La psychanalyse, oui mais…

Généralement, quand la thérapie cognitivo-comportementale (carnet alimentaire, contrôle sur les boulimies etc…) échoue et que les personnes boulimiques ne réussissent pas à venir à bout de leurs crises, celles-ci se voient orientées vers une thérapie d’inspiration psychanalytique qui a, en France, la réputation d’aller vraiment au fond des choses.

Mais leur trouble de l’identité  est si profond, si archaïque, que la psychanalyse ne les aide pas énormément à avancer. Elle leur permet de déculpabiliser ce qui les aide à souffrir un peu moins, mais, dans sa manière habituelle de fonctionner (neutralité du psychanalyste), elle n’est pas adaptée à leur troubles de la personnalité. Pour qu’elle le soit il faudrait qu’elle sorte totalement de son cadre: le psychanalyste ne serait pas neutre (mais impliqué dans la relation) et les séances individuelles ne dureraient pas entre une demi heure et quarante cinq minutes mais une heure et demi.

Un psychanalyste hors du commun

J’ai choisi, dans cet éditorial, de vous raconter l’histoire d’un psychanalyste qui a su sortir du cadre traditionnel de l’analyse et improviser un accompagnement suffisamment nourricier pour que sa patiente, porteuse d’un trouble « borderline » de la personnalité et accessoirement d’une addiction alimentaire, puisse dépasser sa peur de vivre et se construire une vie enfin paisible.

C’est une histoire magnifique racontée par la patiente elle même, Margaret I Little, une femme médecin de quarante huit ans qui allait devenir psychanalyste par la suite . Margaret I Little sentait bien que sa précédente analyse n’avait pas touché les couches les plus profondes de son identité et en particulier sa peur d’exister.

Elle elle ne se sentait pas « quelqu’un »; Je voulais « être quelqu’un », c’est à dire une vraie personne, et non pas personne, ou une non-personne ». Pour elle, la sexualité ne pouvait qu’être hors de propos et sans signification aucune. Elle choisit comme troisième psychanalyste un homme dont elle pressentait qu’il allait pouvoir l’accompagner dans les zones les plus archaïques de sa personnalité..

Winnicott, ce troisième analyste, avait été pédiatre auparavant et c’est sans doute la raison pour laquelle il savait voir dans l’adulte les carences du nourrisson, en deçà de toute sexualité, à laquelle renvoie toujours la psychanalyse. Là où les psychanalystes ont appris à se taire pour mieux renvoyer l’autre à lui-même, Winnicott a su pousser cette femme qui se sentait si inexistante à exister suffisamment pour entrer en contact avec lui.

Elle était couchée, roulée en boule…

Margaret raconte sa première séance qui pour elle produisit une répétition de la terreur. « J’étais couchée, roulée en boule, complètement cachée sous la couverture, incapable de faire un mouvement ou de dire un mot. D.W. (Winnicott) garda le silence jusqu’à la fin de la séance puis se contenta de dire : « Je ne sais pas, mais j’ai l’impression que, pour une raison que j’ignore, vous me tenez à l’écart ».

Tout doucement, sur la pointe des pieds, il était en train de lui dire : « nous sommes deux ici, vous n’existez peut-être pas encore, mais moi, j’existe déjà et je ne me sens pas pris en compte par vous ». Un autre jour, pendant toute une séance, elle fut saisie de spasmes de terreur. Elle lui attrapa les mains, s’y accrocha et il les lui laissa jusqu’à la fin des spasmes. Pendant quelques minutes, même il lui tint la tête comme il aurait tenu la tête d’un bébé à sa naissance. Elle ne s’y trompa pa : il s’agissait bien pour elle de la naissance d’une véritable relation à l’autre.

La sollicitude de Winnicott pour sa patiente alla même encore plus loin. Se rendant compte qu’il ne se passait presque rien pendant la première moitié de chaque séance parce qu’il fallait beaucoup de temps à Margaret pour trouver du calme en raison de l’environnement très perturbant de son enfance, il prolongea la durée de la séance à une heure et demie, sans changer ses honoraires, et ce, jusqu’à la fin de son analyse.

Selon Winnicott un bébé devait être maintenu par sa mère avec sécurité pour pouvoir se développer harmonieusement et il recréa avec Margaret le maintien dont elle avait manqué, pour lui offir un nouveau « début » de vie. « Littéralement, il tenait mes deux mains serrées entre les siennes pendant de longues heures, presque comme un cordon ombilical, tandis que moi j’étais allongée, souvent cachée sous la couverture, silencieuse, inerte, renfermée, paniquée, enragée, ou en larmes, endormie et quelque fois rêvant. « En fait, Winnicott offrait sa propre force au patient et il la retirait à mesure que le patient devenait capable de la puiser en lui-même.

Son psychanalyste choisit, avec elle, de ne pas être neutre…

Balayant, quand c’était nécessaire, les outils classiques de la psychanalyse que sont la neutralité de l’analyste et ses interprétations, il ne se défendait pas contre ses propres sentiments mais au contraire en acceptait leur diversité, et à l’occasion les laissait s’exprimer (…) Je lui parlais d’une perte que je me rappelai avoir éprouvée toute petite. Je m’étais fait une amie, A…, c’était elle qui m’avait choisie pour être son amie.

Elle m’avait donné libre accès à sa maison, à sa chambre, à sa nanny et à ses jouets. Un jour, après des vacances, elle n’était pas chez elle. Et après, pendant de nombreux jours, elle était « malade » et puis était « morte ». J’avais été « méchante » et « égoïst » de ne pas lui avoir écrit. « Je ne l’aimais sûrement pas »sans quoi « j’aurais écrit ». Il versa des larmes – pour moi -, et je pus pleurer comme jamais auparavant et faire mon travail de deuil ». Winnicott savait s’adapter: autant il pouvait pratiquer l’analyse traditionnelle, dans la réserve d’une neutralité bienveillante, autant il savait ne pas exiger d’ « associations » et ne pas infliger d’ « interprétations  » aux personnes qui avaient tout à construire.

Tant dans la vie que dans la manière de travailler, il était d’une touchante simplicité : « Il répondait aux questions directement et au premier degré, ce n’est qu’après qu’il se demandait seul, toujours à lui-même, souvent avec le patient, pourquoi la question avait été posée. Pourquoi à ce moment-là ? Et quelle angoisse inconsciente il y avait derrière ». En somme, agir d’abord, penser après, comme le proposeront plus tard les nouvelles thérapies parmi lesquelles la Gestalt et l’Analyse Transactionnelle. L’implication de Winnicott était totalement humaniste jusqu’à se rendre chez sa patiente alors qu’elle était gravement malade et incapable de se déplacer, cinq, six et quelque fois sept jours par semaine pendant trois mois.

« Malgré tout, il expliquait clairement qu’il n’était pas question qu’il se sacrifie totalement. S’il ne s’accordait pas à lui-même suffisamment d’importance, s’il ne satisfaisait pas ses propres besoins, corporels et émotionnels, il ne pourrait être utile à personne, y compris à lui-même. »

… et partageait avec elle qui il était

Winnicott partageait avec sa patiente qui il était. Cela donna à Margaret un sentiment de sécurité qui l’aida à évoluer de la terreur à la communication adulte ; « cela augmentait le sentiment que j’avais de ma propre valeur à mes yeux et donc aux yeux des autres, et par conséquent, ma capacité à m’estimer moi-même se consolidait. Petit à petit, Winnicott devint pour elle une vraie personne vivante avec qui elle avait une relation qui n’était plus désormais basée seulement sur le transfert. Cette relation pouvait lui servir de modèle pour toutes ses relations ultérieures, d’adulte à adulte. Ils commencèrent à diminuer la longueur et la fréquence des séances et elle insista pour augmenter leur prix. Terminer, enfin, ne fut pas trop difficile. Elle garda avec lui une « relation amicale et tranquille » bien qu’elle ne fit jamais partie de ses intimes. Elle pouvait le voir ou lui téléphoner de temps en temps, quand l’occasion s’en présentait et il l’invitait même à se joindre à un petit groupe réuni pour discuter de ses travaux les plus récents.

Margaret n’était plus une « non-personne ». D’abord reconnue par Winnicott, puis par elle-même, elle se forma à la psychanalyse et s’imposa plus tard pour ses travaux avec les personnalités « borderline ».

Dans le récit de son analyse avec Winnicott(*) Margaret nous fait découvrir un grand psychanalyste qui ne voulait pas s’avouer vaincu devant les cas difficiles, qui a su prendre des libertés avec la technique psychanalytique quand c’était nécessaire et qui, modestement, avait dédicacé son dernier livre  » Jeu et Réalité  » avec des mots qui lui ressemblent : « A mes patients qui ont payé pour m’instruire ».

On mesure en écoutant cette histoire, combien le thérapeute doit s’investir pour accompagner des patients à la personnalité difficile et qui ont tout à construire : des séances d’une heure et demi, plusieurs fois par semaine, une énorme implication, etc. La question de l’accompagnement des personnalités borderline est de plus en plus à l’ordre du jour dans les milieux psychanalytiques (voir rubrique du livre du mois).

Pour conclure, je dirai simplement que ce qui est si difficile à installer en séance individuelle pour l’analyste ou le thérapeute, coule presque de source dans les groupes intensifs de type gestalt thérapie ou analyse transactionnelle dans lesquels toutes les conditions inter-relationnelles sont réunies pour accompagner, de l’âge bébé à l’âge adulte, des personnes qui ont un tel trouble de la personnalité.

Vous pouvez lire le texte original de Margaret Little dans  » Transfert et états limites  » Petite Bibliothèque de psychanalyse, PUF, Paris 2002).

Catherine Hervais

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