La boulimie a-t-elle une fin ?

La boulimie a-t-elle une fin? Elle est tellement « dévorante » qu’on est tenté de se poser la question. « C’est comme si elle contrôlait mes gestes et mes pensées, comme si elle me possédait, comme si elle ne pouvait disparaître de ma vie (…)

Elle me hante depuis déjà trop longtemps et chaque fois que j’ai l’impression d’y avoir échappé, elle me rappelle qu’elle est toujours là (…) Elle prend possession de mes gestes, de mes pensées de mon être tout entier » écrit Maeva à propos de son addiction à la nourriture.

{xtypo_quote_right}Il paraît que l’on reste malade alcoolique toute sa vie et que pour s’en sortir il ne faut plus toucher à une goutte d’alcool. En est-il de même pour la boulimie? Seules peuvent finalement répondre les personnes qui ne sont plus boulimiques depuis au moins deux ans{/xtypo_quote_right}Il paraît que l’on reste malade alcoolique toute sa vie et que pour s’en sortir il ne faut plus toucher à une goutte d’alcool. En est-il de même pour la boulimie ? Et si oui, comment peut-on en guérir dans la mesure où il est nécessaire de continuer à manger pour vivre ? Les boulimiques-anorexiques et leurs proches se posent souvent cette question à laquelle seules peuvent finalement répondre les personnes qui ne sont plus boulimiques depuis au moins deux ans. Voilà pourquoi boulimie.fr a créé une rubrique des personnes qui s’en sont sorties.

Une certitude…

Une certitude : contrairement à ce qui se dit sur la maladie alcoolique, on s’en sort totalement au point de ne plus avoir envie de vider ses placards, au point de s’autoriser comme tout le monde des desserts et des plats en sauce, au point d’en laisser dans son assiette quand on n’a plus faim, au point même de n’être plus du tout obsédé par la nourriture. Comment ont-elles fait pour s’en sortir ?

…on ne s’en sort pas par le contrôle alimentaire

Certains des témoignages vous le disent clairement : elles n’ont pas cherché à contrôler leur alimentation : elles se sont engagées dans un travail sur leur identité, leur rigidité, leurs valeurs.

Le bien, le mal, le beau, le laid, ce qui a de l’importance, ce qui n’en n’a pas, ce que l’on doit dire ou faire, ce que l’on ne doit pas dire ou faire… Par exemple, si je prends les croyances qui reviennent souvent chez les personnes dépendantes, l’autre doit-il nécessairement penser comme moi, devancer mes envies pour que je sois heureux ? Inversement dois-je me comporter d’une manière conforme à ce qu’il attend de moi, le satisfaire à tout prix ? Faut-il à toute force éviter les conflits ? Le conflit est-il nécessairement synonyme de violence et de déchirement ? Ou bien peut-on le voir au contraire comme une mise au point nécessaire pour une vie libre de souffrance et de symptômes ?

Du besoin de fusion à l’autonomie

Si vous regardez ces témoignages vidéo, vous verrez que la boulimie s’est arrêtée lorsque ces personnes sont passées du « dictact » de la fusion (l’autre doit penser comme moi, être intéressé par les choses qui me plaisent… et vice versa) à une posture d’autonomie (l’autre a le droit de ne pas être là pour moi quand il ne se sent pas disponible et réciproquement).

Bien sûr, elles ne l’ont pas fait sans difficulté. Il leur a fallu utiliser leur réflexion, du courage et de la persévérance. Ce n’est pas facile de prendre le risque de décevoir ou de déplaire.

Il faut du courage pour être soi explique le philosophe de la relation, Robert Misrahi. Mais la récompense est de taille. Selon ce spécialiste de Spinoza mais aussi auteur de nombreux ouvrages traitant du dialogue, de la relation à l’autre, du bonheur, de l’éthique, quand on prend le risque d’être soi et donc aussi le risque de la solitude on accède à la joie de vivre. L’autonomie et la liberté sont, nous dit-il, les premières sources de joie. Face à une crise existentielle il ne voit que deux possibilités : soit persévérer dans le fatalisme (dépression, suicide…) soit effectuer un rebond vers la joie qu’éprouve tout être humain responsable de ses actes, respectueux de lui-même et des autres, et engagé dans le monde.

Se respecter et respecter l’autre dans ses différences

Au regard des apports de la psychologie, se respecter, c’est aussi respecter son inconscient et donc, pour ce qui nous intéresse ici, c’est accepter ses boulimies (sous surveillance médicale) puisque l’inconscient en a momentanément besoin. Mais c’est aussi, et c’est là qu’interviennent le pouvoir de la réflexion et de la conscience, savoir se positionner relationnellement : oser dire à l’autre ses envies ou ses non envies quand une action en cours aussi futile soit-elle. J’ai le droit d’être ce que je suis.

Bien sûr l’autre a aussi le droit d’être ce qu’il est. Je dois également respecter ses envies, voire même ses caprices sans pour autant avoir à m’y soumettre : respecter l’autre n’est pas faire ce qu’il souhaite ou ce qui le rassure si je n’en n’ai pas envie. C’est ici que peuvent intervenir des conflits, parfois inconciliables. Mais pourquoi serions-nous toujours d’accord après tout ?

Nous avons tendance à nous prendre
pour des héros de tragédie

Nous avons un peu trop tendance à nous prendre pour des héros de tragédie, explique Robert Misrahi, et à nous sacrifier pour ne pas décevoir, pour ne pas faire de peine. Je connais une jeune femme qui se forçait à passer tous les week-ends chez ses beaux-parents alors qu’elle aurait préféré rester chez elle. Elle n’osait pas ne pas y aller de peur de les blesser. Selon Misrahi, elle se créait un faux conflit. En n’allant pas chez ses beaux-parents, objectivement, elle ne leur faisait pas de mal. S’ils pouvaient en être blessés, ils avaient alors un problème de dépendance pathologique dont elle ne pouvait être tenue pour responsable. Il n’y a pas de mal à se faire plaisir, à s’affirmer dans ses besoins, (en y mettant les formes, cela va de soi). Et ce qui est approprié pour soi l’est aussi pour l’autre : il est nécessaire d’accepter ses les besoins et désirs sans lui mettre la pression pour qu’il s’aligne sur nos valeurs. J’ai déjà entendu des jeunes femmes se plaindre de leurs belles-mères lorsque celles-ci exprimaient des valeurs qui n’étaient pas les leurs.

Vivre avec les autres c’est parfois la rencontre d’exigences inconciliables. Les conflits d’intérêt sont parfois inévitables et on peut les regarder en face sans pour autant s’engouffrer dans la violence. Car la violence, finalement, c’est aussi la fusion, le déni de l’individuation. Par contre, les conflits sans violence sont sains, vivants et incontournables. Il sont le garant de la liberté de soi et de l’autre..

Ne nous laissons pas impressionner par l’inconscient qui n’en fait de toute façon « qu’à sa tête » fusse au prix d’un symptômes quand notre raison lui fait barrage, mais n’en renions pas non plus notre conscience qui nous donne le pouvoir de nous assumer tel que nous sommes, sans honte et sans nuire aux besoins fondamentaux des autres. S’éveiller à la conscience et devenir responsable de ses actes est donc la proposition de Robert Misrahi pour accéder à la joie de vivre. Et si vous regardez les témoignages vidéo des personnes qui ne sont plus boulimiques vous verrez qu’il a raison et qu’en plus, cerise sur le gâteau, c’est le moyen d’accéder à une vie sans boulimie.

Catherine Hervais

 

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