pas, normalement, lors d’une consultation, qu’un psy aille s’occuper de lui pendant que le patient l’attend. Les psychothérapeutes sont formés pour être totalement à l’écoute de leurs patients pendant la séance. Mais dit-elle, moi, je prends des initiatives fantaisistes qui ne se font pas.

  • Si vous faite ma thérapie, vous aurez à faire avec une psy imparfaite qui va vous aider, pour aller bien, à devenir vous-même imparfaite, en toute bonne conscience, mais dans le respect de l’autre.

La patiente semble à la fois consternée et amusée. La psy poursuit :

  • En allant enregistrer mon film, je n’estime pas vous avoir manqué de respect. En m’écoutant, je ne vous enlève rien. Je me sens d’ailleurs d’autant plus capable d’être présente et en contact avec vous que j’ai osé écouter mon côté enfant qui ne voulait pas manquer le film de ce soir à la télé
  • Jusqu’à présent j’ai eu des psys très attentifs, très présents. Et pourtant je me sentais toute seule. Avec vous je sens que vous êtes là vous aussi. C’est peut-être ce dont j’ai besoin : une psychothérapie qui se passe sous la forme d’une vraie rencontre.
  • Peut-être. Peut-être les personnalité dites « état-limite », c’est à dire les personnes qui ont souffert d’un trouble précoce de l’attachement ont-elles besoin de se construire en thérapie dans un vrai rapport à l’autre. C’est en tout cas mon expérience. Moi aussi j’ai souffert pendant de nombreuses années d’un vide intérieur dont j’avais honte. C’est cette souffrance qui m’a poussée à me construire à l’âge adulte. Je l’ai fait en tenant compte de ce qui me plaisait et de ce qui me déplaisait. Du coup, ce qu’il y a en moi maintenant à la place du vide c’est vraiment moi. Bien sûr, les psys que j’ai rencontré ont été suffisamment confrontant pour que j’apprenne à les respecter dans leur individualité et à transposer par la suite le respect de l’autre dans la vie courante. Non pour des raisons morales, mais pour des raisons évidentes : si je ne respectais pas les autres, si je ne préservais pas mon environnement, j’avancerais sur des sables mouvants.

En guise de réponse la patiente lui fait un sourire. Un vrai. Son visage devient vivant.

La psy lui indique d’ores et déjà deux règles fondamentales afin de se construire avec succès:

  1. Tenir compte de son plaisir et de son déplaisir pour s’orienter, tout en restant dans le respect de l’autre
  2. Ce n’est pas parce que l’autre se dit blessé que c’est vous qui l’avez blessé. C’est l’intention qui compte : si vous n’avez pas voulu faire de mal vous n’avez rien à vous reprocher.

La patiente, extrêmement tendue en arrivant, semblait relaxée par cet entretien. Elle est partie en le confirmant et en ajoutant : « Je crois que j’ai besoin de clefs. A moi de trouver les portes à ouvrir… et peut-être aussi d’en fermer certaines. ».

Fin de l’article

Catherine Hervais

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