Je me sens aimée

Boulimie Octobre 2011La jeune femme qui témoigne dans la vidéo illustrant cet article prend la parole avec un grand courage et une grande honnêteté pour dire tout haut ce qu’on n’ose généralement pas penser de soi, même tout bas.

Elle reconnaît avoir une grande dépendance vis-à-vis des personnes de son entourage. Elle a peur d’être abandonnée. Elle ressent cela même de ses plus proches. Elle donne deux exemples:

– depuis quelque temps elle vit chez ses parents et ne peut pas comprendre que son père ne s’intéresse pas à elle depuis quatre jours. Objectivement elle se doute bien qu’il est « dans sa bulle », que ça n’a rien à voir avec elle. Mais il ne lui a posé aucune question et il ne sait même pas ce qu’elle fait comme études. Elle en est très triste, un peu comme s’il était nécessaire qu’elle existe aux yeux de son père pour qu’elle se sente exister aussi à ses propres yeux.

– quant à son petit ami, elle ne supporte pas, lorsque il est avec d’autres personnes, qu’il ne pense pas à elle vingt quatre heures sur vingt quatre. Elle a très mal et elle a envie de le punir. Elle s’arrange pour qu’il ne puisse plus la joindre pendant plusieurs jours. Cette attitude la torture elle aussi mais il faut qu’elle se venge. Elle n’arrive pas à concevoir que les gens ne réfléchissent pas comme elle, qu’ils n’aient pas la même logique qu’elle, les mêmes besoins, le même rythme. Ce qui est important pour elle, ce qu’elle considère comme étant une marque de tact et de politesse, doit nécessairement l’être pour l’autre aussi.

Il faut une bonne dose de courage reconnaître cela devant tout le monde dans un groupe de thérapie. En tout cas elle est déjà consciente de son dysfonctionnement affectif. Elle ne sait pas encore comment elle va gérer son besoin de punir l’autre et sa peur d’être abandonnée mais le fait qu’elle se rende compte que son comportement est inapproprié est déjà un très grand pas. Beaucoup de gens sont intolérants et « dictateurs » en toute bonne conscience. Je vois très souvent autour de moi des parents qui ne doutent jamais d’eux-mêmes. Puisqu’ils ont tel regard sur la vie, ils trouvent normal que leurs enfants aient aussi le même regard qu’eux.

Que ce soit dans la vie affective ou dans la vie professionnelle, on rencontre très souvent des gens qui n’imaginent même pas qu’on puisse avoir une pensée différente de la leur. N’avons-nous pas tous tendance à nous prendre pour le centre du monde, à penser que si l’autre ne nous appelle pas, il a peut-être quelque chose contre nous ? Ne prend-on pas souvent pour soi l’attitude distante d’une personne que nous rencontrons ou que nous connaissons depuis longtemps ?

Ce qui différencie les personnes « équilibrées » (entendons par là celles qui ne souffrent pas mentalement) de celles qui ne le sont pas, ce n’est pas que les unes voient la vie avec justesse et les autres pas. Nous avons tous des opinions auxquelles nous croyons et au sujet desquelles nous nous trompons la plupart du temps.

Tout le monde se trompe tout le temps, tout le monde aime que l’autre pense comme lui mais tout le monde ne souffre pas autant que cette jeune femme dans la vidéo lorsqu’on ne pense pas comme elle.

Se prendre pour le centre du monde, quand il n’y a pas souffrance, n’est pas pathologique. En revanche, se prendre pour le centre du monde en ayant la sensation que tout le monde vous regarde de travers (ou bien ne vous « calcule » pas) est un trouble de la personnalité qui fait beaucoup souffrir, aller de déception en déception à chaque fois que le regard des gens ne converge pas vers soi.

La jeune fille de la vidéo en est à un moment de sa thérapie où elle prend conscience de l’absurdité de ses attentes. C’est déjà un grand pas. L’étape suivante, pour elle, sera de gagner suffisamment de confiance en elle, d’estime de soi, pour ne plus être obsédée par la peur d’être abandonnée.

L’étape finale consistera non seulement à identifier ses peurs dysfonctionnelles, tout en pouvant en souffrir éventuellement dans les moments où elle les aura, mais aussi à s’interdire de « punir » les autres du mal qu’elle ressent et qu’ils ne lui ont pas fait.

A la réflexion il y a un point positif à la souffrance. Les personnes totalitaires qui ont besoin que les autres pensent et fassent comme elles et qui malgré cela se sentent relativement bien dans leur peau, n’ont certes pas de grandes souffrances dans l’instant, mais ne pourront pas, sur la longueur, ne pas souffrir de l’histoire qu’ils ont eue avec les autres. Elle ne sera pas harmonieuse : ils s’imposent aux autres et il arrivera un moment où la vie relationnelle leur sera difficile.

Je n’en fais bien sûr pas une généralité, mais à ceux qui souffrent aujourd’hui, j’ai envie de dire qu’avec beaucoup d’authenticité, d’obstination et de travail, ils pourront sans doute profiter de la vie d’une manière dont ils n’osent même pas rêver.

Fin de l’article

Catherine Hervais

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