La psychanalyse aujourd’hui

boulimie mai 2014

C’est au siècle dernier que Freud enseignait aux futurs psychanalystes la posture de neutralité bienveillante pour éviter toute forme d’influence. Aujourd’hui encore de nombreux psychanalystes continuent à suivre cette règle, certains au pied de la lettre. Mon premier psychanalyste, qui cachait soigneusement sa bienveillance derrière sa neutralité, me donnait une poignée de main à l’arrivée et me signifiait par un « bon » discret que la séance était terminée, parfois en plein milieu d’une phrase. Quand je me dirigeais vers la sortie il me disait « au revoir » sur un ton qui ne me laissait rien deviner de ce qu’il pensait.

Je suppose que chaque personne réagit différemment à ce type d’attitude. En ce qui me concerne, je me suis très vite trouvée confrontée à ce même sentiment de chaos et d’impuissance auquel j’essayais d’échapper avec la boulimie. Néanmoins je ressentais avec lui une grande liberté contrairement à ce que j’avais ressenti avec les professionnels de la santé que j’avais rencontrés auparavant et qui avaient tendance à me donner des conseils ou à me rassurer.

Il faut ajouter que la neutralité a aussi comme objectif de provoquer une régression qui va contribuer à plonger la personne au cœur de ses difficultés relationnelles et émotionnelles d’enfant tout en étant habitée par ses ressources d’adulte.

La personne boulimique ne peut pas s’abstenir longtemps d’avoir des pulsions, ou alors en faisant d’immenses efforts provoquant une énorme frustration et des obsessions qui gâchent la vie de l’abstinente pratiquement autant que la boulimie elle-même. Les boulimiques n’ont pas un problème de volonté, elles en ont parfois beaucoup pour des tas d’autres choses, mais elles ont un problème d’identité qui crée des angoisses, lesquelles ont besoin des boulimies pour s’apaiser ).

Il faut ajouter que la neutralité a aussi comme objectif de provoquer une régression qui va contribuer à plonger la personne au cœur de ses difficultés relationnelles et émotionnelles d’enfant tout en étant habitée par ses ressources d’adulte.

Ce n’était pas mon cas. Comme toutes les personnes qui ont une addiction alimentaire je n’avais pas besoin d’une méthode drastique pour régresser parce que, affectivement parlant, j’étais comme un bébé dans un corps d’adulte. J’avais besoin, pour me construire, d’un véritable contact me permettant d’apprendre qui je suis face aux autres, comment ne pas être envahie par eux et aussi comment ne pas les envahir ni les fuir.

Sans m’en rendre compte, je ne regardais les autres qu’en fonction de ma représentation du monde: s’ils ne pensaient pas comme moi ou ne répondaient pas à mes besoins, ils étaient « mauvais ». Si au contraire, je me sentais soutenue par eux, j’étais apaisée, voire même exaltée le temps d’un instant. Quand je n’obtenais pas satisfaction je devenais déprimée ou agressive.

La psychanalyse pratiquée dans sa forme classique ne me convenait donc pas. Je me suis alors tournée vers le travail thérapeutique en groupe, que j’avais expérimenté lors de mon cursus d’étudiante. Et j’ai pu vérifier jusqu’à aujourd’hui en tant que psychothérapeute que le groupe est effectivement un cadre idéal pour les personnes dont le trouble précoce du développement affectivo-émotionnel les oblige, adultes, à avoir une addiction pour vivre.

Mais tous les psychanalystes ne sont pas nécessairement dans la stricte neutralité.

Déjà du temps de Freud certains étaient attentifs à nourrir l’expérience du contact authentique entre eux-mêmes et leurs patients. Un ami et collègue de Freud, Ferenczi dit un jour, à l’une de ses patientes qui le croyait amoureux d’elle, qu’au contraire elle l’irritait un peu. C’est en essayant de le lui cacher qu’il en faisait sans doute beaucoup trop dans l’autre sens, ce qui avait pu faire croire à la personne qu’il était attiré. À l’une de ses patientes qui avait passé toute la séance recroquevillée sur le divan, totalement immergée dans ses larmes et sa souffrance, Winnicott, un psychanalyste post-freudien, qui était également pédiatre, a dit pour conclure : « Vous n’avez pas beaucoup tenu compte de moi pendant cette séance ».

Les psychanalystes contemporains reconnaissent que pour certaines personnes « celles qui ont un trouble précoce du développement affectif et donc les personnes boulimiques » la psychanalyse devrait se « réinventer »: le divan, le silence de l’analyste, l’apprentissage de codes relationnels, une implication chaleureuse et ajustée ne sont pas incompatibles avec la neutralité. On peut sans doute être à la fois psychanalyste chaleureux et pédagogique si nécessaire lorsque l’on a été formé à ne pas influencer, manipuler ni confondre les symptômes avec ce qui les sous-tend.

En ce sens, et lorsque l’intégration à un groupe de psychothérapie n’est pas possible, malgré qu’elle soit décriée, la psychanalyse reste une pratique extrêmement performante dans la mesure où les psychanalystes ont été spécialement formés pour travailler dans l’intime. Sous réserve que le psychanalyste que vous trouverez ait réellement fait tout son cursus dans une institution psychanalytique.

Catherine Hervais

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